Côte d’Ivoire : Maurice Kakou Guikahué, la valeur sûre d’Henri Konan Bédié

Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) refuse d’intégrer le parti unifié avant la présidentielle. Maurice Kakou Guikahué, son numéro deux, en sort renforcé. Et plus proche que jamais du Sphinx de Daoukro.

Le président du PDCI, Henri Konan Bédié, et son secrétaire exécutif Maurice Kakou Guikahué (à g.), le 17 juin 2018, à Abidjan. © Sia Kambou/AFP

Le président du PDCI, Henri Konan Bédié, et son secrétaire exécutif Maurice Kakou Guikahué (à g.), le 17 juin 2018, à Abidjan. © Sia Kambou/AFP

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Publié le 28 juin 2018 Lecture : 6 minutes.

Il est plus de 23 heures, ce dimanche 17 juin, quand s’achève le 13e bureau politique du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), à Cocody. Le quartier est encore bouclé.

Après six heures d’âpres débats, l’intégration au parti unifié RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix) a été repoussée ; elle n’interviendra qu’après l’élection présidentielle de 2020. Dans l’auditorium, la tension retombe. Les participants se lèvent et se mettent à chanter.

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Installé à la droite du président du mouvement, Henri Konan Bédié, Maurice Kakou Guikahué a l’air serein. Le secrétaire exécutif ne le montre pas, mais c’est pour lui un soulagement. Presque une victoire. Pendant des semaines, le PDCI a semblé tanguer sous la pression du chef de l’État, Alassane Ouattara, et de certains cadres du parti.

Guikahué était devenu l’homme à abattre, celui qui empêchait la fusion des deux poids lourds ivoiriens

Favorable au maintien de l’alliance RHDP dans sa forme actuelle plutôt qu’à la création d’une formation unifiée, Guikahué était devenu l’homme à abattre, celui qui empêchait la fusion des deux poids lourds ivoiriens.

À chacun son autonomie

« Il a toujours estimé qu’il fallait plus de temps pour faire du RHDP un parti unifié. On a pu penser qu’il jouait sa propre partition, mais les résultats du bureau politique prouvent qu’il n’a fait que prêcher la parole de Bédié et celle de la majorité des militants », explique un délégué du PDCI.

Bédié a fixé le cap depuis 2015 : pour lui, le parti unifié, c’est la réunification du PDCI-RDA et pas autre chose » confirme un cadre du parti

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« Cela montre que la base n’était pas favorable au parti unifié, confirme un autre cadre. Bédié a fixé le cap depuis 2015 : pour lui, le parti unifié, c’est la réunification du PDCI-RDA et pas autre chose. Il n’a pas varié depuis. Comme le RDR [Rassemblement des républicains] ne veut pas revenir au PDCI, Bédié préfère que chacun garde son autonomie. »

Si ce fervent catholique de 67 ans au physique imposant a vécu ces dernières semaines avec le calme et la détermination qui le caractérisent, il avait tout de même confié à l’un de ses proches qu’il n’excluait pas de démissionner si le bureau politique ne suivait pas sa ligne.

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Parcours

Fils d’une famille de planteurs originaire du canton de Guébié, près de Gagnoa, une zone de l’Ouest acquise à l’ancien président Laurent Gbagbo, Maurice Kakou Guikahué a le PDCI dans le sang.

Biberonné au Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire (Meeci) dès les années 1970, ce cardiologue a fait partie des derniers médecins de Félix Houphouët-Boigny, et c’est au chevet du père de l’indépendance qu’il a fait la connaissance d’Henri Konan Bédié.

Il sera ministre de la Santé sous sa présidence, jusqu’au coup d’État de 1999 – une période marquée par le scandale du détournement d’une aide de 18 milliards de F CFA (27 millions d’euros) que l’Union européenne destinait au secteur de la santé.

Mais, lors de l’élection de 2000, Guikahué a choisi, comme une partie du PDCI, de soutenir le « tombeur » de Bédié, le général Robert Gueï. Un écart de conduite qu’aiment rappeler ses adversaires, mais que le Sphinx de Daoukro paraît lui avoir pardonné.

Relation complice

Depuis, les deux hommes ont noué une relation complice. Secrétaire exécutif du mouvement de Bédié depuis 2013, Guikahué semble avoir parfaitement compris le rôle qui lui était attribué.

Guikahué est [le] Premier ministre [de Bédié]. Son rôle est de défendre son président et de faire appliquer ses directives sans états d’âme » explique un baron du PDCI

« Il connaît le parti et l’homme par cœur. Il ne prend pas de décision sans l’en informer. Le secrétariat exécutif est comme le gouvernement de Bédié. Guikahué est son Premier ministre. Son rôle est de défendre son président et de faire appliquer ses directives sans états d’âme », explique un baron du PDCI.

De fait, en 2015, lorsque Bédié lance son appel de Daoukro et demande à ses militants de soutenir Alassane Ouattara, Guikahué ravale sa fierté pour faire accepter la décision du chef auprès de la base et de cadres particulièrement hostiles à cette idée. Et, aujourd’hui encore, il est capable de parcourir des centaines de kilomètres pour dix minutes d’audience avec son chef.

Cette proximité en agace plus d’un au sein du PDCI. Certains l’accusent d’avoir exacerbé la division en son sein ainsi que les tensions avec le RDR. D’autres le soupçonnent de pousser l’ancien président à se représenter en 2020. Et les proches de Daniel Kablan Duncan jugent qu’il n’est pas étranger à la dégradation des relations entre Bédié et le vice-président.

Ses méthodes dirigistes, parfois radicales, sont pointées du doigt. « Si tu ne défends pas sa vision, tu deviens l’homme à abattre. Il n’a rien fait pour rapprocher les tendances. C’est un homme de faction dont la gouvernance est “confligène”. Il s’est montré incapable de rassembler et a permis à Bédié de diriger seul le parti », tacle un vice-président du PDCI.

Crime de lèse-majesté

Marié à une sage-femme vivant dans le sud de la France, à qui il rend visite presque tous les mois, Guikahué est décrit par ses proches comme un homme « précis, sobre, loyal et un peu timide ». Il n’en est pas moins un excellent stratège, prêt à tout pour défendre ses idées. Quitte, parfois, à prendre quelques libertés.

Le 10 mars, avant de participer à un meeting à Daoukro, il prend connaissance du discours très offensif prononcé quelques heures plus tôt par Kandia Camara, la secrétaire générale du RDR. Il décide alors de répliquer et déclare à la tribune : « 2015, c’est Ouattara. 2020, c’est le PDCI. Il y a bel et bien eu une promesse d’alternance entre Bédié et Ouattara. Le moment venu, le président Bédié vous dira le lieu où cette promesse a été faite et le nom du témoin de cette scène. »

Guikahué sait que la décision prise par le PDCI n’est pas une fin en soi et qu’elle met le parti face à ses responsabilités

Plusieurs barons du PDCI lui reprochent d’avoir, par ces propos, humilié le chef de l’État – un crime de lèse-majesté chez les Akans… Mais l’intéressé estime n’avoir fait que défendre son parti.

Aujourd’hui, Guikahué sort renforcé du bureau politique du 17 juin. Mais il sait que la décision prise par le PDCI n’est pas une fin en soi et qu’elle met le parti face à ses responsabilités. Le lendemain matin à 6 heures, le secrétaire exécutif a pris la route pour Dimbokro (Centre) afin de surveiller les opérations d’enrôlement sur les listes électorales. Pourquoi ? Parce que Bédié le lui a demandé, évidemment.

Ils y croient encore

Pour le vice-président, Daniel Kablan Duncan, le président du Sénat, Jeannot Ahoussou Kouadio, le secrétaire général de la présidence, Patrick Achi, le président du Conseil économique et social, Charles Koffi Diby, et les cadres du PDCI membres du gouvernement, l’issue du bureau politique du 17 juin est un échec cuisant.

Jeannot Ahoussou-Kouadio, le 11 mai 2018 à Abidjan. © Issam Zejly pour JA

Jeannot Ahoussou-Kouadio, le 11 mai 2018 à Abidjan. © Issam Zejly pour JA

Mais ils ne baissent pas les bras : selon nos informations, certains espèrent faire invalider les résolutions du bureau devant les tribunaux pour vice de forme. « Le bureau politique a été faussé dans son organisation, il ne traduit pas ce que la vraie base pense », affirme l’un d’eux, qui veut croire qu’Henri Konan Bédié peut encore être convaincu d’organiser un congrès extra­ordinaire pour débattre de la question du parti unifié.

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Dans le cas contraire, certains pourraient créer un courant au sein du parti ou tout simplement décider de rejoindre le nouveau RHDP, qu’ils voulaient voir intégrer le PDCI, et qu’Alassane Ouattara devrait bientôt créer, en espérant que leur base les suivra. C’est notamment le cas d’Ahoussou Kouadio, qui a déjà fait part de sa décision à Bédié.

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