Éducation : faut-il craindre l’offensive des capital-investisseurs ?

En soutenant les écoles privées et leur montée en gamme, les acteurs financiers répondent aux aspirations des classes moyennes. Ils estiment offrir une parade à la fuite des cerveaux, et non nourrir une concurrence déloyale vis-à-vis de l’enseignement public.

Après l’Université privée de Marrakech (photo), KMR a acquis, en janvier, l’université internationale de Casablanca. © Université Privée de Marrakech

Après l’Université privée de Marrakech (photo), KMR a acquis, en janvier, l’université internationale de Casablanca. © Université Privée de Marrakech

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Publié le 4 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

Les prises de participation de sociétés d’investissement dans l’éducation en Afrique ont connu une nette accélération ces dernières années. Qu’il s’agisse de l’émergence de colosses comme Honoris United Universities, le réseau panafricain du fonds britannique Actis, valorisé à 275 millions de dollars (234 millions d’euros) et comptant au début de 2018 une quarantaine de campus du Maroc à Maurice, ou de l’avancée d’acteurs plus modestes comme Enko Education, dirigé par le financier camerounais Cyrille Nkontchou, qui a repris à la fin de février le West African College of the Atlantic de Dakar, portant à dix établissements secondaires son implantation subsaharienne.

Le nombre de transactions a doublé entre 2012 et 2015, pour une valeur annuelle en hausse de 106 millions à 583 millions de dollars, selon le cabinet de conseil Dalberg. La société financière américaine Caerus Capital LLC évalue à 2,2 milliards de dollars d’ici à 2022 les opportunités d’investissement dans l’éducation de moyen-haut de gamme de la maternelle au baccalauréat en Afrique, et à plus de 2 milliards celles dans l’éducation supérieure.

Nous ne sommes pas en compétition avec les gouvernements africains

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La poussée d’acteurs financiers dans le domaine suscite nombre d’inquiétudes, du risque d’exacerbation des inégalités aux doutes sur la qualité réelle de ces formations, jugées au demeurant biaisées au détriment des humanités. « Le développement de l’éducation privée – même low cost – paraît peu susceptible de résoudre le problème des enfants pauvres n’étant pas en mesure d’accéder aux écoles et peut même accroître la ségrégation et renforcer les inégalités », alerte un rapport de l’Unesco paru en 2015.

Déficit de financement

Cette même année, une intense polémique avait opposé une centaine d’organisations de la société civile au groupe de la Banque mondiale sur ses investissements dans Bridge International Academies, un réseau d’écoles privées à but lucratif présent au Kenya et en Ouganda. Il était notamment reproché à l’institution multilatérale de promouvoir des réseaux scolaires payants « au lieu de soutenir l’éducation gratuite et de qualité ».

« Nous ne sommes pas en compétition avec les gouvernements africains. Au contraire, nos actions sont complémentaires, et nous sommes ouverts à des partenariats public-privé », rétorque Hichem Omezzine, coresponsable de l’éducation chez Actis (6,7 milliards de dollars d’actifs). L’investisseur rappelle au demeurant que Honoris cible l’enseignement supérieur, même s’il n’est « pas fermé aux autres cycles ».

Sur le fond, les sociétés de capital-investissement estiment répondre avant tout à une demande réelle et forte des populations, alimentée par les insuffisances du secteur public, la croissance démographique, ainsi que la hausse des revenus discrétionnaires et des aspirations des classes moyennes urbaines. « Le déficit de financement de l’éducation en Afrique subsaharienne est de l’ordre de 800 milliards à 1 000 milliards de dollars au niveau primaire et de 255 milliards de dollars aux niveaux secondaire et supérieur », avance le cabinet Dalberg.

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Taux de réussite élevé

Les investisseurs jugent leur contribution positive et tangible. Paul Boynton, patron du sud-africain Old Mutual Alternative Investments (Omai, 880 millions de dollars dans l’éducation et le logement social), insiste : « Nous sommes impliqués dans l’accroissement de l’accès à l’éducation abordable, mais également dans la qualité, nous évaluons et faisons des tests à différents niveaux du cursus. »

Selon ce manager, le taux de réussite à la matriculation (équivalent sud-africain du baccalauréat) du réseau d’écoles d’Omai est supérieur de 20 points à la moyenne nationale, celui d’acceptation à l’université atteint 44,3 %, contre 36,7 % à l’échelle du pays. KMR Holding Pédagogique (KMR), contrôlé par le Marocain Mohamed Kabbaj, fondateur de l’Université privée de Marrakech (UPM), associé aux investisseurs Development Partners International et Mediterrània Capital Partners, met lui en avant « les taux d’employabilité exemplaires des anciens élèves : 80 % dans les trois mois suivant l’obtention du diplôme et 100 % dans les six mois ».

Les parents peuvent aujourd’hui offrir une éducation à leurs enfants au Maroc et en Tunisie plutôt que de les envoyer vers le Canada ou la France

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Pour les promoteurs de ces réseaux éducatifs privés panafricains, leur valeur ajoutée ne provient pas seulement de leur force de frappe financière. KMR vante ses partenariats avec un « réseau de plus de 240 universités et établissements d’enseignement supérieur ». Actis, pour sa part, note les économies d’échelle possibles dans les investissements technologiques et la mutualisation du personnel enseignant.

« Cette plateforme nous a permis de lancer un premier MBA panafricain et d’offrir une expérience multipays à nos étudiants, en plus d’une formation adaptée aux besoins et aux réalités du continent », énumère Hichem Omezzine. « Les parents peuvent aujourd’hui offrir une éducation à leurs enfants au Maroc et en Tunisie plutôt que de les envoyer vers le Canada ou la France », ajoute-t-il, alors que le débat sur la perte des cerveaux et les tensions sur l’immigration redoublent d’intensité en Occident.

L’éducation dans le top 5 des secteurs attractifs

Interrogés sur les exigences de rendement des bailleurs de fonds, les capital-investisseurs en Afrique se veulent rassurants. « Si nous faisons un bon boulot, il peut y avoir une bonne valorisation de l’investissement. Qualité de l’éducation et rentabilité ne sont pas du tout contradictoires », assure Hichem Omezzine. « Nous sommes ouverts à des rendements sur le long terme qui sacrifient un peu la liquidité contre un impact positif important en matière de solutions aux besoins sociaux », complète Paul Boynton d’Omai.

Selon un sondage 2017 de l’Association panafricaine du capital-investissement (Avca), l’éducation reste dans le top cinq des secteurs les plus attractifs d’ici à 2020, derrière les biens de consommation, les services financiers, la santé, l’agribusiness et les infrastructures (ex aequo) pour les trois prochaines années. Déjà présents dans quatre pays d’Afrique francophone, anglophone et arabophone, Actis et Honoris demeurent ambitieux : « Nous examinons les opportunités dans une demi-douzaine de pays (Égypte, Kenya, Nigeria, Ouganda, Côte d’Ivoire, Cameroun et Sénégal) », dévoile Hichem Omezzine.

Enko Education, pour sa part, compte lancer trente écoles supplémentaires dans les cinq prochaines années. D’après une étude du cabinet Deloitte, entre 30 % et 40 % des investisseurs en Afrique subsaharienne anticipent une croissance des opportunités dans l’éducation en 2018. C’est trois fois plus qu’en 2016.

Galileo appuyé par les Bettencourt

Déjà présent au Sénégal, où il a acquis l’Institut supérieur de management en 2017, Galileo Global Education veut créer dans les années à venir trois ou quatre grands campus sur le continent. D’ici à dix-huit mois, le groupe devrait dévoiler un projet dans un pays anglophone. À la fin d’avril, le numéro un mondial de l’éducation, à la tête de 32 écoles, a reçu le renfort de Tethys Invest, contrôlé par la famille Bettencourt-Meyers, qui, aux côtés de l’actionnaire majoritaire, la société d’investissement Providence Equity, va détenir « moins d’un quart du capital ».

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