Bande-dessinée : « Congo 1905 », voyage au cœur de la violence coloniale

Avec Congo 1905 – Le Rapport Brazza, Vincent Bailly et Tristan Thil plongent dans l’horreur coloniale et dénoncent les collusions entre appareil d’État et grandes compagnies.

congo 1905, le rapport brazza © vincent bailly et tristan thil/futuropolis

congo 1905, le rapport brazza © vincent bailly et tristan thil/futuropolis

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 22 juin 2018 Lecture : 3 minutes.

Le 14 juillet 1903, la France, patrie des droits de l’homme, célèbre comme chaque année sa fête nationale. À Fort Crampel, en Oubangui-Chari, l’administrateur des colonies Georges Toqué et le commis des affaires indigènes Ferdinant Gaud font eux aussi la fête : ils libèrent certains prisonniers et décident d’en exécuter un, Papka, ancien guide à l’origine d’une embuscade contre les troupes françaises.

« On pourrait le décapiter à la dynamite, propose Gaud. Ni trace de coup de fusil ni trace de coup de sagaie… C’est par une sorte de miracle que meurt celui qui n’a pas voulu faire amitié avec les Blancs… ça a l’air idiot, mais ça médusera les indigènes. » Papka sera exécuté au moyen d’un bâton de dynamite introduit dans l’anus.

C’était hallucinant de tomber sur un texte porté disparu, puis rendu public, qui mettait en lumière des faits peu connus et d’une grande violence, raconte le scénariste

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L’affaire Gaud et Toqué est tristement célèbre ; c’est elle qui conduit à l’envoi au Congo d’une mission d’enquête pilotée par Pierre Savorgnan de Brazza, deux ans plus tard. Avec la bande dessinée Congo 1905 – Le Rapport Brazza, le premier secret d’État de la « Françafrique », le scénariste Tristan Thil et le dessinateur Vincent Bailly reviennent en détails sur les découvertes macabres de Savorgnan de Brazza, qui meurt à Dakar le 14 septembre 1905 à l’issue de cet ultime voyage.

« J’ai pris connaissance du fameux “Rapport Brazza” par l’intermédiaire d’un ami éditeur, Dominique Bellec, qui l’a publié aux éditions Le passager clandestin (collection Les Transparents) en 2014, se souvient Thil. C’était hallucinant de tomber sur un texte porté disparu, puis rendu public, qui mettait en lumière des faits peu connus et d’une grande violence. » Pour autant, la bande dessinée n’est en rien un simple digest du rapport rédigé par la commission Lanessan, qui fut ensuite sévèrement édulcoré, puis enterré en 1907 sur injonction du ministère des Affaires étrangères, par le ministre Raphaël Milliès-Lacroix, successeur d’Étienne Clémentel au ministère des Colonies.

Une fouille dans les archives

Tristan Thil est en effet allé au-delà du texte administratif, fouillant dans les notes de Savorgnan de Brazza, versées aux Archives nationales d’outre-mer à Aix-en-Provence. « J’aime les histoires personnelles qui traversent les moments historiques, précise Thil. J’ai consulté les notes de frais de la mission, les lettres de Brazza à sa femme, toutes ses notes personnelles, les témoignages des Noirs qui n’avaient pas été retenus par la commission, tout cela donnait corps au personnage et à l’histoire. »

À Fort-Sibut (aujourd’hui Krébédjé, République centrafricaine), Brazza constate de lui-même les « moyens employés par agent administration pour faire rentrer impôts en nature dans territoires concédés ». Le rapport du docteur Fulconis sur les « femmes otages » de Bangui – 45 femmes sur 58 et 2 enfants sur 10 moururent de faim – est sans appel.

Ce que décrit Brazza en 1905, c’est à peu près la même chose qu’aujourd’hui, il suffit de remplacer “caoutchouc” par “métaux rares” dans l’équation. Le système va perdurer bien au-delà de la période coloniale, soutient Thil

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Il serait rassurant de penser que ces sombres pages sont désormais tournées, archivées, digérées. C’est tout le contraire. Les collusions complexes entre État, forces armées et industriels au détriment des habitants n’appartiennent malheureusement pas au passé.

« Ce que décrit Savorgnan de Brazza, c’est la genèse d’un système qui s’est généralisé par la suite : le bassin du Congo est un terrain d’expérimentation pour les grandes puissances, soutient Thil. Ce que décrit Brazza en 1905, c’est à peu près la même chose qu’aujourd’hui, il suffit de remplacer “caoutchouc” par “métaux rares” dans l’équation. Le système va perdurer bien au-delà de la période coloniale. »

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