Madagascar : un parfum de fin de règne pour Rajaonarimampianina

Si la Haute Cour constitutionnelle n’a pas osé déchoir le très contesté chef de l’État, le rappel à l’ordre qu’elle lui a signifié a ouvert de facto la course à sa succession. Et la nomination, lundi 4 juin, de Christian Ntsay au poste de Premier ministre ne change rien au parfum de fin de règne qui flotte sur Antananarivo.

Hery Rajaonarimampianina, lors d’une conférence de presse au palais d’Iavoloha, le 29 avril. © RIJASOLO/AFP

Hery Rajaonarimampianina, lors d’une conférence de presse au palais d’Iavoloha, le 29 avril. © RIJASOLO/AFP

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Publié le 6 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

Hery Rajaonarimampianina est bien victime d’un « coup d’État ». Pas militaire, comme le furent certains de ses prédécesseurs, et encore moins populaire, contrairement à ce que le président malgache avait un peu vite affirmé, au soir du 22 avril, quand il s’agissait de parer au plus pressé après la mort de plusieurs manifestants, mais bien constitutionnel.

Nouveau Premier ministre

Le 18 avril, en lui imposant la formation d’un nouveau gouvernement, la Haute Cour constitutionnelle (HCC) a bousculé le jeu politique et donné le coup d’envoi de la campagne électorale de la prochaine présidentielle. Lundi, au terme d’un week-end d’âpres négociations, Hery Rajaonarimampianina a nommé Christian Ntsay au poste de Premier ministre. Charge à lui de nommer un gouvernement capable de sortir de la crise et de conduire le pays jusqu’à l’élection présidentielle.

En allant au-delà de ses responsabilités, [la Haute Cour constitutionnelle] oblige les politiciens à prendre les leurs

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En mettant ainsi la pression sur le président, la HCC « est incontestablement sortie de son rôle, mais en allant au-delà de ses responsabilités, elle oblige les politiciens à prendre les leurs, résume un représentant de la communauté internationale dans la capitale malgache. Elle force au dialogue des gens qui ne voulaient pas se parler. » Dans son viseur, les deux derniers présidents de la République et l’actuel titulaire du poste : Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina et Hery Rajaonarimampianina.

Jusqu’à présent, chacun semble surtout s’être évertué à trouver les préalables qui empêcheront toute discussion, et c’est pour sortir de cette impasse que la HCC, après s’être empressée d’annoncer une décision attendue avec nervosité par tout le pays, a sommé majorité et opposition de trouver « en dix jours » un accord politique qui sortirait Madagascar de l’impasse.

Tenir l’agenda électoral

Réunis autour de leur président, Jean-Eric Rakotoarisoa, les neuf sages de la HCC n’ont pas osé déchoir le président, même s’ils reconnaissent ses manquements, à quelques mois seulement d’un scrutin prévu avant la fin de 2018. Ils ont en revanche sérieusement rebattu les cartes en exigeant la nomination d’un Premier ministre « de consensus », chef d’un gouvernement dont la principale mission sera d’organiser le premier tour du scrutin dans les nouveaux délais impartis.

Des manifestants à Antananarivo, le 25 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

Des manifestants à Antananarivo, le 25 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

L’objectif est clair : sortir les gens de la rue en leur faisant miroiter les urnes

La HCC demande en effet que les élections soient organisées avant la prochaine saison humide, soit fin octobre au plus tard, alors que la date le plus communément avancée jusqu’alors était le 25 novembre.

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« L’objectif est clair : sortir les gens de la rue en leur faisant miroiter les urnes », estime Christine Razanamahasoa. Cette députée du Mapar – l’une des principales voix des manifestations organisées quotidiennement par les parlementaires de l’opposition sur la place du 13-Mai – figure parmi les trois noms le plus souvent évoqués comme premier-ministrables.

C’est en effet au mouvement d’Andry Rajoelina que revient le droit de proposer le prochain chef du gouvernement, en tant que « parti ou groupement de partis majoritaire lors des élections législatives de 2014 », selon la terminologie de la HCC. « Comme si les sages rendaient implicitement caduc tout ce qui s’est passé depuis cette date sur la scène politique malgache », constate Hajo Andrianainarivelo, président du MMM, un autre parti d’opposition.

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L’heure des défections

À commencer par l’existence même du HVM, la formation présidentielle créée au lendemain des législatives pour donner une majorité parlementaire à un Hery Rajaonarimampianina alors fraîchement élu et déjà en froid avec Andry Rajoelina, qui lui avait pourtant fait la courte échelle pour accéder au pouvoir.

Pour s’émanciper de son mentor, le « troisième homme » de l’époque avait rassemblé les indépendants et débauché des députés élus sous les étiquettes du Mapar et du TIM, de Marc Ravalomanana.

À l’heure des comptes et des premières défections, le président risque de se retrouver encore un peu plus seul dans son grand palais d’Iavoloha, situé à l’extérieur d’une capitale où tout s’est joué. « Il a commis trop de maladresses. Il n’a pas su imposer les décisions qui lui auraient permis d’apparaître comme un rassembleur », regrette l’un de ses propres conseillers.

>>> A LIRE – Crise à Madagascar : un président fragilisé, une opposition radicalisée

Début mai, déjà, il a été désavoué par la HCC, qui estimait anticonstitutionnelles certaines des lois électorales qui avaient poussé l’opposition dans la rue. Dépouillé de son groupe parlementaire et obligé de composer avec un gouvernement de coalition, « Hery » doit se demander sur qui il va bien pouvoir compter pour tenter de remporter cette « campagne de la saison sèche ».

Corruption et pauvreté

Des centaines de femmes lavent du linge dans une rivière près d' Antananarivo. © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

Des centaines de femmes lavent du linge dans une rivière près d' Antananarivo. © Schalk van Zuydam/AP/SIPA

La population attend toujours de récolter les fruits de la croissance, pourtant honorable

Plombé par les promesses non tenues et par des affaires de corruption impliquant certains de ses proches, celui qui n’est toujours pas officiellement candidat à sa succession ne peut même pas s’appuyer sur une croissance économique pourtant honorable mais dont la population attend toujours de récolter les fruits. Cette dernière semble d’ailleurs prête à tourner la page, « et il est aujourd’hui beaucoup trop tard pour espérer inverser la tendance », constate un diplomate étranger de la place.

Obligé de démissionner deux mois avant la date du premier tour, Hery pourrait être contraint de laisser son fauteuil dès la fin du mois de juin. « Certains parlent même du 22 juin au Mapar, croit savoir l’un des médiateurs internationaux, pour pousser le président dehors avant la fête nationale qui a lieu quatre jours plus tard. » Comme une humiliation supplémentaire prêtée à un Andry Rajoelina qui apparaît comme le grand vainqueur de cette nouvelle donne.

Absent de la scène politique malgache ces dernières années, il a fait une rentrée éclatante au pays. Auréolé par la réussite du premier forum de son Initiative pour l’émergence de Madagascar (IEM), organisé les 24 et 25 mai dans la capitale, le voici maître du calendrier de la présidentielle en même temps que du gouvernement, qui les organise.

L’ancien président de la transition semble avoir mis son éclipse politique à profit pour se forger une image de politicien responsable, à l’écoute des besoins de son pays. « S’il manœuvre bien, il dispose d’une voie royale devant lui », pronostique notre diplomate.

Ravalomanana en embuscade

Un portrait déchiré de l'ancien président Marc Ravalomanana, en 2009 au palais préidentiel, après la démission de ce dernier. © Jerome Delay/AP/SIPA

Un portrait déchiré de l'ancien président Marc Ravalomanana, en 2009 au palais préidentiel, après la démission de ce dernier. © Jerome Delay/AP/SIPA

Marc Ravalomanana n’a rien perdu de sa superbe, et la décision de la HCC semble même l’avoir remis dans la course. Sans amis et sans argent, selon ses adversaires, le président du TIM semble encore disposer d’un crédit suffisant auprès des couches populaires pour jouer un rôle aux prochaines échéances électorales.

Et pas seulement celui de simple « faiseur de rois » que la rumeur lui prête : seul candidat aujourd’hui déclaré, il a d’abord tenté de monnayer son soutien à « Hery » avant de se rapprocher de celui qui l’avait pourtant évincé en 2009 avec l’aide de l’armée. De là à envisager une alliance entre lui et Rajoelina, il y a pourtant un pas que personne ne franchit.

« Il subsiste beaucoup de rancœur entre eux », confirme un parlementaire. Faute de réconciliation, les deux principaux acteurs du « ni-ni » de 2013 pourraient avoir enfin l’occasion d’en découdre à travers les urnes, cinq ans plus tard. Avec peut-être à la clé la fin de la crise qui frappe le pays depuis bientôt une décennie.

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