Marchés : la chute d’Abraaj inquiète mais aiguise les appétits

Mise en liquidation, la société dubaïote Abraaj a cédé ses fonds africains au géant américain Colony Capital. Un repreneur bien accueilli par les investisseurs et les entrepreneurs.

Arif Naqvi, le fondateur d’Abraaj, est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la justice émiratie. © Mark Lennihan/AP/SIPA

Arif Naqvi, le fondateur d’Abraaj, est sous le coup d’un mandat d’arrêt de la justice émiratie. © Mark Lennihan/AP/SIPA

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Publié le 1 juillet 2018 Lecture : 2 minutes.

« Opportunité : occasion favorable de saisir une déception. » La formule du journaliste américain Ambrose Bierce s’est vérifiée dans le raid éclair, à la mi-juin, du californien Colony Capital sur les fonds africains, latino-américains et turcs d’Abraaj. Bâti en une quinzaine d’années, l’empire fondé par le Pakistanais Arif Naqvi (13,6 milliards de dollars d’actifs, soit 11,7 milliards d’euros, dont au moins 1,36 milliard en Afrique) s’est désintégré en quelques mois. À l’origine de cette situation : une controverse sur l’utilisation des fonds confiés notamment par la Fondation Gates, Proparco et le Groupe Banque mondiale.

Confronté à un exil de ses investisseurs, à une crise de liquidité et à 1 milliard de dollars de dette, l’investisseur dubaïote a été mis en liquidation. « Personne n’aurait pu anticiper une dégringolade si brutale, mais c’est ce qui arrive en ligue des champions », décrypte un investisseur africain qui pointe la faillite en 2008 du new-yorkais Lehman Brothers.

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Plusieurs entreprises africaines concernées

Les malheurs d’Abraaj font les affaires de Colony Capital, fondé en 1991 par Thomas J. Barrack Jr, un confident de Donald Trump. Colony récupère les participations d’Abraaj dans une trentaine d’entreprises africaines, dont plusieurs pépites : le spécialiste ouest-africain de glaces et de jus Fan Milk (49 % pour Abraaj et 51 % pour le français Danone), le leader est-africain des produits laitiers Brookside Dairy, contrôlé par la famille Kenyatta, la chaîne de restauration Java House, rachetée à la mi-2017 à Emerging Capital Partners et valorisée à plus de 100 millions de dollars… « Abraaj est l’un des colosses du continent. Tout le monde – bailleurs, fonds, entreprises… – a intérêt à ce que la transition se passe bien », avance un gestionnaire d’actifs ouest-africain.

Le fait qu’Abraaj conserve encore plusieurs actifs, notamment dans la santé, incite les potentiels repreneurs à la retenue

« La chute d’Abraaj entraînera une réévaluation – peut-être limitée – de l’investissement des acteurs institutionnels dans les marchés émergents », a regretté Andrew Alli, président sortant de l’investisseur panafricain Africa Finance Corporation. Une prise de parole rare. Une dizaine de gestionnaires, d’avocats et de conseillers financiers contactés par Jeune Afrique ont refusé de s’exprimer. Le fait qu’Abraaj conserve encore plusieurs actifs, notamment dans la santé, incite les potentiels repreneurs à la retenue.

Très bon bilan en matière de gouvernance

L’arrivée du géant aux 57 milliards de dollars d’actifs crée certes une incertitude, mais ouvre également des perspectives pour les investisseurs présents sur le continent. Par ailleurs, la stratégie du fonds américain, qui investit principalement dans l’immobilier, la santé et l’industrie, rend probable la cession d’actifs repris au fonds dubaïote, mais n’entrant pas dans ce périmètre. Sollicité par JA, Colony n’a pas souhaité s’exprimer.

Inconnu sur le continent, le fonds américain devra composer avec les équipes africaines d’Abraaj, qu’il a reprises. Colony « arrive avec un très bon bilan en matière de gouvernance et de promotion des bonnes pratiques », assure l’analyste Enitan Obasanjo-Adeleye, directrice de recherche de l’Association panafricaine du capital-investissement AVCA. Concernant les entreprises de son nouveau portefeuille, il pourra bâtir sur les « opportunités déjà identifiées », avance l’experte. Pour Abraaj, en revanche, l’enfer continue. Selon le Wall Street Journal, la justice émiratie a émis un mandat d’arrêt contre Arif Naqvi pour avoir signé des chèques sans provision d’un montant d’au moins 48 millions de dollars…

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