[Édito] Que la lumière soit !
Ceux qui me font l’honneur de me lire et accordent quelque crédit à ce que j’écris ont des droits sur moi. Je leur dis donc, ici, cette semaine – et à travers eux aux Africains –, qu’on les abreuve de promesses qu’on sait ne pas pouvoir tenir, qu’on leur « raconte des salades ».
L’exemple qui me paraît le plus criant et le plus scandaleux est celui de l’électrification de l’Afrique. Aujourd’hui même, à la mi-2018, la moitié des Africains n’ont pas encore l’électricité.Plus de 600 millions d’entre eux en sont réduits, quand ils le peuvent, à s’éclairer à la lampe à pétrole, à se chauffer et à faire la cuisine au charbon ou au feu de bois.
Comme mes parents au début du XXe siècle. C’est là une situation inacceptable, car aucun autre continent n’en est encore à ce stade d’arriération et de sous-développement.Ceux qui vous assurent que le continent africain est en train de s’industrialiser vous mentent : au XXIe siècle, on ne peut guère s’industrialiser sans l’électricité.
Il y a près de trois ans, deux personnalités connues et à l’expérience avérée ont fait naître l’espoir. L’un de ces deux responsables est européen, l’autre est africain. L’un et l’autre ont clamé, urbi et orbi et avec éloquence, que le problème de l’électrification du continent africain était en effet préoccupant, qu’il fallait s’y attaquer de toute urgence, que rien n’était plus important que de le résoudre. « C’est le préalable à toute tentative sérieuse d’industrialisation de ce malheureux continent », ont-ils affirmé avec force.
Presque en même temps, ils nous ont assuré qu’ils se consacraient à lui trouver la bonne solution, qu’on allait voir ce qu’on allait voir. Jean-Louis Borloo, homme politique et ancien ministre français, mandaté et financé par le président français de l’époque, François Hollande, a créé et présidé, dès 2015, la fondation Énergies pour l’Afrique.
« Borloo l’africain »
J’ai réuni les conditions pour faire passer le taux d’électrification du continent de 30 % à 80 % d’ici à 2025
Il a sillonné le monde (440 000 km d’avion), rencontré plus de quarante chefs d’État africains, multiplié les déclarations lénifiantes. La presse en est arrivée à l’appeler « Borloo l’Africain ».
Il a parlé de « plan Marshall pour électrifier l’Afrique en dix ans » et annoncé un investissement total de 200 milliards d’euros.
« L’électrification de l’Afrique est l’enjeu majeur du XXIe siècle », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Il faut se focaliser sur un seul sujet, celui duquel toute croissance économique et tout développement humain découle : l’accès à l’électricité.J’ai réuni les conditions pour faire passer le taux d’électrification du continent de 30 % à 80 % d’ici à 2025. »
À l’entendre, les grands groupes (français) Bolloré, Dassault, Total, Veolia, EDF le soutiennent, ainsi que tous les chefs d’État et de gouvernement africains. L’Union africaine ? Elle a adopté à l’unanimité, en juin 2015, son projet de création d’un instrument consacré à l’accélération de l’électrification du continent.
Il y a tout juste un an, après s’être assuré d’un autre soutien, celui du prince saoudien Al Walid Ibn Talal, il a déclaré : « J’ai lancé l’idée et assuré la coordination du projet. C’est maintenant aux Africains, avec tous leurs partenaires associés à ce projet, de conduire les opérations. Ma mission est accomplie. »
Il est ensuite passé à une autre chimère.
Beaucoup d’agitation, de paroles et de grandiloquence pendant trente mois pour un résultat nul : M. Borloo a laissé le problème de l’électrification de l’Afrique là où il l’avait trouvé.
>>> A LIRE – Jean-Louis Borloo présente un plan de 200 milliards d’euros pour l’électrification de l’Afrique
Akinwumi Adesina, le deuxième espoir
L’Africain, lui, a été élu, en mai 2015, président de la Banque africaine de développement (BAD). Investi le 1er septembre suivant, il a suscité alors, parmi les Africains, dont votre serviteur, d’immenses espoirs.
Cet ancien ministre nigérian de l’Agriculture, Akinwumi Adesina, a fait le bon diagnostic et dit d’emblée : « L’Afrique doit résoudre son problème d’énergie, c’est insensé qu’elle n’ait pas d’électricité. Il y a 640 millions d’Africains qui n’ont accès à aucune source d’énergie. Les Africains sont fatigués d’être dans le noir.
Nous devons nous industrialiser et, pour cela, nous avons besoin d’électricité. Ma priorité est d’électrifier l’Afrique.Nous allons investir 12 milliards de dollars [10 milliards d’euros environ] d’ici à cinq ans qui permettront au total de lever entre 40 à 50 milliards de dollars.L’accès à l’électrification est un droit. »
J’en ai conclu que là était l’axe principal de son action pour les cinq prochaines années. Et, dès le 1er octobre 2015, j’ai cru pouvoir écrire :
« M. Adesina est formel : le déficit en énergie effectivement utilisée par les citoyens et les entreprises est le principal obstacle au développement économique du continent africain.
En 2014, l’Espagne a produit plus d’électricité que l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, dont les deux tiers des habitants, soit plus de 600 millions de personnes, n’ont pas un accès régulier à l’électricité.
Cette anomalie peut et doit disparaître dans un délai de dix ans ou quinze ans : cela permettra à l’Afrique de créer des milliers de petites entreprises et d’entamer son industrialisation.
L’investissement de base requis pour cet immense chantier a été évalué à 55 milliards de dollars, que la BAD se fait fort de rassembler ; il sera complété par un apport intérieur et extérieur de capitaux privés.
L’effet bénéfique sur l’éducation, la santé et la réduction de la mortalité infantile sera spectaculaire. »
>>> A LIRE – Akinwumi Adesina : « L’électricité, c’est le sang de l’économie »
Des promesses tenues ?
Comme vous le voyez, j’ai péché par optimisme ou par naïveté.
Car près de trois ans se sont écoulés depuis ces promesses que nous a faites l’actuel président de la BAD, M. Adesina. Il est déjà dans la seconde moitié de son mandat de cinq ans, qui s’achèvera le 31 août 2020. Où en est l’électrification du continent ?
Nous ne le savons pas ! Nul ne nous en a rien dit et, croyez-moi, si elle avait démarré et fait quelques progrès, on nous l’aurait claironné.
Le président de la BAD doit aux Africains un bilan d’étape qu’il n’a pas fait.
Il est donc à craindre que nous n’apprenions bientôt que rien ou si peu a été fait pour sortir la moitié des Africains de l’ère de la lampe à pétrole.
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