Maroc – Nigeria : le gazoduc de la concorde
L’accord énergétique signé à Rabat annonce-t-il l’intégration du royaume chérifien à la Cedeao ? Éléments de réponse.
Toutes les chaînes de télévision marocaines ont retransmis les images de l’iftar organisé au Palais royal, à Rabat, pour accueillir Muhammadu Buhari. Ce dernier, premier chef d’État nigérian à se rendre dans le royaume pour une visite de travail, a rompu le jeûne en compagnie du roi Mohammed VI et du prince Moulay Rachid.
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Un accueil en grande pompe a été réservé au président nigérian, venu ces 10 et 11 juin pour assister à la signature d’un accord sur le projet de gazoduc entre le Nigeria et le Maroc, dont les échanges commerciaux restent aujourd’hui plus que timides : 1,7 milliard de dirhams (environ 0,16 milliard d’euros) en 2016.
« Pragmatisme »
Pour le Maroc, dépendant du gaz algérien, l’enjeu est de taille. De son côté, le président Buhari se montre satisfait d’un accord qui permettra au Nigeria d’exporter ses « énormes réserves de gaz ».
Annoncé lors d’un voyage de Mohammed VI au Nigeria en décembre 2016, le projet a pris corps avec la signature d’un accord entre la Compagnie pétrolière nationale du Nigeria (NNPC) et l’Office national des hydrocarbures et des mines (Onhym) en mai 2017, à Rabat.
La visite de Buhari a permis de lever le voile sur certains détails : le pipeline sera long d’environ 5 600 km et son tracé, qui n’a pas été rendu public, serait à la fois onshore et offshore. Deux jours plus tard, comme en signe d’amitié, le représentant du football nigérian votait « Maroc » pour l’accueil de la Coupe du monde 2026.
Mais des nuages continuent de planer au-dessus des relations maroco-nigérianes, comme le soutien historique d’Abuja à la République arabe sahraouie démocratique (RASD), dont elle accueille une ambassade.
On sent que l’heure est au pragmatisme » assure Brahim Fassi Fihri
Au sommet de l’Union africaine, en juillet 2017, Geoffrey Onyeama, ministre nigérian des Affaires étrangères, a joué les médiateurs entre les Marocains et la délégation de la RASD. Positif pour Rabat. « On sent que l’heure est au pragmatisme, assure Brahim Fassi Fihri, président du think tank Institut Amadeus. À Abuja, on privilégie les projets et les infrastructures aux positions rigides sur le Sahara. » Ce que confirme une source marocaine : « Ce n’est plus un souci de parler avec un pays qui accueille une ambassade de la RASD. »
Concurrence minime
« Ce projet va booster la candidature marocaine pour la Cedeao, croit savoir Fassi Fihri. Certains ont peur que le Maroc, économie forte pour la région, bouscule cette dernière. Le gazoduc serait la preuve qu’il la tire vers l’avant, qu’il sait travailler avec les autres puissances régionales et qu’il en partage les objectifs d’indépendance énergétique. »
La volonté déclarée en 2017 du Maroc d’intégrer la Cedeao constitue le point de crispation avec Abuja. Après un accord de principe de l’organisation, certains pays, à la tête desquels le Nigeria, économie la plus vigoureuse de la zone, avaient freiné des quatre fers sous la pression de leurs élites et des syndicats de travailleurs.
Rabat concurrencerait Abuja sur 22,2 % des produits que cette dernière exporte
Pour rassurer ses partenaires africains, le ministère marocain de l’Économie a publié en mai une évaluation des retombées économiques d’une intégration du Maroc. Verdict : Rabat concurrencerait Abuja sur 22,2 % des produits que cette dernière exporte. Dérisoire comparé à certains taux de concurrence entre pays européens.
Le projet de pipeline pourrait-il rapprocher le Maroc de son but ? La signature de l’accord de coopération sur le gazoduc, qui traversera ou longera une dizaine de pays ouest-africains, oblige les parties à passer à de nouvelles étapes de sa réalisation.
Parmi elles, l’implication de la Cedeao, aussi bien dans la réalisation que dans le financement du projet. Les Marocains ont donc maintenant toute licence pour démarcher l’organisation économique. Une aubaine.
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