Exposition : à Genève, un panorama des pratiques religieuses africaines
Avec « Afrique. Les religions de l’extase », le Musée d’ethnographie de Genève propose un vaste tour d’horizon des pratiques religieuses sur le continent.
Il faut bien du courage, aujourd’hui, pour évoquer la question religieuse dans un musée. Au-delà des intégrismes prompts à se manifester à la moindre occasion, tout pas de côté, tout point de vue critique, toute présentation ne cadrant pas avec le dogme peut susciter une violente bronca – et même des actes de malveillance.
Pourtant, malgré les risques encourus, malgré la difficulté et l’étendue du sujet, le Musée d’ethnographie de Genève (MEG) s’est décidé à relever le défi. Avec « Afrique. Les religions de l’extase », le directeur et commissaire Boris Wastiau ose une approche sensuelle et plurielle des pratiques religieuses sur le continent, une approche qui ne cherche pas à décortiquer les doxas, mais à présenter le vécu religieux et les effets de la foi sur les corps.
Comme il l’écrit dans son introduction, il s’agit de réfléchir « aux aspects subjectifs de l’expérience religieuse dans ce qu’elle a d’incarné, individuellement ou collectivement » et de mettre en avant « les sentiments et les émotions qu’elle procure ».
Pluralité des pratiques
Difficulté principale du sujet : la pluralité des pratiques. « Les religions d’Afrique sont peu connues du public, voire pas reconnues en tant que telles à cause d’un vieux préjugé colonial, précise Wastiau. Les transes de possession ont longtemps rebuté les observateurs occidentaux, notamment parce que, pour certains chrétiens, elles étaient liées à la présence du diable, du mal. »
Wastiau insiste sur le fait que chrétiens et musulmans vivent eux aussi des états de transe
Africaniste ayant travaillé en Zambie, en Angola et au Rwanda, le commissaire revient ainsi sur les transes de possession, comme celles du culte Zâr, originaire d’Éthiopie, ou celles du Chipango, destinées à traiter les problèmes de fertilité en Zambie. Mais il insiste sur le fait que chrétiens et musulmans vivent eux aussi des états de transe.
C’est le cas, par exemple, des pèlerins orthodoxes se rendant au mont Zuqualla, filmés par l’artiste Theo Eshetu : « Hommes, femmes et enfants tombent dans un état de transe, possédés par des esprits malins qui les affectent et dont ils sont libérés par l’action de la croix, incarnant le Saint-Esprit. »
C’est le cas aussi des pentecôtistes nigérians, photographiés en 2010 à Oporoza, dans le royaume de Gbaramatu (delta du Niger), par le Suisse Christian Lutz : « De nombreuses femmes furent saisies par les transes et soignées par imposition des mains par le pasteur, parfois à plusieurs reprises. »
Du côté de l’islam, c’est en se tournant vers les confréries mystiques soufies (Tijaniyya, Rrahmaniyya, Shadhiliyya, Aissawiyya, Idrissiyya, Mouridiyya) qu’apparaissent des similitudes.
Comme le précise le catalogue de l’exposition : « Au sein de ces confréries, l’extase religieuse est parfois recherchée au moyen de techniques du corps allant de l’ascèse à la transe, en passant par la méditation, le chant, la danse ou la flagellation. »
Sacrifices et sorcellerie
Tout au long du parcours de l’exposition, scénographiée par Franck Houndégla et Sophie Schenk, le visiteur explore un vaste champ de pratiques méconnues, tenues cachées ou caricaturées, comme la divination, le rapport aux ancêtres, les sacrifices, voire la sorcellerie. C’est riche sans prétendre à l’exhaustivité, les monothéismes comme les religions « traditionnelles » ne pouvant se résumer en quelques cartels, photos et artefacts.
L’aspect subjectif de l’expérience religieuse, le vécu des croyants est rarement mis en avant dans les recherches » soutient Boris Wastiau
« L’aspect subjectif de l’expérience religieuse, le vécu des croyants est rarement mis en avant dans les recherches », soutient Boris Wastiau. Mais, pour le directeur du MEG, ce n’est évidemment pas le seul enjeu. « Aujourd’hui, la simple vue d’un voile peut rebuter certains, explique-t-il. Nous avons donc voulu montrer que la plupart des communautés religieuses, en Afrique, sont accueillantes. »
De discrets rappels historiques lui permettent de glisser, au passage, que, bien que n’ayant jamais eu de colonies en propre, la très neutre Suisse doit elle aussi faire son examen de conscience et dépoussiérer son regard. « La Suisse a produit des missionnaires et des agents coloniaux, précise-t-il. Il y a eu des bateaux négriers qui battaient pavillon suisse, des banquiers spécialisés dans les affaires coloniales… »
L’exposition rassemble finalement dans une même salle une riche pluralité de pratiques, toutes bien vivantes et actuelles
« Afrique. Les religions de l’extase » rassemble finalement dans une même salle une riche pluralité de pratiques, toutes bien vivantes et actuelles. Le kimbanguisme, la confrérie mouride des Baye Fall, le judaïsme en Afrique, le sacrifice chez les Bobos du Burkina Faso, la cérémonie du Bois-Caïman en Haïti, les minkisi des Kongos, les amulettes protectrices d’Égypte ou encore la célèbre Mami Wata ne sont que quelques-uns des sujets abordés au fil d’une exposition dense qui fait la part belle au clair-obscur.
Prisme contemporain
La plupart des coutumes présentées le sont à travers un prisme contemporain qui leur confère une forte immédiateté. Les photographies du Belgo-Béninois Fabrice Monteiro, des Sud-Africains Santu Mofokeng et Mohau Modisakeng, des Suisses Christian Lutz, Jean-Pierre Grandjean et celles de Boris Wastiau lui-même saisissent des instants privilégiés, souvent réservés aux initiés.
Mais ce sont surtout les installations du vidéaste Theo Eshetu qui donnent à l’ensemble une indéniable cohésion, ne serait-ce que par leur forme, qui interroge, justement, les idées d’unité et de pluralité. « Puisant dans l’histoire de l’art, l’anthropologie et la religion, fusionnant la vidéo artistique et le cinéma du réel, [Theo Eshetu] a pour sujet de prédilection les notions de perception sensorielle, d’identité et de sacré, écrit Wastiau. Son œuvre est caractérisée par une esthétique des images fractales, kaléidoscopiques ou symétriques, présentées selon un rythme précis et souvent accompagnées d’une bande sonore. »
Hypnotiques, dérangeantes, fascinantes, les vidéos de Theo Eshetu suscitent des émotions à la fois physiques et spirituelles difficiles à décrire
Hypnotiques, dérangeantes, fascinantes, les vidéos Zar Possession, The Festival of Sacrifice, Veiled Woman on a Beachfront suscitent des émotions à la fois physiques et spirituelles difficiles à décrire : battements de cœur qui s’accélèrent, légers vertiges, attraction et dégoût, incompréhension et lucidité, rythme syncopé…
Le commissaire ose d’ailleurs une comparaison avec les raves, où la recherche d’une extase partagée au son de la musique techno n’est peut-être pas très éloignée de l’expérience mystique. Qu’en déduire ? Sans doute que l’humanité a un besoin permanent de transcendance, qui s’exprime et se traduit de manière comparable, sans jamais être identique.
Violence et croyance
Peut-être aurait-on aimé aller plus loin, dépassant le cadre du religieux pour rejoindre celui du politique. À lire le texte introductif du professeur Jean-François Bayart (« L’Afrique, terre d’universalisme et de pluralisme religieux ») dans le catalogue, l’exposition permettrait aussi de battre en brèche l’idée, répandue, qu’il y aurait une corrélation entre religion et violence.
« Des mouvements armés d’orientation religieuse peuvent survenir, mais charrient des revendications ou des protestations d’un autre ordre, écrit-il. […] La religion en tant que telle n’explique aucun de ces […] mouvements : la majorité des chrétiens du nord de l’Ouganda s’est tenue à l’écart de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), les musulmans du nord du Nigeria ont rejeté Boko Haram, dont le fief est demeuré géographiquement limité. » C’est malheureusement un sujet que le MEG n’aborde pas frontalement. Trop risqué, sans doute.
L’intime et le sacré
« Afrique. Les religions de l’extase » offre aux curieux l’occasion d’appréhender des cultures différentes dans ce qu’elles ont de plus intime et de sacré.
À titre d’exemple, le MEG propose plusieurs angles d’approche du religieux à Madagascar, en présentant des talismans sacrés – comme le sampy Rakelimalaza, conservé malgré la chasse aux idoles menée par les missionnaires –, des objets de divination sikidy (à partir de graines de fano), des kobain-tromba, cannes portées par les devins et servant de canal de transmission entre le monde des esprits et le monde des vivants, ou encore des monuments funéraires, « constructions plus pérennes que les habitations mêmes des habitants », dans un pays où l’on pratique le retournement des morts.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles