Nigeria- Ngozi Okonjo-Iweala : « On peut gagner la bataille contre la corruption »

Dans un livre témoignage récemment paru, l’ex-ministre nigériane des Finances revient sur son combat en faveur de la moralisation de la vie publique. Entretien.

Ngozi Okonjo-Iweala assiste à l’ouverture du forum franco-africain au ministère de l’Economie à Paris, le 6 février 2015. © Eric Piermont/AFP.

Ngozi Okonjo-Iweala assiste à l’ouverture du forum franco-africain au ministère de l’Economie à Paris, le 6 février 2015. © Eric Piermont/AFP.

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Publié le 10 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

«La chute d’Abraaj ? Nous pouvons en parler si nous avons cinq minutes à la fin. » « Vous êtes ivoirien ? Vous avez un grand président, vous savez ! » « En français, si vous voulez… »

C’est une Ngozi Okonjo-Iweala détendue et généreuse de son temps, qui a reçu Jeune Afrique, à la fin de juin, dans les bureaux parisiens de la banque d’affaires Lazard, dont elle est conseillère senior. Son parcours politique lui a réservé des jours bien plus difficiles. Elle a été accusée de corruption, d’abus de pouvoir, d’ethnicisme, de néolibéralisme lorsqu’elle était ministre des Finances du Nigeria…

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Ses adversaires ont rivalisé d’imagination dans leurs attaques, que ce soit durant l’administration de Goodluck Jonathan (2011-2015) comme après l’élection de son successeur, Muhammadu Buhari. Dans le livre Fighting Corruption Is Dangerous, paru à la fin d’avril en anglais, Ngozi Okonjo-Iweala démonte ces allégations et dévoile les pressions subies, parmi lesquelles le kidnapping de sa mère, en 2012. Les ravisseurs, engagés selon elle par des personnes affectées par sa réforme des subventions pétrolières, exigeaient sa démission et son départ du Nigeria. Elle n’en a rien fait, et sa mère est finalement parvenue à s’échapper… Ce n’est que l’une des nombreuses batailles racontées par Okonjo-Iweala dans ce récit, qui jette une lumière crue sur les coulisses du pouvoir. Rencontre.

Dans un entretien avec Jeune Afrique, en février 2015, vous vous êtes plainte que « les gens aient une perception injuste du Nigeria ». Avez-vous révisé votre jugement ?

Ngozi Okonjo-Iweala : Non. Comme je le dis dans le livre, la majorité des Nigérians sont des citoyens honnêtes et travailleurs. Mais le pays est sous la coupe d’une élite kleptocratique. Ne laissons pas les péchés de quelques-uns ternir l’image de la majorité. Mais quand ces « quelques-uns » sont si puissants et semblent invulnérables, la pureté du plus grand nombre est peut-être sans importance…

J’ai écrit ce livre pour les jeunes. Pour montrer qu’on peut combattre la corruption et gagner. Je ne prétends pas que nous avons remporté la bataille, mais, si vous réunissez une masse critique de personnes essayant de redresser les choses, en prenant quelques risques, cela ne peut-il pas devenir un mouvement ?

Je ne suis pas naïve. Je sais qu’il y a des risques dans la lutte contre la corruption

Cela semble optimiste…

Pourquoi pas ? Qu’y a-t-il d’autre à faire que d’espérer pour les jeunes ? Avec mon ouvrage, ils savent qu’il y a des gens qui peuvent mener la bataille contre la corruption. Je ne suis pas sortie sans cicatrices, j’en ai beaucoup. Mais lutter contre la corruption est possible. Et c’est un devoir. Je ne suis pas naïve. Il y a des risques. Mais si les Africains ne luttent pas, qui le fera ? Lorsque je travaillais à la Banque mondiale, je donnais des conseils sur la lutte contre la corruption au Premier ministre d’un pays non africain. Au bout d’un moment, cette personne m’a dit : vous savez, votre propre pays pourrait utiliser vos conseils…


>>> À lire –  Corruption au Nigeria : l’ancien président Goodluck Jonathan appelé à comparaître comme témoin


Au-delà de « donner l’exemple », qu’avez-vous réellement accompli entre 2011 et 2015 ?

Regardez seulement l’argent économisé ou que nous avons empêché d’être dilapidé, cela atteint 9 milliards de dollars [7,7 milliards d’euros] ! Et c’est une estimation prudente. Ensuite, en matière de mécanismes institutionnels, je suis vraiment fière qu’aujourd’hui le Nigeria dispose d’un système d’identification biométrique pour les fonctionnaires, qui rend possible un meilleur paiement, et d’un système intégré de gestion financière du gouvernement qui permet les transferts électroniques entre ministères. Le pays dispose d’un compte unique du Trésor (TSA) qui donne au ministre des Finances une vue d’ensemble de tous les comptes du gouvernement. Ce sont des avancées tangibles, et le gouvernement actuel s’en inspire.

La réforme du TSA a cependant été attribuée à la nouvelle administration Buhari…

Cette réforme, lancée sous le président Obasanjo et poursuivie sous le président Jonathan, a duré près de dix ans. Un rapport du FMI, publié avant la fin de notre administration, indiquait que 75 % du TSA avaient été mis en œuvre. Nous avions transféré tous les comptes de capital du gouvernement depuis les banques commerciales vers la Banque centrale du Nigeria. L’étape suivante était les comptes courants. Nous devions le faire avec soin pour ne pas assécher la liquidité bancaire. Mais nous avions déjà envoyé des lettres aux ministères annonçant le mouvement des comptes courants dans le système. Tout cela est documenté…

Pensez-vous qu’on ne vous a pas accordé suffisamment de crédit après votre départ ?

Je me fiche du crédit. Ce qui m’importe, c’est la vérité ! Tant de mensonges ont été racontés. La critique de nos choix ne me dérange pas. Mais que les gens racontent des mensonges délibérés, diffusent de fausses nouvelles, ce n’est pas normal !

Soyons clairs : sur les questions de corruption, je n’ai jamais été bloquée par le président Jonathan

À différents moments du livre, vous évoquez des deals de mauvaise qualité, dangereux, proposés au plus haut niveau de l’administration…

Une personne influente dans le secteur privé peut avoir accès aux échelons supérieurs de n’importe quelle administration. Cela se produit dans tous les pays, regardez les scandales de corruption en Ukraine, au Brésil et même en Corée du Sud…

Comment expliquez-vous alors les nombreuses accusations de corruption portées contre l’administration Jonathan ?

Chaque gouvernement au Nigeria est accusé de corruption, pendant ou après son mandat. Je ne peux parler que de ce qui m’est arrivé. Soyons clairs : quand j’avais besoin d’agir sur les questions de corruption, je n’ai jamais été bloquée par le président Jonathan. Jamais !

Parfois, quand il n’était pas sûr, il me convoquait pour examiner les propositions qui lui avaient été faites ! Je pense que nous n’avons malheureusement pas réussi à communiquer sur ce que nous faisions pour lutter contre la corruption. En même temps, je dis clairement que, dans d’autres parties du gouvernement, je savais qu’il y avait probablement des gens qui faisaient de mauvaises choses à tel ou tel endroit… C’est un paradoxe.

Je ne suis candidate à rien du tout. En ce moment, je m’amuse trop

Avez-vous aujourd’hui d’autres ambitions au Nigeria ? En Afrique ?

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N’en ai-je pas fait assez ? J’ai l’impression d’avoir rendu service au Nigeria autant que possible. Il est facile d’être un critique de salon, moi, j’ai mis les mains dans le cambouis. Je pense donc avoir la crédibilité nécessaire pour m’exprimer sur l’Afrique et mon pays. Je ne suis candidate à rien du tout. En ce moment, je m’amuse trop.

À quoi faire ?

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À être libre et en même temps très occupée. Je préside l’Alliance mondiale pour les vaccins, active dans 73 pays. Je suis conseillère chez Lazard, où je gagne ma vie. Je préside l’African Risk Capacity et copréside la Commission mondiale sur le climat et l’économie. Ces quatre responsabilités me comblent sur tous les plans.

Travaillez-vous encore au Nigeria ?

Je vis une partie de mon temps au Nigeria, et personne ne m’en fera partir. Je travaille aussi à Washington. J’aime mon pays, sinon je n’aurais pas pris la peine d’écrire ce livre.

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