Présidentielle au Mali : IBK face à la question de confiance
Sécurité et restauration de l’autorité de l’État, réformes, relance économique et développement… À deux mois du premier tour de la présidentielle, c’est l’heure pour Ibrahim Boubacar Keïta de défendre son bilan.
Présidentielle au Mali : dernière ligne droite
Quels sont les réussites et les échecs du quinquennat d’IBK ? Qui sont les principaux candidats à sa succession ? Paysage avant la bataille à l’approche du scrutin du 29 juillet.
« Ko boua ka bla » (« Boua renonce »), lance Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) du haut de la tribune. Il marque une pause avant de lâcher : « Boua ta bla deh ! » (« Boua ne lâchera rien ! »). Tonnerre d’applaudissements de l’assistance, un parterre d’officiels et de cadres des partis de la mouvance présidentielle réunis pour l’inauguration de l’échangeur de Ségou, le 24 avril. Tout le monde s’attendait alors à ce que le chef de l’État annonce sa candidature à la présidentielle. Finalement, il faudra se contenter de cette boutade lancée à ses détracteurs. Quant à « Boua », affectueusement « le vieil homme » en bambara, c’est le surnom que lui aurait attribué l’activiste, chroniqueur radio et idole des jeunes Ras Bath pour exhorter le président sortant à ne pas se représenter, estimant qu’il a échoué à tenir ses promesses électorales.
La nécessité de convaincre
En 2013, sa victoire écrasante au second tour, avec 77,6 % des suffrages exprimés, ressemblait à un plébiscite, justement parce qu’IBK jouissait d’une réputation de kankélétigui (« l’homme qui n’a qu’une seule parole »), depuis ses exploits des années 1990. Alpha Oumar Konaré, alors président, se trouve confronté en 1994 à une rébellion touarègue sur fond de tensions sociales.
Il n’a ni baguette magique ni solution miracle qui permettrait de tout résoudre en un clin d’œil. Les attentes étaient trop élevées…
À peine nommé Premier ministre, IBK organise un déplacement dans le Nord pour rendre visite aux soldats, auxquels il promet une loi de programmation militaire, qui verra en effet le jour quelques mois plus tard.
Cet épisode, en plus d’avoir marqué les esprits, a surtout renforcé la crédibilité d’IBK. « Son score à la dernière présidentielle était tellement élevé qu’il nous a effrayés, confie un proche du président. Cela voulait dire que les Maliens plaçaient leur entière confiance en IBK. Mais il n’a ni baguette magique ni solution miracle qui permettrait de tout résoudre en un clin d’œil. Les attentes étaient trop élevées… »
Lors de son discours d’investiture, en septembre 2013, IBK avait su trouver les mots, conforter les attentes de ses compatriotes, en se fixant des objectifs : restaurer l’autorité de l’État, consolider la cohésion nationale, reconstruire une armée forte, lutter contre la corruption et l’impunité. Cinq ans plus tard, à l’heure du bilan, le compte n’y est pas.
L’actuel locataire de Koulouba qui a finalement annoncé sa candidature dans une allocution à la télévision nationale le 28 mai, va devoir se montrer très convaincant s’il veut briguer un second mandat.
« La situation s’est aggravée sur tous ces points en cinq ans », déplore le député Amadou Thiam, président de l’Alliance démocratique pour la paix (ADP-Maliba), ex-parti de la majorité présidentielle. Quant à la confiance de la population, elle a été ébranlée dès le début du quinquennat par les affaires de l’achat de l’avion présidentiel, de la surfacturation de matériel militaire… Et les bons résultats économiques n’ont pas réussi à la restaurer.
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Baisse du chômage
Là aussi, IBK va devoir défendre son bilan. En mars, à l’issue d’une mission à Bamako, le FMI a estimé que « l’économie malienne continue de se redresser », même si ses experts soulignent qu’« elle fait face à des risques de détérioration croissants en raison d’une situation sécuritaire volatile ».
Les perspectives macroéconomiques sont bonnes , avec un taux de croissance compris entre 5 % et 6 % à court terme. Ces dernières années, les récoltes ont été abondantes ; en 2017, le pays est devenu le premier producteur de coton du continent, et ses plaines devraient fournir plus de 9 millions de tonnes de céréales en 2018 ; la filière aurifère est en plein boom…
La baisse du chômage est trop faible pour constituer un réel succès à mettre à l’actif de l’exécutif
La situation reste néanmoins fragile, et les dépenses inhérentes aux impératifs sécuritaires et à l’organisation du scrutin présidentiel pèsent sur les finances publiques. Quant à la baisse du chômage, qui a perdu 1,2 point en six ans, à 9,3 % en 2017, selon l’Institut national de la statistique, elle est trop faible pour constituer un réel succès à mettre à l’actif de l’exécutif.
Les troubles gagnent du terrain
Mais le véritable reproche de ses détracteurs à IBK concerne le dossier sécuritaire. Le chef de l’État n’a pas réussi à ramener la paix dans le Nord. Pis, les troubles semblent même gagner du terrain. Les six principales organisations jihadistes ont aujourd’hui étendu leurs zones d’activité et d’influence jusqu’au centre du pays (voir carte), et certaines d’entre elles, réunies au sein de la coalition jihadiste Nusrat al-Islam Wal Muslimin (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans), ont démontré leur puissance de frappe en perpétrant l’attentat meurtrier du 2 mars, à Ouagadougou, contre l’état-major des armées et l’ambassade de France.
À Koulouba, la grille de lecture est tout autre. Et les éléments de langage pour la campagne sont déjà en place
Outre la menace terroriste, le centre du pays a connu des conflits intercommunautaires entre Peuls, traditionnellement éleveurs, et les ethnies bambara et dogon, pratiquant majoritairement l’agriculture. Des milliers de personnes ont été déplacées, et plus de 350 morts ont été recensés entre le 1er janvier et la mi-avril, dont 60 membres des Forces armées et de sécurité du Mali (Famas) et une dizaine de militaires étrangers, selon des chiffres du Parti pour la renaissance nationale (Parena). La crise est encore renforcée par la faible présence de l’État, qui n’a plus les moyens de faire fonctionner les services publics de base dans cette partie du pays. De là à pouvoir y organiser un scrutin en juillet…
À Koulouba, la grille de lecture est tout autre. Et les éléments de langage pour la campagne sont déjà en place. « Contrairement à 2012, il n’y a plus d’affrontements entre la CMA [Coordination des mouvements de l’Azawad] et la Plateforme [alliance de huit groupes armés progouvernementaux formée en juin 2014 lors des négociations d’Alger], ni entre la CMA et les Famas, rappelle Thiéman Hubert Coulibaly, le ministre des Affaires étrangères. Aujourd’hui, les leaders des groupes signataires de l’accord pour la paix et la réconciliation résident à Bamako, Gao, Tombouctou, Kidal… Ils rencontrent des membres du gouvernement auxquels ils s’opposaient il y a quelques mois, parlent de la même voix à la communauté internationale. »
>>> A LIRE – Présidentielle au Mali : IBK va devoir convaincre sur son bilan
Redéploiement de l’armée
Nicolas Desgrais, spécialiste en coopération militaire dans le Sahel, y voit la conséquence de « la montée en puissance de l’armée malienne sur le terrain ». La loi d’orientation et de programmation militaire adoptée en janvier 2015 a permis de renforcer les troupes et leur équipement en matériel roulant, tenues de combat, munitions… « Plus de 3 000 recrues ont achevé leur formation et rejoindront leurs unités sur toute l’étendue du territoire », ont annoncé les Famas le 11 mai.
Le redéploiement de l’armée dans plusieurs villes du pays et la reprise timide des patrouilles mixtes composées de membres des Famas, des mouvements progouvernementaux de la Plateforme et de la CMA – telles que prévues en 2016 dans le cadre du Mécanisme opérationnel de coopération (MOC) à l’issue des négociations d’Alger – sont autant de signes positifs pour instaurer une confiance entre les forces de sécurité et les différents groupes armés. Voire, qui sait, pour restaurer celle entre la population et son président. Réponse dans deux mois.
Cet article, initialement publié dans notre n°2994, a été réactualisé ce 12 juin 2018.
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