Imad Benmoussa : « Coca-Cola prévoit 500 millions de dollars d’investissements sur trois ans »

Diversification de son portefeuille de boissons, renforcement de sa présence sur le terrain, le géant des sodas part à la conquête des jeunes adultes et des ados. Un peu plus d’un an après sa prise de fonctions, le directeur général Égypte et Afrique du Nord de Coca-Cola détaille ses ambitions.

09-05-18 THE COCA-COLA EXPORT  Imad Benmoussa, general Manager. MOHAMED DRISSI KAMILI © MOHAMED DRISSI KAMILI pour ja

09-05-18 THE COCA-COLA EXPORT Imad Benmoussa, general Manager. MOHAMED DRISSI KAMILI © MOHAMED DRISSI KAMILI pour ja

JULIEN-WAGNER_2024

Publié le 8 juin 2018 Lecture : 8 minutes.

Dans un long bâtiment sans âme, à plus d’une demi-heure du centre-ville de Casablanca, le siège Afrique du Nord de Coca-Cola ne cadre pas vraiment avec l’image que l’on se fait de « la marque la plus connue au monde ». Le champion du marketing, dont le quartier général trône en maître à Atlanta, ne jouit pas ici de la même domination. Surtout en Égypte et au Soudan, où son concurrent éternel, Pepsi-Cola, lui donne du fil à retordre. Mais pas seulement. Sur ce marché en pleine croissance, la recrudescence des marques locales, particulièrement en Algérie, l’expose à une concurrence toujours plus féroce.

Nommé en février 2017 directeur général Égypte et Afrique du Nord, le Marocain Imad Benmoussa boit, parle et vit Coca – il a précédemment été président de Coca-Cola France et directeur général de Coca-Cola Moyen-Orient. Entre deux gorgées de soda, il explique à JA comment il entend améliorer la disponibilité de ses produits et augmenter l’impact de ses opérations de marketing dans cette zone comptant pas moins de 700 000 points de vente.

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Jeune Afrique : Vous êtes aux commandes de la région Égypte et Afrique du Nord depuis février 2017. Comment le groupe Coca se projette-t-il dans cette zone du monde ?

Imad Benmoussa : C’est une région très dynamique de près de 250 millions de consommateurs, avec cependant une consommation de boissons commerciales par habitant assez faible. D’après nos estimations, la croissance en valeur du secteur des boissons non alcoolisées y sera de 5 % à 6 % par an dans les années qui viennent, contre les 1 % à 2 % anticipés en Europe ou en Amérique du Nord. Ce fort potentiel s’explique par la croissance économique, l’augmentation du pouvoir d’achat, le phénomène d’urbanisation mais aussi par le fait que ce secteur y est assez peu diversifié. Les boissons pétillantes représentent 40 % du marché, l’eau 35 % à 40 % et les jus 15 % à 20 %. Cela laisse de la place pour des innovations telles que le thé et le café prêt à consommer ou pour les boissons énergétiques.

Quels sont les pays où ce potentiel est le plus important ?

L’Égypte, l’Algérie et le Maroc, compte tenu de la taille de leur population et de la structure de leurs marchés.

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Coca-Cola écrase-t-il la concurrence en Afrique du Nord ?

Sur le marché des boissons pétillantes, qui constituent l’essentiel de notre activité, nous sommes largement leaders au Maroc et en Tunisie. Mais en Algérie, où la concurrence est plus grande, avec plus de 400 opérateurs différents, notre part de marché est inférieure à 50 %. En Égypte, nous sommes challengers, et dans les deux Soudans également. Mais la concurrence a du bon. Elle nous permet de nous étalonner et nous pousse à l’innovation – ce qui séduit particulièrement notre cœur de cible, les jeunes adultes et les adolescents.

Ce qui compte, ce n’est pas que ceux qui boivent du Coca-Cola en boivent plus, mais que ceux qui n’en boivent pas nous découvrent

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Quel est votre plan d’investissements ? Avec quels objectifs ?

Aux côtés de nos embouteilleurs, nous prévoyons près de 500 millions de dollars d’investissement industriel, commercial et marketing sur trois ans. Soit globalement 200 millions au Maghreb et 300 millions en Libye, en Égypte et dans les deux Soudans. Dans certains pays de la région, 40 % des consommateurs déclarent ne pas boire de Coca-Cola (c’est-à-dire pas pendant les trente jours précédant le sondage). Notre objectif principal est donc de davantage pénétrer nos marchés. Ce qui compte, ce n’est pas que ceux qui boivent du Coca-Cola en boivent plus, mais que ceux qui n’en boivent pas nous découvrent.

La notion de disponibilité est fondamentale. Nous proposons des produits « plaisir », qui obéissent à une impulsion. Si on ne la satisfait pas dans la demi-heure, elle peut disparaître ou être compensée par un autre produit. Nous devons donc à la fois faire en sorte d’être associé à des choses positives et être présents à chaque fois que le consommateur a envie de nous voir. C’est pourquoi, chaque année, nous établissons des objectifs en matière de nouveaux points de vente. Il faut être imaginatif et s’adapter aux territoires. Au Maroc par exemple, nous avons eu l’idée de proposer aux vendeurs de fruits secs, très nombreux dans les rues, des petits réfrigérateurs pour vendre nos produits, ce qui a permis d’accroître notre pénétration.

Vous n’avez pas effectué d’acquisition dans la région depuis longtemps. Allez-vous en réaliser bientôt ?

Nous avons quelques idées. Disons que nous restons attentifs.

À quoi sera consacré le reste de vos investissements ?

Nous allons acheter de nouvelles lignes, parfois même construire de nouvelles usines. Et nous réaliserons des campagnes promotionnelles et publicitaires afin de créer la demande. L’idée étant à la fois de préparer la capacité à servir et de stimuler le consommateur.

Le marché de l’eau croît plus vite que celui des boissons pétillantes ou des jus, en Afrique du Nord comme dans le reste de l’Afrique

Coca-Cola est le prototype de la compagnie « marketing ». Combien représente la publicité dans l’ensemble de ces investissements ?

C’est une information sensible. Les montants de nos investissements de marketing par pays dépendent d’abord de la variété de notre portefeuille de marques. Au Maroc, par exemple, nous avons sept marques de boisson pétillante, deux marques de jus et une marque d’eau, alors qu’en Algérie nous n’avons que quatre marques de boisson gazeuse. Mais une autre variable influence les montants, c’est l’intensité compétitive. Au Maroc, la concurrence est moins forte qu’en Algérie ou en Égypte, et nous prenons aussi cela en compte.

Comment vous situez-vous sur le marché de l’eau ?

Deux pays représentent un business important pour nous : le Soudan, où nous sommes leader avec la marque Safia, et l’Égypte, où nous sommes challengers avec Dasani, sur un marché en pleine croissance. En revanche, notre présence est très timide au Maghreb. Nous possédons la marque Ciel au Maroc, qui a une part de marché anecdotique, et rien en Algérie ni en Tunisie.

Dans notre stratégie de diversification, nous arbitrons toujours entre une acquisition et un démarrage à partir de rien.

Mais c’est un segment qui nous intéresse : le marché de l’eau croît plus vite que celui des boissons pétillantes ou des jus, en Afrique du Nord comme dans le reste de l’Afrique. Quand on s’urbanise, on passe d’une eau du robinet à une eau embouteillée, puis on s’oriente vers les jus et les boissons gazeuses. L’entrée, c’est toujours l’eau. Cependant, si ce marché est très important en volume, il l’est moins en valeur. Le niveau de profitabilité y est beaucoup plus faible, car le prix de l’eau au litre est, en moyenne, 50 % inférieur à celui des boissons pétillantes ou des jus.

Comptez-vous lancer une marque d’eau en Algérie ?

Pour le moment, nous privilégions les investissements sur les boissons pétillantes, car nous avons encore une grosse marge de progression en matière de parts de marché. Mais nous restons à l’écoute. Dans notre stratégie de diversification, nous arbitrons toujours entre une acquisition et un démarrage à partir de rien. Au Soudan avec Safia, en Égypte avec Dasani et au Maroc avec Ciel, nous avons privilégié la deuxième option, car nous n’avons pas trouvé d’opportunités d’acquisition qui nous satisfaisaient.

Avec combien d’embouteilleurs travaillez-vous dans la région ? Possédez-vous des participations dans ceux-ci ?

Nous travaillons avec huit embouteilleurs. Le plus important est notre partenaire Coca-Cola Bottling Company of Egypt (CCBCE), car ce pays représente le plus gros marché. Le deuxième est Equatorial Coca-cola Bottling Company (ECCBC), qui est à l’œuvre dans certaines parties de l’Algérie, du Maroc et de la Mauritanie. Et le troisième est le groupe BGI [Brasseries et glacières internationales], actif en Tunisie et en partie en Algérie. Nous travaillons aussi avec des embouteilleurs indépendants : deux au Maroc (SBGS et ABC), un en Libye (GBC) et un autre au Soudan (DAL). Nous avons des participations minoritaires dans CCBCE et ECCBC.

Nous avons décidé il y a plusieurs années de ne plus être ni actionnaire majoritaire ni gestionnaire de nos embouteilleurs. Nous voulons rester concentrés sur notre cœur de métier

Quel intérêt tirez-vous de ces participations ?

Il n’est pas rare que nous détenions des participations minoritaires dans nos plus importants embouteilleurs régionaux. Souvent pour des raisons historiques. Au départ, en Égypte, l’embouteilleur appartenait au secteur public. Il y a plusieurs années, nous avons fait le choix d’en prendre des parts, et celui-ci n’a pas été remis en question depuis. Concernant ECCBC, les actionnaires majoritaires étaient espagnols et entendaient se développer en Afrique subsaharienne. C’est eux qui ont souhaité que Coca-Cola les accompagne dans cette expansion géographique. Il n’existe pas de logique globale mais des logiques particulières. La seule certitude, c’est que nous avons décidé il y a plusieurs années de ne plus être ni actionnaire majoritaire ni gestionnaire de nos embouteilleurs.

Pour quelle raison ?

Nous voulons rester concentrés sur notre cœur de métier. Construire des marques fortes en nous focalisant sur les stratégies marketing et sur l’innovation. Nous préférons nous appuyer sur des partenaires locaux et régionaux solides qui réalisent la partie industrielle, la distribution et la commercialisation des produits.

Parmi vos embouteilleurs, BGI, filiale du groupe Castel, est un cas un peu particulier, car il est aussi l’un de vos principaux concurrents en Afrique. Comment gérez-vous cette situation ?

Concernant l’Algérie, c’est très clair. Nous travaillons aujourd’hui en parfaite collaboration et nous sommes sur la même ligne en matière d’opportunités et de plan d’investissement. Le groupe Castel avait tenté d’y lancer sa propre marque de jus, mais cela n’a pas du tout marché, et il est redevenu un embouteilleur qui correspond à nos critères.

En Tunisie, ce n’est pas le même cas, mais nous arrivons à gérer cela en bonne intelligence. Les stratégies de nos marques sont bien définies, bien isolées et bien exécutées. Mais ce n’est pas une situation idéale pour nous. Plutôt une forme de complication. Notre préférence, notre philosophie, c’est d’avoir des relations privilégiées avec nos embouteilleurs. Nous leur offrons toute la panoplie de nos marques sur leur territoire. Nous attendons d’eux qu’ils fassent de même. C’est-à-dire qu’ils n’embouteillent que des marques estampillées Coca-Cola.

Cela pourrait-il vous pousser à nouer d’autres partenariats en Algérie et en Tunisie ?

Non. Ce n’est pas dans nos plans.

Toujours un œil sur la CAN

Partenaire de la Fifa depuis 1974, Coca sera cette année encore « boisson officielle » de la Coupe du monde en Russie… En revanche, la marque rouge et blanche n’est plus le sponsor officiel de la CAN depuis 2002. En cause, « un mauvais retour sur investissement », justifie Imad Benmoussa. Mais il ne ferme pas la porte à cette compétition : « Depuis quelques années, la CAN s’est énormément professionnalisée. Elle est mieux diffusée et mieux organisée. »

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