[Tribune] Faisons de l’UA le fer de lance d’une Afrique prospère et en paix
Pour que l’Union africaine soit réellement à la hauteur de ses ambitions, il y a urgence à mettre fin à la dépendance de l’UA vis-à-vis des bailleurs de fonds. Il faut aussi que ses dirigeants aient l’audace d’aborder de front les dossiers de la sécurité et de la question du genre.
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Alioune Sall
Alioune Sall est docteur en sociologie, directeur exécutif de l’Institut des futurs africains (IFA).
Publié le 30 mai 2018 Lecture : 4 minutes.
Tribune. Le 7e Forum de Tana – rencontre annuelle d’échanges sur la sécurité en Afrique –, qui s’est tenu à Bahir Dar, en Éthiopie, les 21 et 22 avril, a été dominé par le souci stratégique et légitime d’une réforme de l’Union africaine. Sous l’autorité du Rwandais Paul Kagame, cette réforme ne vise ni plus ni moins qu’à faire de l’UA un véhicule majeur d’une « Afrique prospère et en paix… », vision affichée dès 2004 sous le magistère du Malien Alpha Oumar Konaré.
Parmi les priorités de cette réforme figure la réduction de la dépendance de l’organisation continentale vis-à-vis des bailleurs de fonds, pudiquement appelés partenaires techniques et financiers (PTF), qui soutiennent jusqu’à 70 % de ses activités et lui prodiguent des conseils qui reflètent plus leurs intérêts que le point de vue des décideurs, encore moins celui des citoyens africains.
L’Afrique est le continent le plus investi par une assistance technique étrangère aux conseils pas toujours avisés.
Il en résulte le déploiement sur le continent d’une myriade de stratégies et de politiques qu’il est quasi impossible de mettre en cohérence. Réformer l’UA, c’est donc mettre fin au laisser-faire qui a atteint des proportions telles que, si l’Afrique est aujourd’hui le continent le plus aidé per capita, il est aussi le plus investi par une assistance technique étrangère aux conseils pas toujours avisés.
Briser la dépendance
Pour mettre fin au poids exorbitant des PTF dans les choix de politiques, l’UA doit financer elle-même son développement. Les propositions de Paul Kagame – au demeurant pas si nouvelles que le laissent croire certains – peuvent y contribuer de façon significative si elles sont mises en œuvre sans tarder : la transformation structurelle attendue ne se fera pas si la dépendance se maintient ou si elle croît.
>>> A LIRE – Paul Kagame impose sa méthode à l’Union africaine
Cette réforme devrait aussi viser à donner à l’organisation les moyens de conquérir ou de consolider la souveraineté intellectuelle sans laquelle la souveraineté politique perd de son potentiel libérateur. À l’heure actuelle, nombre de productions intellectuelles estampillées UA sont une pâle copie de la doxa en vogue dans les agences de coopération bilatérale et multilatérale. Un constat qui justifie les accusations de psittacisme et de mimétisme formulées par des observateurs pour qui s’applique ici le proverbe wolof selon lequel « celui qui emprunte des yeux ne peut voir que ce que veulent bien le laisser voir ceux qui lui ont prêté ces yeux ».
En adhérant sans recul aux idées dominantes véhiculées par les classes dominantes, l’Afrique perd l’occasion de s’affirmer.
Le jugement est peut-être sévère, mais force est de reconnaître que, en adhérant sans recul aux idées dominantes véhiculées par les classes dominantes, l’Afrique perd l’occasion de s’affirmer. La réalité est que les solutions d’hier ne sont pas appropriées, et, pour paraphraser Bertolt Brecht, les seules batailles que le continent est certain de perdre sont celles qu’il n’engage pas.
Dans ce contexte, il faut oser : oser penser, oser parler, oser agir. Les questions sur lesquelles cette triple audace s’impose sont nombreuses, mais on en retiendra deux, auxquelles le Forum de Tana a toujours prêté une attention certaine : la sécurité et la question du genre.
Concernant la première, il ne serait pas sans intérêt de se pencher sur les analyses populaires, celles que développent les groupes défavorisés, des mouvements et processus baptisés « extrémisme violent » et « radicalisation religieuse » par certains acteurs sociaux et politiques, civils ou militaires, africains ou non. Des travaux allant dans ce sens ont été lancés dans certains pays du G5, mais ils ne sont, hélas, pas suffisants, et leur portée est amoindrie par le fait que leurs recommandations n’ont pas reçu toute l’attention qu’elles méritent.
Ouvrir le dialogue avec les citoyens
La question du genre, elle, nécessite une approche qui aille à la racine du mal. À cet égard, si le combat pour la parité était une étape nécessaire, il n’en reste pas moins insuffisant. Il faut considérer la question du genre comme révélatrice de la crise de systèmes sociaux qui excluent, qui divisent ; des systèmes dans lesquels le patriarcat, le capitalisme spéculatif, les inégalités économiques extrêmes et les guerres ne constituent pas des phénomènes dissociables les uns des autres, mais des variables qui se renforcent mutuellement et doivent être combattues ensemble. Pour aller à la racine du mal, il faut changer la vision et les valeurs qui sont à la base du système qui génère ces fléaux.
>>> A LIRE – Réforme de l’UA : « Les pressions existeront toujours dès lors que l’Afrique souhaitera se prendre en charge »
Pour réformer l’UA, il faut élargir le cercle des parties prenantes.
Pour réformer l’UA dans ce contexte, pour conquérir la souveraineté intellectuelle ou la consolider, il faut élargir le cercle des parties prenantes. Pour l’heure, l’UA est une organisation intergouvernementale qui appartient à « ces princes qui nous gouvernent » et pas encore aux citoyens. Changer les choses sous ce rapport constitue un défi de taille pour l’UA. Pour le relever, les gouvernements propriétaires de l’UA et si jaloux de leurs prérogatives se doivent, à défaut de coopérer, de collaborer de façon plus étroite avec les autres acteurs producteurs de savoir, de savoir-faire et de savoir-être.
Le Forum de Tana fera œuvre utile s’il continue d’être une instance où ces impératifs sont discutés en toute sérénité par des acteurs politiques, des chercheurs, des activistes, des entrepreneurs ayant en partage le désir de promouvoir un autre développement de l’Afrique, un développement conçu d’abord comme l’élargissement des espaces de liberté et non la simple croissance économique au prix d’une multiforme et insupportable dépendance.
En d’autres termes, le Forum de Tana doit continuer à privilégier des discours et des comportements qui rompent avec le ronronnement des instances où sont débitées en plusieurs langues étrangères des platitudes sur l’Afrique. Et, surtout, ne pas se convertir en Davos bis, forum tam-tam où le désir d’être vu l’emporte sur celui de dialoguer.
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