[Édito] Vitesse de croisière

Deux « sommets » se succèdent mais ne se ressemblent pas. Le premier s’est tenu les 8 et 9 juin à La Malbaie, au Québec, et a rassemblé les chefs d’État (ou de gouvernement) du G7 ; le second se réunit dans la foulée, le 12 juin, à Singapour.

Le sommet entre Donald Trump et Kim Jong-Un, le 12 juin 2018, à Singapour. © Evan Vucci/ AP/ SIPA

Le sommet entre Donald Trump et Kim Jong-Un, le 12 juin 2018, à Singapour. © Evan Vucci/ AP/ SIPA

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Publié le 11 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Édito. Se rendront dans cette dernière, où ils se rencontreront pour la première fois, le président des États-Unis d’Amérique (320 millions d’habitants) et le dictateur de la petite Corée du Nord communiste (26 millions d’habitants).

Aux États-Unis, le PIB annuel par citoyen est de 60 000 dollars, contre 1 200 dollars en Corée du Nord.

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L’Occident en recul

Seul à participer aux deux réunions, Donald Trump paraît au faîte de son pouvoir, incassable et inclassable. Il a commencé à mettre en œuvre ses idées, mélange de populisme, de nationalisme et de protectionnisme.

1) Au cours du dernier G7, ou plutôt dans ses coulisses, un sujet important était dans tous les esprits : l’évolution du rapport de force sur la scène internationale.

Des statistiques indiscutables, et que les participants de ce G7* ne pouvaient ignorer, ont établi que l’Occident est en recul et que cette tendance va se poursuivre inexorablement.

En 1995, la part du G7 dans le PIB mondial était de 45 % ; en 2018, elle est tombée à 31 % ; et elle ne sera plus que de 20 % en 2050. En revanche, la part des émergents dans le PIB mondial était de 22 % en 1995, de 36,3 % en 2015 et caracolera autour de 50 % en 2050.

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Les puissances émergentes, surtout la Chine, ont mieux saisi les subtilités de la mondialisation et recueillent ainsi les fruits de leur perspicacité.

Un sommet d’égal à égal ?

2) Le sommet de Singapour : pourquoi un homme de plus de 70 ans, maître de la plus grande puissance de tous les temps, traverse-t-il la moitié de la terre pour rencontrer un « jeunot », chef (héréditaire) de l’un des cinq derniers pays communistes de la planète, le traitant d’égal à égal, faisant montre à son endroit de beaucoup de considération après l’avoir, tout récemment, traité de tous les noms et menacé de destruction ?

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Une seule raison : ce « jeunot » est maître d’un petit pays très pauvre mais qui possède quelques ogives nucléaires et des missiles pour les porter. Alors on le submergera d’amabilités, qu’on alternera avec les habituelles pressions.

Donald Trump ne veut obtenir qu’une chose : que Kim Jong-un renonce de son plein gré à ce qui fait que l’on considère et craint son pays. Et ce contre les promesses d’un homme et d’un pays qui viennent de montrer qu’ils ne se sentent pas obligés de les tenir.

Vous pensez comme moi que Kim ne fera pas ce que Trump exige de lui et ne comprenez pas que ce dernier ait la naïveté ou l’outrecuidance de croire qu’il peut obtenir l’impossible.

Pour Kim Jong-un, la bombe est sa seule garantie de survie.

Qui à Singapour roulera l’autre dans la farine ? Ces deux hommes et leurs proches collaborateurs résoudront-ils cette quadrature du cercle ou donneront-ils l’impression de l’avoir résolue ?

Les décisions prises lors de ce « sommet » seront-elles suivies d’effets ? Ou bien ces deux chefs d’État échangeront-ils des « promesses qui n’engagent que ceux qui les croient » ?

Douteux protagonistes

Nous en jugerons dans quelques jours. En attendant, je livre à votre réflexion cette règle. Vous y trouverez peut-être l’explication de ce qui motive les deux protagonistes de cette hasardeuse rencontre.

« Quand deux personnes se parlent, il y a en fait six personnes qui se font face :

1- Ce que chacune des deux est.

2- Ce que chacune pense qu’elle est.

3- Ce que chacune pense que l’autre est. »

Et retenez cette autre comparaison, qui, elle aussi, incite à réfléchir : il y a près de cinquante ans, en 1972, un président américain s’était déplacé pour rencontrer un chef d’État asiatique et sceller avec lui un pacte stratégique. C’était Richard Nixon, accompagné de Henry Kissinger. Ils s’étaient rendus à Pékin pour négocier avec Mao Zedong et Chou En-lai. Le résultat a stupéfié le monde, et ses effets perdurent à ce jour.

Près d’un demi-siècle plus tard, on est descendu de plusieurs crans : ce sont Donald Trump (flanqué de John Bolton et de Mike Pompeo) et Kim Jong-un qui s’efforcent de parvenir à un arrangement dont sortira, peut-être, à très long terme, la réunification des deux Corées.

L’objectif est aussi douteux que ceux qui le poursuivent.

Un désir de domination américaine sur le Moyen-orient

Entré dans sa deuxième année à la Maison-Blanche, Donald Trump semble être arrivé à sa vitesse de croisière. Il s’est doté de collaborateurs encore plus « faucons » que lui et peut se payer le luxe de les calmer, de les retenir d’aller trop loin.

Il peut se montrer conciliant avec la Corée du Nord pour se concentrer avec ses alliés israéliens et saoudiens sur le dossier iranien.

>>> A Lire: [Édito] États-Unis, Israël et Arabie saoudite : l’axe du mal

L’histoire récente a montré que la République islamique était capable de développer son programme nucléaire, et en particulier de se doter d’un nombre croissant de centrifugeuses. Les sanctions ou les embargos n’y ont rien changé.

Les adversaires les plus résolus de Téhéran affirment, eux, que la seule façon d’en finir avec certitude avec le programme nucléaire iranien est de détruire, matériellement, les installations dans lesquelles il est élaboré.

John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump, ou Mike Pompeo, son secrétaire d’État, soutiennent ardemment cette politique. Ils pensent qu’une telle attaque, qui consisterait probablement en une série de frappes contre divers sites, marquerait le début d’une nouvelle ère de domination du Moyen-Orient par les États-Unis et Israël.

Selon eux, le peuple iranien considérerait les Américains comme ses libérateurs. L’offensive forcerait le régime des mollahs à abandonner toute idée d’hégémonie régionale et à tourner le dos à ses prétentions nationalistes.

Ce qui le conduirait à finalement s’accommoder de l’existence de l’État d’Israël et à se rapprocher des nations arabes voisines.

Avant Trump, Pompeo et Bolton, un certain George W. Bush, poussé par son vice-président, Dick Cheney, avait fait le même calcul et les mêmes prévisions pour l’Irak.

Ils se sont révélés on ne peut plus faux.

* Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni.

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