RDC : Jean-Pierre Bemba, bientôt de retour ?

Passé du pire criminel à la victime d’une injustice, ce poids lourds de la politique congolaise pourrait bien réussir un incroyable come-back sur la scène politique, et peut-être briguer la présidence en décembre.

Le 8 juin, au siège du MLC, à Kinshasa, les partisans de Jean-Pierre Bemba exultent. © JOHN WESSELS/AFP

Le 8 juin, au siège du MLC, à Kinshasa, les partisans de Jean-Pierre Bemba exultent. © JOHN WESSELS/AFP

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Publié le 25 juin 2018 Lecture : 8 minutes.

Le fils de Jeannot Saolona Bemba et opposant congolais Jean-Pierre Bemba © Michael Kooren/AP/SIPA
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Branle-bas de Bemba en RDC

Après sa libération surprise, l’ex-chef de guerre peut-il réussir un incroyable come-back et briguer la présidence en décembre ? Le pouvoir est inquiet. Et l’opposition, embarrassée.

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Pendant dix ans, à La Haye, Jean-Pierre Bemba a été traité comme le pire des criminels congolais – et les prétendants au titre ne manquent pas, y compris entre les murs du pénitencier de Scheveningen. Condamné en première instance à dix-huit ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il avait écopé en 2016 de la peine la plus lourde jamais infligée par la Cour pénale internationale (CPI). Pour tuer le temps, l’ancien chef rebelle en treillis, qui tenait jadis un tiers de la RD Congo par les armes, s’était trouvé une nouvelle passion : la peinture. Voilà qui aura peut-être aidé cet homme réputé impulsif à mieux maîtriser ses nerfs…

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Mais entre deux toiles, ce colosse de 1,90 m a continué à diriger son parti, le Mouvement de libération du Congo (MLC), d’une main ferme. Il s’est tenu informé de tous les soubresauts de la politique congolaise et a reçu des interlocuteurs de tous horizons pour affiner son analyse. Jamais il n’a cessé de croire en son destin. « Il n’a pas changé, témoigne l’un de ses visiteurs. Il est toujours d’une assurance folle. Il traitait ses geôliers comme s’ils étaient ses gardes du corps ! »

C’est désormais à lui de demander une indemnité à la CPI, clame son ancien avocat

En prononçant son acquittement en appel, le 8 juin, la CPI a donc fait plus que libérer un homme : elle a remis en selle l’un des poids lourds de la politique congolaise, qui plus est auréolé du statut de victime d’une injustice voire, dans l’esprit de nombre de ses concitoyens, d’un complot étranger. Bemba lui-même en est convaincu. « C’est désormais à lui de demander une indemnité à la CPI, clame son ancien avocat, Aimé Kilolo, qui a un temps été détenu avec lui. Elle lui doit au moins 100 millions de dollars ! »

Jean-Pierre Bemba va pouvoir retrouver ses proches en Belgique, notamment sa femme, Liliane, et leurs cinq enfants, et recouvrer ses avoirs gelés. Mais sa libération, intervenue dans la soirée du 12 juin, n’est officiellement que provisoire, et l’ancien détenu doit encore observer certaines règles, qui lui paraîtront sans doute légères en regard de ce qu’il a subi ces dernières années. Ses éventuels voyages à l’étranger seront strictement encadrés et soumis à l’accord du pays hôte. Et il ne pourra pas s’exprimer publiquement sur ses affaires en cours à la CPI.

Un désaveu pour la procureure Fatou Bensouda

Car Bemba est encore sous le coup d’une condamnation à un an de prison et 300 000 euros d’amende pour subornation de témoins, une peine prononcée en appel en mars dernier. Cela fait en réalité bien longtemps qu’il l’a purgée, mais le bureau de la procureure Fatou Bensouda a demandé qu’elle soit alourdie. L’acquittement dans l’affaire principale a été pour elle un cinglant désaveu, et l’on voit mal comment elle pourrait obtenir gain de cause. Cette requête doit toutefois être examinée lors d’une audience fixée au 4 juillet. Selon toute vraisemblance, Bemba recouvrera sa pleine et entière liberté dans les heures qui suivront.

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Qu’en fera-t-il ? S’en saisira-t-il pour se présenter à l’élection présidentielle de décembre prochain et ainsi prendre sa revanche sur 2006 ? Pour ce premier scrutin pluraliste de l’histoire du pays, il s’était hissé au second tour et n’avait perdu contre Joseph Kabila que de peu : il avait obtenu près de 42 % des suffrages, contre 58 % pour l’actuel chef de l’État. « Lui seul pourra parler de ses intentions, élude Fidèle Babala, l’un de ses adjoints les plus proches. Tout ce que je peux dire, c’est que son engagement reste entier. »

Le gouvernement inquiet

À supposer que la présidentielle soit son objectif, il lui faudra déjà rentrer au pays avant le 8 août, date limite de dépôt des candidatures. À Kinshasa, c’est peu dire que son acquittement a pris tout le monde de court, mais les membres de la majorité ont eu pour consigne de ne pas s’en offusquer publiquement. « M. Bemba peut revenir quand il veut, il n’y a pas de problème », a déclaré le ministre de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba. On peut toutefois douter que le gouvernement lui permette de se poser sur le tarmac de l’aéroport de Ndjili sans embûches…

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Kinshasa le porterait en triomphe, les autorités congolaises le savent. Elles n’ont pas oublié que, le 27 juillet 2006, plusieurs centaines de milliers de personnes avaient escorté le candidat Bemba de ce même aéroport jusqu’au stade Tata-Raphaël pour son dernier meeting et que, quelques mois plus tard, en octobre, lors du second tour, l’ancien vice-président avait remporté 70 % des suffrages dans la capitale… Cela ne peut qu’inquiéter le gouvernement, qui s’efforce, depuis plus de trois ans maintenant, d’empêcher tout rassemblement hostile au pouvoir sur les artères de Kinshasa – c’est pour cette même raison que le rapatriement de la dépouille de feu Étienne Tshisekedi est bloqué depuis seize mois.

Il ne faut pas oublier que Bemba a quitté le pays en 2007 comme un fugitif avec l’aide de l’ONU, rappelle, le conseiller diplomatique de Kabila

L’entourage du chef de l’État pourrait donc être tenté de retarder le retour du « Chairman ». Jean-Pierre Bemba n’a aujourd’hui plus de passeport congolais valide. S’en faire délivrer un nouveau peut prendre au moins deux semaines, peut-être plus si l’administration venait à manifester de la mauvaise volonté. La justice pourrait aussi vouloir réactiver des enquêtes sur les violences commises par ses troupes, notamment en Ituri et dans la capitale au début des années 2000.

« Il ne faut pas oublier que Bemba a quitté le pays en 2007 comme un fugitif avec l’aide de l’ONU, rappelle Barnabé Kikaya bin Karubi, le conseiller diplomatique de Kabila. Je ne sais pas où en sont les enquêtes, mais il a commis de nombreuses exactions… » Pour lui, cette libération a été organisée par les Occidentaux. De nouvelles procédures judiciaires contre Bemba pourraient donner le sentiment qu’on le persécute, mais cela a été d’une redoutable efficacité face à un autre opposant, Moïse Katumbi, en exil depuis plus de deux ans.

Après avoir passé dix années à La Haye, Bemba prendra-t-il le risque de se retrouver dans l’une des cellules, beaucoup moins confortables, de la prison de Makala ? Face à ce dilemme, Jean-Pierre Bemba dispose d’un atout : son immunité de sénateur, mandat qu’il détient depuis 2007 et dont il n’a pas été déchu. S’il parvient à franchir tous ces obstacles, il faudrait encore que sa candidature soit validée par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).

Potentielle division de l’opposition

Là, sa condamnation pour subornation de témoins à La Haye, bien que mineure au regard de ce qui lui était par ailleurs reproché, pourrait être retenue contre lui. En France par exemple, cette infraction relève de la corruption, et la corruption est une cause d’inéligibilité selon la loi électorale congolaise. Toutefois, exclure du scrutin un Bemba entouré de ses partisans à Kinshasa serait politiquement délicat. Le pouvoir pourrait-il se satisfaire de sa candidature ? Peut-être, dans la mesure où celle-ci pourrait contribuer à la division de l’opposition, laquelle risque de lui être fatale lors de ce scrutin à un seul tour.

« Jean-Pierre Bemba s’est dit favorable à une candidature unique de l’opposition », assure toutefois l’ex-Premier ministre Adolphe Muzito, dernière personnalité congolaise de premier plan à lui avoir rendu visite à La Haye, le 5 juin. Mais Bemba accepterait-il de se ranger derrière quelqu’un d’autre ? S’effacer n’a jamais été dans sa nature. Lors des élections de 2011, il n’avait appelé à voter pour Étienne Tshisekedi que du bout des lèvres, et sans jamais prononcer son nom. « Il était très fort dans le rapport de force au moment des rébellions armées, analyse un opposant bien informé. Mais il n’a pas la culture démocratique qui permet de fédérer derrière lui ou de former des coalitions. »

Un projet d’alliance avec Vital Kamerhe ?

De fait, l’école de Bemba fut avant tout celle du parti unique de Mobutu Sese Seko. Son père, l’homme d’affaires Jeannot Bemba Saolona, originaire de l’ex-province de l’Équateur, a fait fortune sous le Maréchal. Après des études de commerce en Belgique, Jean-Pierre est devenu le conseiller économique de l’homme à la toque de léopard et l’un de ses plus proches confidents, jusqu’à ce qu’il soit renversé par Laurent-Désiré Kabila, le père de l’actuel président, en 1997. Bemba formera sa fameuse rébellion, le MLC, en reprenant notamment certains anciens cadres des Forces armées zaïroises et établira son quartier général à Gbadolite, ville d’origine de Mobutu.

Même si Jean-Pierre Bemba a tenté de s’en dissocier, il ne peut se débarrasser totalement de cet héritage. Dans l’entre-deux-tours de la présidentielle de 2006, l’autoritaire Mwana ya Mboka (« fils du pays », en lingala) n’était pas parvenu à se trouver de nouveaux alliés. Le scrutin avait du reste révélé une nette coupure entre l’ouest lingalaphone du pays, qui lui était acquise, et l’est swahiliphone, plus rétif mais aussi plus peuplé.

Cette fracture pourrait bien se réveiller pendant la campagne à venir, voire dès la constitution des alliances préliminaires. Si Bemba s’entend bien avec Vital Kamerhe, le leader du Sud-Kivu – un projet d’alliance était déjà en discussion avant sa libération –, il a refusé il y a quelques semaines de recevoir le Katangais Moïse Katumbi, qui voulait lui rendre visite en prison. Or Katumbi reste très proche de Félix Tshisekedi, dont le fief se trouve dans le centre du pays. Le principal obstacle sur la route de l’intransigeant Bemba pourrait finalement être son propre caractère.

Des ex-lieutenants toujours en activité

Jean-Pierre Bemba n’était pas en Centrafrique en 2002 et en 2003. Ses hommes étaient dirigés par deux anciens officiers des Forces armées zaïroises, qui n’ont pas été inquiétés mais dont les noms ont été régulièrement cités lors du procès : Mustapha Mukiza et Dieudonné Amuli. Le premier est devenu général de brigade et a été affecté, en 2015, à l’état-major de la deuxième zone de défense militaire, qui englobe l’ex-Katanga et les Kasaïs. Le second, après avoir été chef d’état-major général adjoint chargé des opérations et renseignements dans l’armée congolaise, a été nommé, en juillet 2017, commissaire général de la police.

Une juge qui détonne

Christine Van den Wyngaert, la présidente de la chambre qui a prononcé l’acquittement de Bemba, s’était déjà illustrée par une position singulière : en 2014, lors de l’audience de confirmation des charges contre Gbagbo, cette juge belge avait été la seule à estimer que les éléments de preuve n’étaient pas suffisants pour traduire l’ancien président ivoirien devant une cour.

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