Afrique du Sud : dans l’antre de Willie Bester
Spécialiste de la récupération, l’artiste engagé Willie Bester poursuit son œuvre dans son incroyable maison de la banlieue du Cap.
Une fois passée la vaste ceinture de townships qui encercle Le Cap puis démêlé l’écheveau des rues de Kuils River, à quelque 25 km du centre-ville, impossible de rater la demeure du peintre et sculpteur Willie Bester. Cette petite maison sur deux étages est entièrement recouverte d’objets hétéroclites harmonieusement disposés.
Difficile de dire si l’on est face à un improbable vaisseau spatial ou à une installation d’art contemporain grand format. L’œuvre, car c’en est une, cache une habitation, un atelier, mais aussi un véritable musée : au premier étage, où l’artiste vous accueille, ses pièces occupent tout l’espace du sol au plafond, où est accrochée une véritable Fiat 500. Chez Willie Bester, tout fait art.
L’artiste montre très jeune des dispositions pour le dessin et la sculpture
Né à Montagu, à 150 km du Cap, d’un père xhosa et d’une mère métisse, en 1956, l’artiste montre très jeune des dispositions pour le dessin et la sculpture : les petites voitures bricolées en matériaux de récupération avec lesquelles il joue, toutes peintes et « customisées », ne ressemblent jamais à celles de ses camarades.
Dès ses 10 ans, alors qu’une loi du régime de Pretoria oblige sa famille à quitter la ferme où elle habitait pour rejoindre un homeland, il est confronté à l’apartheid. Et il lui faut alors aider les siens, quittant l’école et multipliant les petits boulots.
Vénus hottentote
Enrôlé pendant deux ans dans l’armée puis dans une unité « disciplinaire » parce qu’il n’a pu trouver d’emploi stable, il finit pourtant, grâce à son habileté manuelle, par obtenir un emploi d’assistant chez un dentiste du Cap. Ce qui lui permet de retrouver l’inspiration, de consacrer son temps libre à l’apprentissage de l’art, puis de réaliser ses premières œuvres.
L’artiste, coaché par sa femme, Evelyn, se consacre uniquement à son art depuis un quart de siècle
Vite repérées en raison de leur originalité, ce sont des tableaux très colorés ou des sculptures néoréalistes imposantes, le plus souvent conçues à partir de matériaux récupérés dans les townships ou les marchés aux puces. Les peintures, dont les supports sont très variés – planches, métaux, cartons, panneaux de signalisation… –, comportent des articles de journaux, des photos ou des écrits politiques.
Exposé dès les années 1980 dans son pays, puis dans le monde entier dix ans plus tard, l’artiste, coaché par sa femme, Evelyn, se consacre uniquement à son art depuis un quart de siècle.
Alors qu’un beau livre se prépare sur son travail, c’est un homme souriant qui nous reçoit chez lui, n’élevant jamais la voix, mais restant plus que jamais militant.
Willie Bester, un spécialiste de la récupération qui ne sera jamais récupéré
Il commente volontiers ses œuvres, comme cette représentation grandeur nature d’une jeune fille retournant à l’école après un mouvement de protestation (Back to School) ou cet ensemble de lithographies signées avec Mandela – qui a tenu à le remercier pour son engagement en lui offrant des esquisses de dessin.
Pourtant, depuis que des étudiants de l’université du Cap ont tenté de vandaliser l’une de ses sculptures en hommage à la Vénus hottentote, Bester ne décolère pas contre ces incultes qui ne font pas la différence entre un artiste progressiste et ceux qu’ils considèrent comme leurs persécuteurs. Malgré son calme, il restera à jamais un homme remonté contre l’injustice. Un spécialiste de la récupération qui ne sera jamais récupéré.
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