Jules-Armand Aniambossou : « Si la France va en Afrique, il faut qu’elle y gagne »

D’origine béninoise et proche d’Emmanuel Macron, qui fut son condisciple à l’ENA, l’ancien haut fonctionnaire l’explique froidement : ce qui caractérise la politique française sur le continent, c’est qu’elle n’existe pas !

Jules-Armand Aniambossou prendra son poste d’ambassadeur de France en Ouganda d’ici à fin mai. © Jacques Torregano pour JA

Jules-Armand Aniambossou prendra son poste d’ambassadeur de France en Ouganda d’ici à fin mai. © Jacques Torregano pour JA

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Publié le 7 juin 2018 Lecture : 8 minutes.

Emmanuel Macron lors de sa visite aux troupes de l’opération Barkhane, Gao, Mali, le 19 mai 2017. © Christophe Petit Tesson/AP/SIPA
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Emmanuel Macron et la Françafrique

Les dirigeants africains le découvrent après beaucoup d’autres : le président français est un grand séducteur. Mais ses gestes hautement symboliques en faveur du continent sont subordonnés à un objectif prioritaire : la lutte contre les vagues migratoires.

Sommaire

Il dit « Emmanuel » et peut tutoyer le président français. Comme Emmanuel Macron, Jules-Armand Aniambossou (56 ans) appartient à la fameuse promotion Senghor de l’École nationale d’administration (ENA). Celle qui a pris le pouvoir l’an dernier. Sur les bancs de l’ENA, en ce début des années 2000, il y avait aussi « Franck » (Paris), aujourd’hui conseiller Afrique du président français, et « Aurélien » (Lechevallier), conseiller diplomatique. C’est dire si Aniambossou est désormais proche du cœur du pouvoir français. Et il n’en est pas peu fier.

Tiré à quatre épingles, l’ancien haut fonctionnaire français et ambassadeur du Bénin en France de 2013 à 2016 reçoit à quelques mètres de l’Élysée, dans les salons du très chic Cercle de l’union interalliée. Désormais directeur Afrique du groupe Duval et, depuis neuf mois, coordonnateur du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA), il ambitionne de « réparer » la relation entre la France et ses anciennes colonies.

Nous sommes en train de mailler le continent grâce à 150 à 200 référents, et ce réseau va se substituer à la Françafrique

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Jeune Afrique : « Ni un think tank, ni un fan-club africain », disait l’Élysée en août dernier à propos du CPA. Neuf mois après sa création, quel est donc le rôle de cette nouvelle structure ?

Jules-Armand Aniambossou : Ce n’est pas un club d’amis du président français, ça, c’est sûr ! Notre rôle est de capter les signaux faibles, les bruits de fond, ceux que les institutions classiques ne captent jamais. Notre travail, ce n’est pas d’aller voir les présidents africains, mais les jeunes, les femmes, les associations… Les diasporas, aussi, qui longtemps n’ont pas été considérées mais qui peuvent nous aider à nous ouvrir sur le continent. Notre mission, c’est de transmettre au président ce qu’ils nous disent, de comprendre la façon dont l’action française est perçue, le positif comme les alertes, et de faire des propositions à Emmanuel Macron. Le président voulait renouveler la relation avec le continent africain, eh bien, c’est un changement profond.

N’est-ce pas seulement un changement cosmétique ?

Non ! Le CPA n’est pas la cellule Françafrique de l’Élysée, c’est un changement de gouvernance. Nous sommes en train de mailler le continent grâce à 150 à 200 référents, et ce réseau va se substituer à la Françafrique. Vous savez, les institutions font ce qu’elles peuvent, mais aujourd’hui nous voyons les limites de l’action de la France. En Afrique, il y a 150 millions d’entrepreneurs potentiels. Il faut leur expliquer qu’on peut leur apporter quelque chose de différent des autres, et cela nous apportera aussi. Car il faut aussi qu’il y ait un langage de vérité. Si la France va en Afrique, ce n’est pas pour aider les Africains. Il faut qu’elle y gagne.

La France a une politique extérieure, pas une politique africaine

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La politique africaine de la France, désormais, ce n’est donc plus que du business ?

Non, c’est très réducteur de dire ça. Si ça n’était que ça, la France n’aurait aucune chance, car les Chinois ont des méthodes et des moyens bien différents des nôtres. Les valeurs de liberté, de démocratie restent au cœur de la diplomatie française. Mais, pour paraphraser le général de Gaulle, le tout n’est pas de sauter sur sa chaise en disant : « Démocratie ! Démocratie ! »

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Quelle est donc la politique africaine d’Emmanuel Macron ?

Il n’y en a pas !

Comment croire que la France puisse avoir les mêmes relations avec les pays africains qu’avec, par exemple, ceux d’Amérique latine ?

La France a une politique extérieure, pas une politique africaine. Dans ce cadre, l’Afrique est une priorité. C’est bien pour cela, d’ailleurs, que le président s’adresse à tous les chefs d’État, même à ceux qui sont parfois qualifiés de « dinosaures » ou de « dictateurs ».

 La règle dans les relations internationales, c’est qu’on reçoit tous ses homologues

Cela lui a été reproché…

Je vous arrête tout de suite. La règle dans les relations internationales, c’est qu’on reçoit tous ses homologues. Qu’est-ce qu’on lui reproche ? Pourquoi est-ce qu’il voit Déby Itno ? Pourquoi est-ce qu’il voit Ouattara ? Mais parce qu’il n’a pas le choix ! Et c’est même la raison pour laquelle le président privilégie d’autres canaux, comme la société civile ou les jeunes entrepreneurs. Mais soyez assurés que, lorsque des chefs d’État se rencontrent, ils se disent des choses. Si Macron parle franchement à Trump ou à Merkel, pourquoi voulez-vous qu’il ne dise pas ce qu’il pense aux chefs d’État africains ? Il estime que tout le monde doit être logé à la même enseigne.

N’est-il pas plus conciliant que ses prédécesseurs avec certains régimes ?

Notre maître mot, c’est le respect de la souveraineté. Lorsqu’il y a des situations de crise, c’est d’abord aux pays concernés de trouver la solution, puis aux organisations sous-régionales. Regardez Yahya Jammeh : il a été « déguerpi » parce que la Cedeao a considéré que les limites avaient été franchies. Il faut qu’il en soit de même en Afrique centrale et en Afrique australe. La France n’est pas le gendarme du continent. On lui a souvent reproché d’intervenir de manière intempestive, est-ce qu’on va aujourd’hui lui reprocher le contraire ? Nous ne sommes ni dans l’indifférence ni dans l’excès de prudence.

 Il y a eu trois situations dans lesquelles le CPA a alerté Emmanuel Macron : le Togo, la RD Congo et, plus récemment, le Burundi

S’agissant de pays comme la RD Congo, où Joseph Kabila se maintient au pouvoir après l’expiration de son mandat, la France n’est-elle pas trop discrète ?

Dans le cas de la RD Congo, on reproche à la France tout le contraire de ce qu’elle fait en réalité. Certains nous disent : la France nous a-t-elle laissés tomber ? Parfois, il y a des incompréhensions, et c’est mon rôle de les faire remonter. Il y a eu trois situations dans lesquelles le CPA a alerté Emmanuel Macron : le Togo, la RD Congo et, plus récemment, le Burundi.

Quels sont les messages que vous avez alors fait passer à Emmanuel Macron ?

On a bien senti que des gens étaient troublés. À tort ou à raison, ils pensent qu’on cautionne ces situations. Nous avons dit que cela méritait une explication de la position française, qu’elle soit publique ou réservée aux dirigeants concernés.

Avez-vous été entendus ?

Tout incite à penser qu’il n’y a ni collusion, ni soutien, ni double langage. Il y a un principe de réalité, qu’il faut admettre. Nous ne pouvons pas faire les choses sans les Africains eux-mêmes. Mais si la jeunesse veut « dégager » les dictateurs au pouvoir, lesdits dictateurs dégageront plus vite qu’ils ne le pensent.

Ce serait vous mentir que de dire que je fais passer Talon avant Macron

Ces aspirations au changement peuvent donc, selon vous, être légitimes ?

Pensez au Togo. Lorsqu’il était à Abidjan, le président a dit les choses comme il les pense, à savoir que cinquante-sept années de pouvoir de la même famille, ça peut à juste titre inciter les Togolais à réclamer le changement. Par le passé, je ne sais pas si un chef de l’État français se serait exprimé ainsi. L’aspiration au changement est légitime partout. Et je pense même que, si les gouvernants étaient bien inspirés, ils s’appuieraient davantage sur ces aspirations légitimes de la jeunesse et de la société civile pour essayer de reconstruire autre chose.

Vous connaissez Emmanuel Macron depuis l’ENA. Quelle est la nature de votre relation ?

Dès qu’il y a des sujets importants, la ligne entre nous est directe et continue. Il est le président de la République. À ce titre, il est mon président.

Plus que Patrice Talon, puisque vous êtes aussi béninois ?

Très clairement ! J’ai deux présidents, mais je dois tout à la France. Ce serait vous mentir que de dire que je fais passer Talon avant Macron. Mais je ne rejette pas le premier, car j’ai la double nationalité.

Le deal que j’ai conclu avec mon employeur est très clair : je ne suis pas là pour ramener du business au groupe Duval

Quelles sont vos relations avec lui ?

Bonnes. Très bonnes, même.

Mais vous avez été nommé ambassadeur par Thomas Boni Yayi et, à la présidentielle de 2016, vous lui aviez préféré Lionel Zinsou…

C’est vrai, mais Patrice Talon est le président élu. Pourquoi faudrait-il que je le perçoive comme mon ennemi – et inversement ? Non, je l’ai vu récemment en France – on m’a d’ailleurs accusé d’avoir retourné ma veste ! – et j’irai le voir prochainement au Bénin.

Vous êtes aussi le directeur général Afrique du groupe Duval. Lorsque vous rencontrez des chefs d’État ou des entrepreneurs, n’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêts, compte tenu de votre appartenance au CPA ?

Le deal que j’ai conclu avec mon employeur est très clair : je ne suis pas là pour ramener du business au groupe Duval. J’ai prévenu qu’il y a des sujets, financiers notamment, sur lesquels je ne travaillerai pas. Je ne veux à aucun prix de mélange des genres. Je sais que lorsqu’on me sollicite je peux paraître parfois un peu rustre et sauvage, mais c’est ainsi.

CPA, mode d’emploi

C’est devenu un rituel. Tous les vendredis matin, les membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique (CPA) se réunissent dans les locaux de l’AFD, où des bureaux sont à leur disposition, ou à l’hôtel de Marigny, à deux pas de l’Élysée, où ils reçoivent diverses personnalités. Issus de la société civile, ils travaillent bénévolement – même si un budget de fonctionnement va leur être attribué. Ils sont officiellement au nombre de dix, mais en réalité plus que neuf depuis la mise à l’écart d’Yves-Justice Djimi. D’autres collaborateurs (entre deux et quatre) devraient prochainement rejoindre le petit cercle.

Étroitement associés au discours de Ouagadougou, pour lequel ils avaient été chargés de faire des propositions, ils veillent à ce que les décisions annoncées soient effectivement mises en œuvre. Ils sont également à l’origine de la saison des cultures africaines, qui se tiendra en 2020 et sera annoncée par Emmanuel Macron à l’occasion de sa visite au Nigeria début juillet. Les membres du CPA accompagneront le président français à Abuja, mais le voient peu : seul un dîner en prélude au déplacement au Burkina Faso, en novembre 2017, les a tous réunis.

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