Dans « Bad News », Anjan Sundaram explore l’envers du miracle rwandais
Dans un livre très critiqué au Rwanda, Anjan Sundaram dresse un état des lieux préoccupant de la liberté de la presse dans ce pays.
Se rendre au Rwanda, c’est toujours faire une étrange expérience. Il y a ce qui saute aux yeux, les immeubles flambant neufs de Kigali, les routes parfaitement entretenues, la sécurité la plus totale… Le « miracle rwandais » est là, tangible et d’autant plus frappant que bâti sur les cendres du dernier génocide du XXe siècle.
Et puis il y a une autre réalité, plus diffuse, qui ne se mesure qu’au fil des discussions avec les habitants. Celle d’un unanimisme parfait, sans plainte ni critique à l’égard du gouvernement, qui finit par devenir curieux pour tout observateur étranger. La fabrique de ce consensus est justement le thème de Bad News, récit du journaliste franco-indien Anjam Sundaram, qui vient de paraître en français.
Contrôle étroit de l’information
Il y raconte son expérience, entre 2009 et 2013, au sein d’un programme financé par l’Union européenne pour former les journalistes locaux et les aider à bâtir des médias indépendants, sortant au besoin de la ligne du parti au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR).
Vous n’êtes pas autorisé à regarder et à écrire par vous-même
Ce faisant, Sundaram offre au lecteur une plongée fascinante, et hautement perturbante, dans ce Rwanda de l’ombre. Informations dissimulées, journalistes traqués, achetés et même assassinés, infiltration particulièrement sophistiquée des services secrets, complaisance de la communauté internationale… L’auteur relate une multitude d’événements qui, mis bout à bout, débouchent sur un contrôle étroit de l’information.
« Vous ne pouvez pas regarder puis écrire, lui dit un jour un policier, alors qu’il prend des notes en marge d’un événement. Si vous avez besoin d’une information, il faut la demander à lui […]. Lui, on le connaît. On pourra le retrouver s’il vous raconte des mensonges. Mais vous n’êtes pas autorisé à regarder et à écrire par vous-même. »
Illusion de certitude
Ce récit très subjectif, dans la veine de la non-fiction littéraire américaine, a pour grand intérêt de décrire l’effet de ce climat sur l’esprit de l’auteur. Sundaram montre ainsi comment il finit, lui-même, par douter de faits dont il a été témoin et verser dans la paranoïa. Une nuit, des bruits sur le toit de sa maison le persuadent par exemple que des hommes sont venus l’enlever. Avant qu’il se rende compte, au petit matin, qu’il ne s’agissait que de rapaces…
Le livre a néanmoins les défauts de ses qualités. Écrit comme un roman, il reste en effet flou sur les faits qu’il relate : ils ne sont pas précisément datés, et les noms des protagonistes ainsi que ceux de certaines organisations sont masqués ou changés.
« J’ai fait ce choix d’une part pour protéger mes sources, car certaines vivent toujours au Rwanda et risquent beaucoup, explique Sundaram. Mais aussi parce que cela me paraissait aller avec mon expérience. Comme on ne peut être sûr de rien, être très précis aurait donné une illusion de certitude, une stabilité des choses qui était totalement bousculée à la fin de mon histoire. »
Un homme s’est en tout cas reconnu dans ce récit : Sam Gody Nshimiyimana. Dans une tribune, cet ancien journaliste, qui vit toujours à Kigali, assure être le personnage nommé Moïse dans le livre, et affirme que les faits et événements qui le concernent sont « complètement inventés ». Il s’agit, d’ailleurs, de la position du gouvernement rwandais à l’égard de ce livre.
En s’éloignant du journalisme traditionnel pour faire la part belle au récit, Sundaram s’est en tout cas affranchi de certaines de ses contraintes, comme celle de donner aux personnes mises en cause la possibilité de se défendre. Anjam Sundaram relaie ainsi des témoignages accusant le FPR d’être responsable de l’attentat du 6 avril 1994, sans donner au lecteur les faits et arguments allant à l’encontre de cette thèse.
Un portrait du journalisme daté
Sa critique du régime de Kigali le conduit aussi à trouver des qualités à certains crimes de ses opposants. À propos d’une série d’attentats à la grenade, à Kigali, en 2010, il écrit par exemple : « Les explosions étaient d’audacieux gestes de défi. Les grenades étaient lancées à proximité d’arrêts de bus et de marchés bondés, mais toujours dans des endroits déserts. »
Certaines de ces attaques vont pourtant bel et bien blesser et tuer des innocents. « C’est vrai que ce n’était pas seulement audacieux, c’était aussi terrible, reconnaît-il. C’était une manière extrêmement violente de montrer [au président Paul] Kagame que la sécurité dont il était très fier n’était pas totale. »
Enfin, le portrait qu’il brosse du journalisme rwandais est relativement daté. Si mener un travail de journaliste indépendant au Rwanda demeure très difficile, certaines rédactions s’y sont installées, comme celle de Rwanda Today, supplément local de l’hebdomadaire kényan The East African. Malgré les contraintes, il jouit d’une relative indépendance. Bad News y a d’ailleurs été chroniqué, lors de sa sortie en anglais, en 2016.
On pourra donc juger excessives certaines conclusions de l’auteur, dont le témoignage demeure tout de même essentiel pour comprendre le Rwanda contemporain.
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