[Edito] Une nouvelle internationale
Il y a deux ans, le 23 juin 2016, les électeurs britanniques ont voté la sortie de leur pays de l’Union européenne. On a donné à cet acte de rupture le nom de Brexit.
Moins de cinq mois plus tard, les citoyens de la fédération des États-Unis d’Amérique ont élu à la présidence un apôtre de « l’Amérique d’abord » : Donald Trump.
La plupart d’entre nous ont alors cru que ces deux votes, inattendus et surprenants, étaient des accidents de l’Histoire et que les choses allaient reprendre leur cours normal.
Eh bien, pas du tout.
Il apparaît aujourd’hui que les deux grandes nations anglo-saxonnes étaient en fait non pas des cas isolés, mais des précurseurs. En ce moment même, le monde entier – pays développés et émergents – marche dans leurs pas, évolue dans le même sens.
Avec Xi Jinping, la Chine elle-même pratique un « China first » et un « Make China great again » moins brutaux et moins ostentatoires que ceux de Trump.
Et l’Inde de Narendra Modi fait la même chose, plus nettement encore que la Chine.
Tout récemment, Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan et Abdel Fattah al-Sissi ont été triomphalement réélus, dès le premier tour, à la présidence de leurs pays respectifs. Plébiscités, ils y disposeront, tous les trois, de pouvoirs étendus et pourront exercer leur autorité à leur guise : le gouvernement d’un pays par un homme !
Il s’agit donc bien d’un mouvement de fond, d’une tendance historique : dans un nombre croissant de pays des cinq continents, une majorité de citoyens veut être représentée et dirigée par des hommes forts, incarnation d’un nationalisme exacerbé*.
Je n’ai, hélas, que l’embarras du choix pour citer d’autres exemples, les plus récents et les plus retentissants étant les deux populistes italiens, Luigi Di Maio et Matteo Salvini, que leurs concitoyens viennent de porter au pouvoir.
Le doyen de ces hommes forts, Mahathir Mohamad, 92 ans, a été rappelé aux affaires en Malaisie pour nettoyer les écuries d’Augias près de vingt ans après avoir quitté le pouvoir. C’est dire si les électeurs cherchent à la loupe des leaders à poigne, quel que soit leur âge. Tout se passe comme s’ils voulaient des hyperprésidents, des nationalistes déclarés, fiers de l’être et professant à haute voix le fameux « mon pays d’abord ».
On les trouve désormais aux Philippines, en Thaïlande, en Hongrie, en Autriche, en Pologne, ou encore en Arabie saoudite en la personne d’un Mohammed Ibn Salman (MBS) ou aux Émirats arabes unis en celle d’un Mohammed Ibn Zayed.
Plantes vénéneuses qui éclosent l’une après l’autre ? Ou leaders charismatiques descendant dans l’arène pour sauver leur pays en le gouvernant d’une main de fer ?
Qu’ils soient élus, comme Poutine, ou imposés d’en haut, comme Mohammed Ibn Salman, ces hommes forts sont en réalité des autocrates. Ils ont concentré entre leurs mains tous les pouvoirs, ou presque, car leurs peuples, ou ceux qui les ont nommés, les leur ont confiés dans l’espoir qu’ils en feront bon usage.
Les meilleurs d’entre eux se garderont d’aller trop loin et y parviendront dans les premières années. Ils se comporteront en réformateurs, et le pouvoir personnel dont ils disposent leur permettra d’agir rapidement et avec efficacité. On les admirera, on leur fera confiance, on attendra beaucoup d’eux.
Opportunistes, ils sauront flatter la fibre nationaliste de leur peuple, son besoin d’exister, d’être fier de ses réalisations. Et seront donc populaires, comme l’est Poutine depuis près de vingt ans.
>>> À lire – Le temps des dictateurs élus
Les institutions des pays qu’ils dirigent seront de moins en moins influentes, les contrepoids à leur pouvoir personnel disparaîtront progressivement et, avec eux, l’espoir d’une alternance.
Le pouvoir glissera peu à peu pour se concentrer entre les mains des entourages.
Sans qu’il s’en rende toujours compte, l’autocrate, qui était au départ le plus souvent un monarque élu, deviendra un dictateur.
Il arrive que les dictateurs conservent le pouvoir jusqu’à leur fin et meurent dans leur lit. Mais, dans la plupart des cas, cela finit mal pour eux et pour leur pays.
Winston Churchill l’a dit il y a déjà soixante-dix ans : « La démocratie est le pire des régimes, à l’exclusion de tous les autres. »
Depuis deux ou trois ans, celle-ci est en net recul dans le monde : on la quitte plus souvent qu’on n’y entre, et sa qualité se détériore.
On y aspire, on la désire, on envie ceux qui y vivent, mais on est exaspéré par ses lenteurs, sa relative inefficacité.
Ceux qui la critiquent en sont arrivés à la rejeter, à élaborer des régimes pseudo-démocratiques qui sont, en réalité, des alternatives à la démocratie.
Une nouvelle « internationale de régimes non démocratiques » s’est mise en place. Ses membres n’ont que condescendance pour les démocraties, dont les plus critiquables à leurs yeux sont celles personnifiées par Angela Merkel en Allemagne et Justin Trudeau au Canada.
Ils vont jusqu’à proclamer que ce sont eux qui vont dans le sens de l’Histoire.
Bien qu’il soit à la tête d’une grande démocratie, Donald Trump est leur chef de file. Il n’aime pas être enfermé dans des alliances ; il considère la déstabilisation permanente comme une excellente tactique ; il aime imposer des diktats et pratique un mélange de nationalisme, de protectionnisme et d’improvisation.
Lui, ceux qui l’admirent et l’imitent n’ont que mépris pour nous autres, attachés à la démocratie, au multilatéralisme et à la mondialisation.
Ils sont en guerre avec nous, espèrent gagner la partie. L’avenir dira si les démocraties sauront se défendre et garderont leurs chances de prévaloir.
* Il n’y a aucune femme parmi ces monarques élus.
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