Sénégal : la « Maison » d’Ousmane Sow reprend vie

Inaugurée le 5 mai 2018 dans le cadre de la Biennale de Dakar, la résidence de l’artiste Ousmane Sow, décédé en 2016, s’ouvre au public.

« Le Vieux Sage » et « Le Couple et l’Enfant », pensé pour le monument de la Renaissance. © Jean-Baptiste Joire pour JA

« Le Vieux Sage » et « Le Couple et l’Enfant », pensé pour le monument de la Renaissance. © Jean-Baptiste Joire pour JA

KATIA TOURE_perso

Publié le 1 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

Un sphinx au regard tourné vers la mer… Voilà à quoi ressemble la maison d’Ousmane Sow. Celle qu’il construisit, sans architecte ni plans, en 1991, dans le quartier de Yoff Virage. À partir d’une simple maquette, conçue comme une véritable œuvre d’art, il s’attela à l’édification de sa demeure, dont le nom emprunte à la mythologie égyptienne. Il habita ensuite cette maison de trois étages jusqu’à son décès, le 1er décembre 2016.

Les dernières années de sa vie, il avait émis le souhait de voir son œuvre retrouver le Sénégal, son pays natal, au sein d’un musée situé à la Cité Elizabeth-Diouf, à Hanne Mariste. Le temps lui a manqué pour concrétiser ce projet d’envergure. Mais ses deux enfants, Ndeye et David Sow, ainsi que sa compagne, Béatrice Soulé, ont respecté sa volonté, quitte à faire l’impasse sur le lieu. Aussi, le musée dont rêvait Sow est désormais abrité sous le toit où il vivait, si bien que l’idée même de musée n’est pas vraiment adaptée.

Il a vécu, sculpté et nous a quittés dans cette maison qui, ainsi habitée par ses œuvres, ressuscite », raconte sa fille

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« Nous tenons au terme de “maison”, explique sa fille, Ndeye Sow. Nous avions un père anticonformiste, qui ne s’encombrait pas de la lourdeur des choses. Son œuvre est d’ailleurs très peu présente dans les musées traditionnels. » Et d’ajouter que la bâtisse est habitée de tout ce qu’il y a réalisé, que les sculptures y sont naturellement chez elles.

« Il a vécu, sculpté et nous a quittés dans cette maison qui, ainsi habitée par ses œuvres, ressuscite. » Reste à déterminer quels tarifs seront proposés aux visiteurs… Sous un soleil peu clément, la maison, résolument contemporaine avec son architecture géométrique, s’élève toute en couleurs : vert bouteille, jaune ocre, latérite rouge, tons d’orange et de bleu indigo. « Tous les murs ont été repeints, en avril dernier, avec la matière des sculptures d’Ousmane, et cela grâce à son assistant, qui en connaît la composition », indique Béatrice Soulé.

« Le produit », sa matière secrète

Cette dernière accompagne la première visite de la maison en présence de Gérard Senac, PDG d’Eiffage au Sénégal et ami d’Ousmane Sow. L’une des pièces porte d’ailleurs son nom. Les autres sont dédiées à Moctar Sow, père de l’artiste, aux sculpteurs Moustapha Dimé et Ndary Lo, au kinésithérapeute Boris Dolto, au peintre Souleymane Keita ou à l’architecte Iba Mbaye.

« Le Sphinx » de Yoff Virage. © Jean-Baptiste Joire pour JA

« Le Sphinx » de Yoff Virage. © Jean-Baptiste Joire pour JA

Dans ces salles bordées de vérandas où les lutteurs noubas côtoient les guerriers masaïs, où les Zoulous voisinent avec les Peuls, où Mandela n’est pas très loin de De Gaulle, on ne peut s’empêcher d’être fasciné par le sol. Chacune des dalles de couleur a été réalisée à partir de cette fameuse matière qu’Ousmane Sow appelait « le produit ». « Il a installé les carreaux alors qu’il achevait la maison, en 1999, tout en travaillant sur les trente-cinq pièces de La Bataille de Little Big Horn », se souvient Béatrice Soulé.

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Autoportrait prémonitoire

Dans cette demeure où palpitent le cœur et l’âme de l’artiste, on retrouve des œuvres inachevées et la sculpture qui aurait dû devenir le monument de la Renaissance de Dakar. Il l’avait sculptée en 2003, en miniature, avant d’être écarté du projet par le président Abdoulaye Wade. Aujourd’hui, le couple et l’enfant qu’il avait imaginés font leur retour au pays, bien plus gracieux que la statue controversée des Mamelles. Dans sa chambre, des archives, l’épée d’académicien, des photos par Henri Cartier-Bresson, Sarah Moon ou Martine Franck rappellent les grandes étapes d’une longue carrière.

Et puis il y a cette tête imposante, volumineuse, troublante. « Il s’agissait d’une commande de la présidence de la République sénégalaise. Il devait livrer la sculpture d’un homme de cinq mètres de haut qui serait installée à Diamnadio », raconte Béatrice Soulé. La tête, réalisée un an et demi avant sa mort, est, selon elle, une forme de prémonition. « On dirait un autoportrait de lui, malade, à la fin de sa vie », dit-elle la gorge serrée.

Je tenais à ce que les visiteurs aient une vision d’ensemble de l’œuvre. La maison se découvre comme un livre

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Au dernier étage, la pièce dévolue à la méditation porte le nom de Ndary Lo, le sculpteur du fer à béton, décédé en juin 2017. « Ousmane méditait beaucoup ici, mais aussi sur le toit », commente Béatrice Soulé. La salle, lumineuse, offre un admirable panorama sur la ville et la plage de Yoff.

Quand arrive le ministre de la Culture sénégalais, Abdou Latif Coulibaly, les héritiers d’Ousmane Sow, quoique loin d’être incollables sur l’œuvre de leur père, se ruent sur la délégation ministérielle, reléguant Béatrice Soulé à un rôle d’organisatrice de l’ombre. Mais les cartels pédagogiques qu’elle a réalisés aideront les enfants à assurer la visite.

« Je tenais à ce que les visiteurs aient une vision d’ensemble de l’œuvre. La maison se découvre comme un livre », explique Béatrice Soulé. Le ministre finit par annoncer que la maison fera partie du patrimoine culturel sénégalais. À la fin de sa vie, Ousmane Sow travaillait sur des sculptures animées, dont l’une, L’Empereur fou, personnage loufoque aux yeux exorbités, semblait particulièrement l’obséder. On le retrouve, entre autres prototypes rendus mobiles par un système mécanique ingénieux, dans les ateliers situés sur le toit de la maison. Ousmane Sow rêva jusqu’au bout de réaliser des films d’animation, les yeux tournés vers la ville qui l’a vu naître.

Béatrice et les héritiers

Tant pour Béatrice Soulé que pour les héritiers d’Ousmane Sow, l’ouverture de la maison du sculpteur est placée sous le signe de la continuité. Il aura fallu huit mois pour qu’elle soit prête à accueillir ses premiers visiteurs. « Les sociétés Eiffage et CSE ont été d’une grande aide pour la logistique, le transport des œuvres et les travaux de rénovation », indiquent Ndeye et David Sow.

Si ces derniers se refusent à évoquer le budget, Béatrice Soulé indique une somme de 80 000 euros de travaux environ. Et ce sans aucun partenariat financier. « Ousmane souhaitait que ses enfants continuent à travailler avec moi, donc nous travaillons ensemble. » Si elle ne compte pas parmi les héritiers d’Ousmane Sow, Béatrice Soulé estime être la seule à parfaitement connaître son œuvre…

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