Nigeria : « Baba go slow » met le turbo en vue d’un second mandat

Très contesté pour n’avoir pas tenu ses promesses, le président Buhari reste déterminé à briguer un second mandat. D’autant qu’il n’a pour l’instant pas de rival sérieux.

Lors de son retour au pays, en août 2017, après trois mois de soins au Royaume-Uni. © daniel leal-olivas/AFP

Lors de son retour au pays, en août 2017, après trois mois de soins au Royaume-Uni. © daniel leal-olivas/AFP

SYLVESTRE-TREINER Anna DSC_9446 copie

Publié le 7 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Dans sa tunique bleu nuit, l’allure svelte et le pas assuré, Muhammadu Buhari est rayonnant. Il le sait, parfois les mots comptent moins que les images. Ce lundi 30 avril, au-dessus de la tête du président nigérian, le ciel de la capitale américaine est sans nuages. Il pose devant les caméras avec Donald Trump. On le dit malade ? Il enchaîne les déplacements. Après Accra et Londres, le voilà à Washington. On le dit affaibli ? Il est ce jour-là au côté de l’homme le plus puissant au monde.

Un an et demi après l’élection du milliardaire à la tête des États-Unis, Buhari est devenu le premier – et pour l’instant le seul – chef d’État subsaharien à être reçu à la Maison-Blanche. Ce jour-là, le président du géant ouest-africain reprend toute sa place. Il vient se réconcilier avec l’Amérique de l’imprévisible et humiliant Trump. Oublié le limogeage en pleine visite au Nigeria, en mars, du secrétaire d’État, Rex Tillerson. Pardonnée l’insulte du magnat de l’immobilier, qui avait qualifié les États africains de « pays de merde ». « Nous n’en avons pas discuté », a éludé ce dernier à l’issue de la rencontre.

la suite après cette publicité

Insécurité persistante

Le chef de la première économie africaine est venu parler affaires avec celui de la première économie mondiale. Alors que la vente d’avions militaires américains au Nigeria avait été bloquée par l’administration Obama, elle a été définitivement autorisée par Trump. Et on discute désormais d’hélicoptères.

Combatif, Buhari l’est réellement depuis qu’il a décidé de briguer un second mandat à la tête du pays. Début avril, juste avant d’annoncer sa candidature à la présidentielle de février 2019, l’ancien général a sillonné d’un pas martial les États les plus en crise de son pays : Taraba et Rivers, où les affrontements intercommunautaires entre éleveurs et agriculteurs ont fait des dizaines de morts depuis le début de l’année ; Zamfara, endeuillé par les attaques répétées de « bandits » ; Yobe, où 105 écolières ont été enlevées fin février avant d’être libérées… Très critiqué pour sa passivité, désavoué en raison de l’insécurité persistante, l’austère militaire qui avait été élu sur sa réputation d’homme à poigne est venu restaurer son autorité.

Olusegun Obasanjo, un opposant de poids

Surtout, le président nigérian a lancé sa contre-attaque face à ses plus virulents détracteurs. « Un ancien chef de l’État n’a cessé de se vanter d’avoir dépensé 16 milliards de dollars pour électrifier le pays. Mais, aujourd’hui, où est l’électricité ? » a-t-il lancé le 22 mai, soulignant qu’il venait de faire approuver un budget étatique record de 30 milliards de dollars pour 2018, malgré la conjoncture difficile. Buhari n’a pas cité de nom, mais chacun a compris que sa cible était l’ancien président Olusegun Obasanjo. Une pique qui sonne comme une menace. Il y a deux ans, une importante ONG avait pressé le juge en chef du Nigeria de lancer une enquête, tant les soupçons de corruption lui semblaient forts. L’Assemblée nationale elle-même avait déploré un important gaspillage.

L’affaire est embarrassante pour l’ancien chef de l’État, qui est désormais une autorité morale respectée. En janvier dernier, c’est lui qui a pris la plume pour « inviter » Buhari à « prendre du repos » et à ne pas briguer un second mandat. Un coup dur pour l’actuel président nigérian.

la suite après cette publicité

Alors qu’il avait pu s’appuyer sur le ralliement d’Obasanjo en 2015, il doit maintenant composer avec l’opposition de cette figure de poids. Après avoir lancé le Coalition for Nigeria Movement (CNM), l’ancien président a en effet annoncé son alliance avec l’African Democratic Congress (ADC), dans l’espoir de pouvoir rivaliser avec l’All Progressives Congress (APC), au pouvoir, et le People’s Democratic Party (PDP, opposition). Obasanjo revendique trois millions d’adhérents au sein de son nouveau mouvement, même si de nombreux observateurs estiment qu’il peine à créer une véritable dynamique.

Un tiers des moins de 25 ans au chômage

Quoi qu’il en soit, il reste très écouté et garde un pouvoir de nuisance envers le président nigérian. D’autant que son revirement pourrait faire tache d’huile. Les leaders du New PDP, qui avaient rallié l’APC en 2015, viennent de poser des conditions à leur soutien à Buhari pour la présidentielle de 2019.

la suite après cette publicité

Tous entendent la grogne qui, depuis plusieurs mois déjà, a gagné de nombreux Nigérians. Premier opposant de l’histoire du pays à l’emporter face à un président sortant, Buhari s’était fait élire sur les promesses d’un renouveau. Il a largement déçu. Corruption toujours galopante, économie qui sort difficilement de la récession de 2015… Ses promesses de candidat n’ont pas été tenues. Dans un pays où un tiers des moins de 25 ans sont au chômage, ce ne sont pas ses déclarations sur la paresse des jeunes, « qui pensent qu’ils peuvent s’asseoir et ne rien faire, avoir droit à un logement, des soins de santé et une éducation gratuits », qui ont amélioré sa popularité.

Une opposition divisée

Certains observateurs estiment que l’opposition aurait toutes ses chances de l’emporter si elle parvenait à faire bloc autour d’un candidat, notamment s’il était originaire du Nord et musulman. Mais, pour l’instant, cette union semble impossible. Empêtrée dans des querelles d’ego et des luttes de courant, l’opposition nigériane reste profondément divisée. Les candidats aux primaires se multiplient, et elle ne parvient toujours pas à faire émerger une figure consensuelle.

Faute d’adversaire,  Buhari pourrait donc l’emporter. Au sein d’un APC tiraillé par des dissensions internes, le chef de l’État est parvenu à s’imposer comme le candidat naturel. L’enfant de Daura, dans le Nord, garde des soutiens de poids, de nombreux partisans et de l’influence dans sa région d’origine. À 75 ans, « Baba go slow », comme il est surnommé, avance toujours lentement. Lentement mais sûrement, espère-t-il.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image