Rwanda : la longue, longue marche de Louise Mushikiwabo
La ministre rwandaise des Affaires étrangères a rarement été sur la même longueur d’onde que les dirigeants français. Elle va pourtant briguer avec leur soutien le secrétariat général de la Francophonie.
Le 22 mai, c’est dans un avion reliant Buenos Aires à Paris qu’elle a fêté son 57e anniversaire. Le lendemain, à l’Élysée, elle a reçu son cadeau : la promesse d’un nouveau « job », après une quasi-décennie au ministère rwandais des Affaires étrangères – fonction qu’elle cumule avec celle de porte-parole du gouvernement. Ce jour-là, Louise Mushikiwabo a entendu de la bouche d’Emmanuel Macron, après un hommage appuyé à ses « compétences », que la France soutiendrait sa candidature au secrétariat général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF).
Après les quinze jours de suspense qui ont suivi la révélation de ce scénario dans Jeune Afrique, l’affaire est donc entendue : malgré les ruptures, les phrases au vitriol et autres flèches qui empoisonnent depuis 1994 les relations entre leurs deux pays, les présidents Paul Kagame et Emmanuel Macron viennent d’officialiser un armistice improbable dans la guerre froide franco-rwandaise.
Confiante
« L’OIF a besoin d’un face lift », explique cette polyglotte assumée.
« Je suis désormais en campagne », confirme à JA Louise Mushikiwabo, manifestement confiante dans sa capacité à rassembler derrière sa candidature les pays africains membres de l’OIF. Sa priorité ? « Cette organisation a besoin d’un face lift », répond d’entrée cette polyglotte assumée, selon qui « la Francophonie doit s’inscrire dans un cadre multilingue ». « L’OIF est l’un des groupes de lobbying entre États où se discutent les enjeux de politique internationale », précise-t-elle.
Professeure d’anglais
Entre la préfecture de Kigali, où elle a grandi, et Erevan, en Arménie, où se tiendra, en octobre, le prochain sommet de l’organisation, que de chemin parcouru ! Louise Mushikiwabo est parvenue à surmonter tous les obstacles, tous les drames imposés aux Rwandais de sa génération. Née en 1961, au moment où le pays bascule dans les pogroms et met en place un apartheid larvé à l’encontre des Tutsis, elle est la cadette d’une famille de neuf enfants. « Dans cette période difficile, sa naissance a été vécue par la famille comme une bénédiction », se souvient Anne-Marie Kantengwa, sa sœur aînée.
Propriétaire terrien, son père est « un pionnier de la plantation du café ». Il décédera alors qu’elle n’a que 11 ans. Après son bac, la jeune Louise devient brièvement professeure d’anglais au Rwanda, puis obtient une bourse et part se perfectionner aux États-Unis. Son exil lui vaudra d’avoir la vie sauve. Car lorsque le pays bascule dans le génocide, aux premières heures du 7 avril 1994, son frère Landoald Ndasingwa (dit Lando), le leader du Parti libéral, sera l’une des premières personnalités assassinées, avec son épouse, canadienne, et leurs deux enfants. Dans sa famille, les victimes seront légion.
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Depuis Washington, où elle est entre-temps devenue interprète, la jeune femme regarde de loin le Rwanda panser ses plaies, mais se rend quand même épisodiquement à Kigali. En 2005, elle publie aux États-Unis un volumineux récit intitulé Rwanda Means The Universe (ed. St. Martin’s Press). Une manière pour elle de surmonter le traumatisme et de rendre hommage aux disparus.
Trois ans plus tard, Mushikiwabo estime que l’heure du retour au pays a sonné. Sa première fonction officielle l’amène à Tunis, au siège de la BAD, où elle intègre l’équipe de Donald Kaberuka en tant que directrice de la communication. Quelques mois plus tard, elle est de retour à Kigali, où son mari, un Américain discret, la rejoint. Paul Kagame lui confie brièvement le ministère de l’Information, puis, en 2009, la nomme aux Affaires étrangères. Neuf années durant, cette diplomate autodidacte parviendra à tisser de solides réseaux à travers le monde…
Tweets ironiques
Même si elle n’a jamais été membre du Front patriotique rwandais (FPR), « il existe entre Paul Kagame et elle une convergence de façons d’être et de faire assez exceptionnelle, témoigne un responsable rwandais qui les connaît bien. Elle a une certaine intrépidité intellectuelle teintée de patriotisme, et elle n’a pas peur des obstacles, qu’elle franchit avec élégance. »
« Geek » jusqu’au bout des ongles, à l’instar de Kagame, Mushikiwabo a rodé une stratégie de communication bien à elle. Lorsque le régime de Kigali est stigmatisé, c’est par des tweets qu’elle répond.
Ken, Ken, Ken... You've come off your medication again? There is a place called Ndera in #Rwanda, where you can get help!! https://t.co/86kqeH2pXo
— Louise Mushikiwabo (@LMushikiwabo) August 4, 2017
Les responsables français – et quelques autres ! – ont longtemps fait les frais de ses messages ironiques. La hache de guerre est-elle désormais enterrée ? « On reconnaît l’arbre à ses fruits, élude-t-elle. Avec Paris, nous n’en sommes pas encore à la cueillette, mais au moins avons-nous planté un arbre ensemble. Il nous revient à présent de l’arroser. »
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