[Tribune] Afrique : démocratie à crédit
Entre campagnes, tournées, meetings et actions de communication et le coût de la vie ; politicien est devenu un « métier » cher sur le continent.
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Mathias Hounkpe
Mathias Hounkpe est titulaire d’un Master of Philosophy en science politique de l’Université Yale aux États-Unis et d’un doctorat en physique mathématique de l’Université d’Abomey-Calavi du Bénin. Il est actuellement l’Administrateur du Programme de Gouvernance Politique et de Consolidation Démocratique de OSIWA (Open Society Initiative for West Africa).
Publié le 7 juillet 2018 Lecture : 3 minutes.
Ceux qui aspirent à briguer des mandats et les plus hautes fonctions, doivent y mettre le prix en Afrique. « Faire de la politique demande d’énormes ressources financières – des ressources chaque jour plus importantes. Vous, les politologues, devez nous aider, nous, les acteurs politiques, à trouver une solution à ce problème parce que la démocratie va dans le mur. »
Voilà ce que me disait, il y a quelques mois, le président d’une coalition au pouvoir dans un pays d’Afrique de l’Ouest au détour d’une interview dont le sujet n’avait, du reste, rien à voir avec les sommes engagées par les uns ou les autres pour faire de la politique.
Mon interlocuteur tenait à ce que je sache que les individus aussi bien que les partis étaient constamment obligés de s’endetter pour obtenir des postes électifs ou les conserver.
>>> À lire – La démocratie en Afrique de l’Ouest entre progrès fragiles, espoirs et craintes
Un exemple avec le Ghana et cette étude publiée récemment par la Fondation Westminster pour la démocratie et le Centre ghanéen pour le développement démocratique : ses auteurs se sont intéressés au coût de la politique pour les parlementaires. Leur rapport analyse tout à la fois ce qu’ils ont dû dépenser pour participer aux primaires organisées au sein de leur parti, puis pour se présenter aux élections législatives et enfin les sommes qu’ils ont engagées durant la durée de leur mandat. Il s’avère qu’au Ghana le coût global de la participation aux élections a augmenté de 59 % entre 2012 et 2013 et que, pour être élu, il faut débourser l’équivalent de deux années d’indemnités de député. Dans ces conditions, difficile d’imaginer comment un citoyen ordinaire pourrait entrer au Parlement !
En la matière, le Ghana n’est pas une exception. Au Bénin, un député m’a raconté avoir dépensé près de 300 000 F CFA pour être élu en 1991 (soit 1 045 dollars de l’époque), et un autre m’a avoué avoir investi trois fois plus (environ 900 000 F CFA) seulement quatre ans plus tard.
Aujourd’hui, pour être élu député dans ce pays, il faut prévoir, selon les témoignages, entre 50 millions et 200 millions de F CFA !
Ceci signifie que, selon les circonscriptions électorales, un candidat peut dépenser une somme supérieure à l’ensemble des indemnités qu’il touchera pendant les quatre années de la législature. Et l’on pourrait continuer avec d’autres exemples, dans d’autres pays de la région tels que le Nigeria…
Pour tenter de remédier à cette situation, deux types de solution ont été proposés dans les codes électoraux. D’abord, le plafonnement des dépenses de campagne et les sanctions contre toute violation de cette règle. Le problème, c’est que non seulement cette mesure est parcellaire, puisqu’elle ne couvre que les sommes déboursées durant la campagne, mais elle n’est correctement appliquée quasiment nulle part. L’autre solution est le financement public des campagnes électorales et des partis politiques. Mais elle ne s’est pas révélée efficace, comme l’a démontré le rapport 2017 de l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale (Idea).
Je n’ai pas la prétention de savoir comment nous pourrions résoudre ce problème, mais il ne fait aucun doute que c’est l’une des plus sérieuses menaces qui pèsent sur nos jeunes démocraties. Ainsi que le suggère le rapport sur le coût de la politique au Ghana, organiser dans chacun de nos pays un dialogue regroupant les politiques, les institutions impliquées dans les élections et les divers acteurs de la société constituerait déjà un bon point de départ. Cela permettrait en tout cas d’amorcer une réflexion sérieuse sur la question. Car, pour reprendre le leader politique cité au début de cette réflexion, l’inaction n’est pas une option. Les enjeux sont bien trop grands !
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