Sénégal : Adama Paris, papesse de la mode
La styliste sénégalaise Adama Paris, forte du succès de sa Dakar Fashion Week lancée il y a seize ans, conçoit son travail comme un engagement politico-culturel.
Effervescence à Dakar. La 16e édition de la Fashion Week est lancée. Pendant quatre jours, sa fondatrice, la styliste de 41 ans Adama Paris, est sous les feux des projecteurs, cette semaine de la mode suscitant désormais l’intérêt de nombreux médias internationaux. Après un premier show à la résidence de l’ambassadeur de France au Sénégal, Adama Paris a convié certains des stylistes participant à l’événement afin qu’ils évoquent leur vision des modes africaines. Le rendez-vous a été donné à l’Alkimia, bar-restaurant branché du quartier des Almadies qui a, pour l’occasion, gracieusement ouvert ses portes à la papesse de la mode. Durant notre entretien, une caméra la suit partout : « c’est pour ma propre téléréalité », dit-elle.
Multiculturelle
Vêtue d’un boubou jaune confectionné par une jeune styliste sénégalaise, chaussée de sandales chinées au Kenya, Adama Paris arbore une coiffure peule, clin d’œil à ses origines. « Disons plutôt que je suis métisse. Mon père est wolof et ma mère, peule. » Lui était ambassadeur, elle politicienne. Le couple a donné le jour à Adama Ndiaye en 1977, à Kinshasa. La créatrice, qui se dit « afropolitaine », n’en est pas peu fière. « Je revendique cette identité dans la mesure où je suis profondément africaine tout en ayant le regard tourné vers le monde et ce qu’il a à offrir. J’ai la chance d’être multiculturelle dans la mesure où, depuis mon plus jeune âge, j’ai vécu dans plusieurs villes et plusieurs pays. C’est ce qui fait ma force », explique, de sa voix éraillée, celle qui a grandi tant au Sénégal qu’en Côte d’Ivoire, en France, en Allemagne, en Italie, en Égypte.
D’où, sans doute, sa propension à commencer ses phrases en français pour les finir en anglais. « Je le dois plutôt à mes neuf années de mariage avec un Sénégalo-Malien aux États-Unis », s’amuse-t-elle, avant de revendiquer son célibat comme le fait d’être sans enfants.
Ben oui, il n’y a pas qu’un seul chemin de croix pour une femme au Sénégal !
Ses études, elle les mène d’abord à la faculté de Nantes, en sciences économiques, avant d’intégrer l’université de Strasbourg, où elle se spécialise en finance pour se retrouver à Paris-Dauphine. La mode est alors une passion que son père espère voir s’évanouir.
Déterminée, la jeune femme plaque pourtant son métier de banquière, contracte un prêt et monte, à l’âge de 22 ans, sa propre marque de vêtements à laquelle elle donne un nom qui permet de la différencier de sa sœur jumelle : Adama Paris. « Je n’avais même pas encore de collection alors que j’avais déjà dans l’idée de mettre sur pied une véritable entreprise. » Elle retourne à Dakar, où elle se met à la recherche de tailleurs, et participe, peu après, au Salon du prêt-à-porter de la porte de Versailles. « Je n’avais pas de signature à cette époque. Disons que j’étais plutôt éclectique et que je tenais à affirmer ma modernité comme mon attachement à l’Afrique. »
Entrepreneuse hors-pair
Avec Adama Paris, les collections se suivent mais ne se ressemblent pas. On passe aisément de pièces féminines en pagne et aux motifs divers rendant hommage à la femme sahélienne au clin d’œil à la sape avec des pièces contemporaines, graphiques et colorées. « En règle générale, j’aime la légèreté et les choses confortables. » Bientôt, on parle moins d’Adama Paris que des modes africaines qu’elle s’attache à défendre. Outre la Dakar Fashion Week, on lui doit aussi la Black Fashion Week, organisée annuellement depuis 2012 dans plusieurs pays, mais aussi la création de la chaîne Fashion Africa TV, née il y a quatre ans, diffusée dans 46 pays d’Afrique par Canal+. Elle organise ou coproduit aussi de nombreuses manifestations de mode sur le continent comme l’Angola International Fashion Show, l’African Fashion Talents, au Maroc, ou la prochaine Liberia Fashion Week.
Aujourd’hui, elle se lance dans la promotion du voyage sur Instagram avec Travel With Adama Paris, en partenariat notamment avec l’Office chérifien des phosphates pour la destination Maroc.
Elle projette d’installer sa propre usine sur le futur site industriel de Diamniadio. « La mode est un prétexte qui me permet de mener l’ensemble de ces activités. Elles n’ont qu’un seul but : mettre en avant les créateurs et la beauté de mon continent. Je n’ai jamais défilé seule en seize ans. Je me sens bien dans le partage. »
Je considère que le vêtement est un vecteur d’engagement. Et encore plus pour un continent comme l’Afrique. Je pense que c’est une forme de politique.
On retrouve là l’adolescente qui a grandi au sein d’une famille nombreuse où la liberté de ton et l’échange étaient presque une nécessité. « Mes parents nous poussaient à faire preuve d’audace, à argumenter quand on voulait quelque chose. » Entre un père qui travaillait pour Abdou Diouf et une mère députée et partisane d’Abdoulaye Wade, gageons que les débats étaient houleux ! Mais Adama Paris a choisi d’embrasser une autre forme de combat. « Quand j’achète les créations d’artistes sénégalais que j’ai vu évoluer et qui ont travaillé ou défilé pour la première fois grâce à moi, j’ai comme l’impression de voter. » Elle évoque, par exemple, le photographe Omar Victor Diop et la styliste Sophie Zinga, membres d’une deuxième famille qu’elle s’est créée avec le temps.
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La première édition de la Dakar Fashion Week, en 2002, réunissait quatre créateurs, dont le fameux Pathé’O, qu’Adama Paris appelle affectueusement « papa ». À 25 ans, elle y était allée au culot pour se trouver des sponsors, des financements et avait bénéficié de l’aide de ses parents. Cette année, avec un budget de 80 millions de F CFA en poche (près de 122 000 euros), ce sont 32 créateurs qui l’ont rejointe à Dakar. « Tous ensemble au sommet, c’est mieux que de regarder seule, d’en bas, ce qui fait tourner le monde. »
Défiler ensemble
En 2015, Adama Paris a décidé de regrouper les acteurs de la mode sur le continent avec l’African Fashion Federation. Omoyemi Akerele, fondatrice de la Lagos Fashion & Design Week, et Precious Moloi-Motsepe, créatrice de l’AFI Fashion Week en Afrique du Sud, font d’ores et déjà partie du projet. Cette fédération aura cinq objectifs : établir un calendrier des Fashion Weeks les plus importantes du continent, créer un fonds d’investissement pour soutenir la création, organiser un événement en Afrique avec un défilé différent chaque année, soutenir les formations et enfin la création d’écoles de mode. « Je souhaite que l’African Fashion Federation devienne un poids lourd incontournable. Il nous reste encore du travail ! »
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