Sénégal – Aliou Sall : « À travers moi, c’est Macky que l’on vise »

Abdoulaye Wade avait un fils controversé. Son successeur a un frère surexposé, devenu la bête noire de l’opposition. Mais l’intéressé, qui nie tout népotisme, n’en a cure et ne fait pas mystère de ses ambitions.

Aliou Sall dans son bureau dakarois, le 28 mai 2018 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

Aliou Sall dans son bureau dakarois, le 28 mai 2018 © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique

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Publié le 25 juin 2018 Lecture : 9 minutes.

De gauche à droite : l’hommes d’affaires Frank Timis, Aliou Sall et Macky Sall, le président sénégalais. © Photomontage / Photos : K. Lathigra pour JA / Youri Lenquette pour JA /   Sylvain Cherkaoui/Cosmos pour JA
Issu du dossier

Aliou Sall-Frank Timis : l’affaire qui secoue la présidence sénégalaise

Le Sénégal est-il frappé par la « malédiction du pétrole » ? Depuis bientôt cinq ans, l’attribution de concessions d’exploration gazière et pétrolière à l’homme d’affaires controversé Frank Timis fait polémique. En cause, le rôle joué en coulisses par Aliou Sall, le frère cadet du président sénégalais, qui alimente les soupçons de népotisme, de conflits d’intérêts et de corruption. Retrouvez ici nos articles sur le « PetroGazGate », cette affaire d’État sur fond d’hydrocarbures.

Sommaire

Pour Macky Sall, il est l’homme par qui le scandale arrive. Encore inconnu du grand public en mars 2012, Aliou Sall, son cadet de huit ans, a fait irruption sur la scène publique sénégalaise en octobre 2014.

Il est devenu la tête de Turc de l’opposition, qui lui reproche d’avoir fait main basse sur des gisements d’hydrocarbures en mettant à profit son lien de parenté. En entrant dans la lumière, il a exposé son frère à des critiques virulentes dont il sait qu’elles ne s’estomperont pas avant la prochaine présidentielle.

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>>> A LIRE – Sénégal : pourquoi Aliou Sall, le frère cadet du président, déchaîne les passions

Tenace et un brin provocateur, cet ancien militant maoïste ne fait pas pour autant profil bas. Maire de Guediawaye, un bastion stratégique de la banlieue dakaroise, Aliou Sall dirige depuis 2017 la Caisse des dépôts et consignations.

Certains, dans son propre camp, vont jusqu’à lui suggérer de briguer la succession de son frère en 2024, au terme d’un second mandat qu’ils considèrent comme acquis. Un scénario que cet énarque facétieux écarte, tout en assurant qu’on n’a pas fini d’entendre parler de lui.

Jeune Afrique : Au moment de l’élection de Macky Sall, en 2012, vous décidiez de quitter l’ambassade du Sénégal en Chine, où vous étiez le chef du bureau économique, pour revenir à Dakar. Avez-vous alors sollicité un poste auprès de votre frère ?

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Aliou Sall : Il n’y a pas eu de discussion formelle entre nous concernant mon avenir. J’étais haut fonctionnaire, j’avais participé activement à sa campagne et je souhaitais continuer à exercer des fonctions au sein de l’État.

Plusieurs perspectives ont été évoquées, mais finalement rien n’est venu. J’ai senti qu’il y avait peut-être de la gêne, chez le président, à l’idée de me confier des responsabilités au sein d’instances publiques. Je suis donc allé voir ailleurs, en l’occurrence dans le privé.

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Vous êtes alors choisi par un homme d’affaires chinois pour diriger Petro-Tim Sénégal, qui vient d’obtenir de l’État une concession d’exploration de gisements offshore à potentiel gazier ou pétrolier. Quand Macky Sall l’a-t-il appris ?

Je l’en ai aussitôt informé. Quand il a su que je rejoignais le secteur privé, je pense qu’il a poussé un ouf ! de soulagement.

Un soulagement de courte durée, puisque à partir de 2014 les accusations ont commencé à fleurir concernant un éventuel conflit d’intérêts…

Effectivement, au bout de deux ans environ, ça a mal tourné ! Mais le président et moi avons vite compris que le cœur du problème n’avait rien à voir avec ma position à Petro-Tim : tout venait du fait que j’étais le frère du président.

Quelle que soit ma fonction, il était évident que je demeurerais une cible pour atteindre Macky Sall. L’opposition n’a rien contre lui, et je sais que jusqu’en février 2019, au moins, je subirai ses attaques.

Sur le fond du dossier, que répondez-vous à vos détracteurs ?

Pour moi, c’est du passé. En 2016, même s’il s’agissait de rumeurs et de fausses informations, j’ai décidé de me retirer définitivement de cette société, dans la mesure où la polémique commençait à affecter l’image du régime et la mienne. Je n’ai plus aucun lien d’affaires avec une quelconque entreprise œuvrant dans les hydrocarbures ou dans les ressources naturelles du pays.

J’avais pris la décision de ne plus évoquer ce sujet, non par mépris pour les questions que l’opinion publique sénégalaise se pose, mais parce que j’estimais avoir tout éclairci. Mon rôle n’est pas de permettre à l’opposition de rebondir sans cesse en agitant ce dossier.

Votre nomination à la Caisse des dépôts et consignations a elle aussi suscité des critiques… Dans quel secteur estimez-vous pouvoir cultiver vos ambitions personnelles sans que cela crée la polémique ?

Personnellement, ces réactions ne m’inquiètent nullement. En revanche, je crains qu’un « problème Aliou Sall » ne se pose au chef de l’État. Au Sénégal comme ailleurs, quand on se lance en politique, on doit s’attendre à recevoir des coups.

Le fait que je sois utilisé pour atteindre mon frère ne va pas m’inciter à mettre la clé sous la porte

J’ai fait du syndicalisme et de la politique dès ma jeunesse, je sais donc que l’adversité en la matière est rarement objective. Mais le fait que je sois utilisé pour atteindre mon frère ne va pas m’inciter à mettre la clé sous la porte.

Est-ce l’effet boomerang des accusations de népotisme que l’opposition de l’époque, dont Macky Sall a fait partie, avait portées contre Karim Wade, le fils d’Abdoulaye Wade ?

Sous Senghor comme sous Diouf, des membres de la famille du président ont accédé à de hautes responsabilités. Et, sous Wade, Karim n’était pas le seul membre de la famille présidentielle à occuper des fonctions officielles.

Karim Wade, fils de l'ex-président sénégalais, à Paris le 16 janvier 2008. © Vincent Fournier/JA

Karim Wade, fils de l'ex-président sénégalais, à Paris le 16 janvier 2008. © Vincent Fournier/JA

S’il y a eu un problème Wade, c’est parce que les Sénégalais ont eu l’impression que l’ancien président préparait son fils pour qu’il prenne sa place

S’il y a eu un problème Wade, c’est parce que les Sénégalais ont eu l’impression que l’ancien président préparait son fils pour qu’il prenne sa place. Mais la préoccupation de Macky Sall n’est pas de préparer son frère à lui succéder : c’est d’être réélu en 2019 !

Dans le cas présent, on vous soupçonne plutôt d’avoir bénéficié de prébendes du fait de ce lien familial…

Je ne suis pas le seul frère de Macky Sall : nous sommes quatre garçons et une fille. Notre sœur est fonctionnaire dans l’administration sénégalaise. L’un de mes frères est agent administratif dans une société de distribution d’eau ; un autre est agent comptable.

S’il était question de prébendes ou de privilèges, pourquoi en serais-je l’unique bénéficiaire ? J’ai un engagement politique ancien, que j’assume. Mais, à part moi, aucun autre membre de la famille n’est lié à l’appareil d’État.

Vous êtes-vous enrichi depuis l’accession de Macky Sall à la présidence ?

Je ne dispose d’aucun privilège. Je gagne correctement ma vie, même si mon traitement aujourd’hui, dans le secteur public, est inférieur à ce qu’il était hier dans le privé. Mais je suis très fier d’œuvrer pour l’État. Cela étant dit, je suis loin d’être milliardaire – j’ai déposé ma déclaration de patrimoine, que je dois renouveler sous peu.

Aucun membre de notre famille n’a jamais fait parler de lui pour des frasques financières

Je ne suis possesseur d’aucun bien immobilier ni d’aucun compte bancaire hors du Sénégal. Les gens se font des idées à mon sujet, je ne peux pas les en empêcher. Pourtant, aucun membre de notre famille n’a jamais fait parler de lui pour des frasques financières. Nous vivons comme des citoyens ordinaires.

Votre conquête de la mairie de Guediawaye, en 2014, a également fait jaser…

Paradoxalement, quand je me suis lancé dans cette campagne, je n’étais pas soutenu par le président Macky Sall, qui n’était pas enthousiaste du tout. Je le dis clairement : je l’ai fait sans son accord et sans ses encouragements, en toute autonomie.

C’est seulement lorsqu’il a compris que je n’allais pas reculer et que j’étais le principal atout sur place de l’Alliance pour la République [APR, parti présidentiel] qu’il s’est résolu à entériner ma candidature. Mais cette victoire, je la dois d’abord aux militants de Guediawaye, et non à l’establishment de l’APR.

Votre jeunesse a été celle d’un syndicaliste étudiant puis d’un militant politique marqué très à gauche. Que conservez-vous de ces engagements passés ?

J’ai été très militant, c’est vrai : depuis mes études au Cesti [Centre d’études des sciences et techniques de l’information] jusqu’à mes premières années de journalisme, quand j’étais membre du parti And-Jëf, de Landing Savané. J’ai conservé cet état d’esprit.

Je n’aime pas voir les choses se dérouler d’une façon qui ne soit pas conforme à ma vision. J’aime m’impliquer et prendre des risques. Jusqu’au bout, j’espère rester un homme engagé d’un point de vue politique.

Le président sénégalais Macky Sall © Sunday Alamba/AP/SIPA

Le président sénégalais Macky Sall © Sunday Alamba/AP/SIPA

Succéder à Macky Sall ? J’affirme ici que cela ne m’intéresse pas et que je n’y songe pas

Votre intention de vous présenter aux législatives, en 2017, a fait polémique dans votre propre parti, et vous y avez finalement renoncé. Pourquoi ?

Non seulement j’avais l’intention d’être candidat, mais j’avais été adoubé par l’ensemble des acteurs politiques de Guediawaye. Un beau jour, le président m’a appelé pour me dire : « Aliou, c’est bien beau, je sais que tout le monde est d’accord sur ta candidature, mais il faut que tu te retires. »

Par la suite, mes adversaires, parmi lesquels quelques faucons au sein de mon propre parti, s’en sont donné à cœur joie en se disant qu’ils tenaient là une belle occasion de m’enterrer définitivement. Je n’allais pas passer outre une directive du président, mais j’ai tout de même bandé les muscles pour leur montrer que l’heure de ma mort politique n’avait pas encore sonné.

Envisagez-vous de succéder un jour à Macky Sall ?

Certains me l’ont suggéré en privé. J’affirme ici que cela ne m’intéresse pas et que je n’y songe pas. Par contre, je continuerai à faire de la politique. Quand je vois l’opportunisme de certains leaders, je me dis qu’on n’a pas le droit de laisser faire ces guignols.

Comme il m’est arrivé de le dire un jour, par défi, ce que l’on m’a reproché jusqu’en haut lieu, en politique, hormis le poste de président, je ne m’interdis rien !

Un parcours compliqué

Depuis ses débuts, Aliou Sall a connu plusieurs mises à l’écart. Au journal Info 7, où il est chef du desk politique, il signe une enquête sacrilège à l’approche des législatives de 1998 : « Les villes qui vont perdre Abdou Diouf ». L’article préfigure la défaite, en 2000, du président socialiste. « On m’a poliment mis au placard en me nommant grand reporter », s’amuse l’intéressé.

Un an plus tard, il est renvoyé pour faute lourde pour avoir créé une antenne syndicale. Après la victoire d’Abdoulaye Wade, il est pressenti pour prendre la tête du Soleil, le quotidien gouvernemental. Mais on lui préfère finalement El Hadj Hamidou Kassé, aujourd’hui ministre-conseiller de Macky Sall chargé de la communication.

Pendant plusieurs mois il restera sans bureau –  alors même que son frère est Premier ministre

En 2005, diplôme de l’ENA en poche, il décroche un poste au ministère des Finances. Mais pendant plusieurs mois il restera sans bureau –  alors même que son frère est Premier ministre. À la fin des années 2000, tandis qu’il dirige le bureau économique de l’ambassade du Sénégal en Chine, il est cette fois confronté à l’hostilité du « super-ministre » Karim Wade.

Car entre-temps son frère Macky est entré en disgrâce. Le général Pape Khalilou Fall, alors ambassadeur, et Madické Niang, ministre des Affaires étrangères, le soutiennent. Finalement, Karim Wade change d’optique, et les deux hommes achèveront le quinquennat en bonne entente.

DG de la Caisse des dépôts et consignations, le poste qui fait jaser

En 2017, Aliou Sall a été nommé directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), destinée à accompagner l’État dans le financement du logement social, des PME, de la politique de la ville et d’autres projets structurants.

Créée en 2006, la CDC sénégalaise est actionnaire de la nouvelle compagnie Air Sénégal SA. Elle a aussi injecté 22,5 milliards de F CFA dans la Senelec.

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