Éthiopie – Hailemariam Desalegn : « Mon pays avait besoin d’un nouveau visage »

Il était venu « servir et non se servir ». Avec le sentiment du devoir accompli, il a démissionné après six années au pouvoir. Ce qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait jamais fait.

Hailemariam Desalegn avec Abiy Ahmed (à g.), à la Chambre des représentants du peuple, le 2 avril, à Addis-Abeba. © Tiksa Negeri/REUTERS

Hailemariam Desalegn avec Abiy Ahmed (à g.), à la Chambre des représentants du peuple, le 2 avril, à Addis-Abeba. © Tiksa Negeri/REUTERS

ProfilAuteur_PierreBoisselet

Publié le 12 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

Hailemariam Desalegn goûte à une retraite bien méritée. En démissionnant de son poste de Premier ministre en février et après six années passés au pouvoir, dont trois face à une vigoureuse contestation, il est devenu le premier dirigeant éthiopien à quitter la tête du pays volontairement. Ce faisant, il a permis une révolution doublée d’une autre : l’arrivée au pouvoir d’un Oromo, groupe majoritaire mais historiquement marginalisé, en la personne d’Abiy Ahmed.

Convaincu que l’Éthiopie est désormais sur la bonne voie, Hailemariam Desalegn ne regrette pas son choix. Il faudra, dit-il, bien plus qu’un attentat à la grenade, tel que celui qui a visé le rassemblement géant de Meskel Square, le 24 juin, pour faire dérailler le processus. Il s’est confié à Jeune Afrique en marge du sommet de l’Union africaine de Nouakchott, où il était l’invité spécial du président de la Commission, Moussa Faki Mahamat. À 52 ans, il figure déjà parmi les sages du continent.

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Jeune Afrique : En février, vous avez choisi de démissionner. Cette décision a-t-elle été difficile à prendre ?

Hailemariam Desalegn : Lorsque j’étais au pouvoir, ma seule ambition était de sortir mon peuple de la pauvreté et d’approfondir la démocratie dans mon pays. Je pense avoir contribué à trouver des solutions à ces problèmes. Mais j’ai senti que davantage de réformes étaient nécessaires et que je ne pouvais pas les mettre en place moi-même. J’étais venu pour servir et non pour me servir. Il m’a donc été facile de partir. Cela a amené de grands changements dans mon pays. C’était mon souhait. Je peux donc dire que j’ai pris la bonne décision.

Abiy Ahmed, votre successeur, a pris des décisions très symboliques, comme la levée de l’état d’urgence ou l’ouverture d’un dialogue avec l’Érythrée… Ce type de réforme était-il devenu nécessaire ?

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Oui, nous avions besoin de réformes profondes. Les décisions que vous avez mentionnées ne sont d’ailleurs que quelques-uns des changements qui sont en cours. Le plus important est sans doute l’approfondissement et l’élargissement de l’espace démocratique. Notre coalition était en fait divisée sur cette question des réformes depuis des années. Il y avait d’un côté les communistes, partisans d’une reconstruction socialiste de l’Éthiopie. Ils veulent un État très fort et se soucient peu d’inclusivité, de diversité et de multipartisme. Ils cherchent à appliquer leur programme par tous les moyens. Cette attitude doit changer. Face à eux, il y avait les réformistes, dont je fais partie, qui pensent que la démocratie est une question existentielle pour le pays. Nous sommes opposés à tout processus non inclusif. Cette lutte s’est terminée par la victoire des réformistes. Nous voyons donc les changements s’opérer.

Pourquoi ne pas les avoir mis en œuvre vous-même ?

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C’était mon souhait. Je l’ai exprimé. Mais je n’ai pas été capable de convaincre les autres leaders du parti. Nous avions besoin d’un nouveau visage à la tête du pays et d’un nouvel élan. Le mécontentement des Oromos, le premier groupe ethnique du pays, était très important, tout comme celui des Amharas. Je n’appartiens à aucun de ces groupes, et ma démission a permis à mon successeur de calmer le peuple pour pouvoir poursuivre les réformes.

Notre pays a toujours su s’unir lorsqu’il faisait face à des problèmes d’envergure nationale

Ces tensions communautaires inquiètent beaucoup d’Éthiopiens et d’observateurs. Y a-t-il un risque pour l’unité du pays ?

Non, je ne le pense pas. Il est vrai que nous n’avons pas totalement réussi à construire un État uni. Mais les gens qui ont manifesté ces dernières années demandaient des réformes, de la démocratie et de l’inclusivité. Pas la désintégration du pays. Des dizaines de milliers de personnes sont venues soutenir le programme d’Abiy Ahmed à Meskel Square, à Addis-Abeba. Notre pays a toujours su s’unir lorsqu’il faisait face à des problèmes d’envergure nationale.

Comment êtes-vous parvenu à prendre le pouvoir après la disparition de Meles Zenawi, dont l’influence sur le pays a été énorme pendant deux décennies ?

S’il a si longtemps présidé le parti, c’est parce que ses performances étaient excellentes, notamment pendant la période de la lutte armée [contre le régime de Mengistu Haile Mariam]. Il nous a menés à la victoire. Moi, je fais partie d’une génération de dirigeants – la première – qui n’a pas participé à la lutte armée, mais j’ai su me distinguer jusqu’à être élu vice-président de la coalition au pouvoir, EPRDF [Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien], alors que Meles Zenawi était encore en vie. Dans ces cas-là, et à moins de commettre une erreur, vous êtes le successeur légitime.

De nombreux analystes estiment que le Front pour la libération du peuple tigré (TPLF) est toujours dominant au sein de la coalition au pouvoir. Cela a-t-il entravé votre action lorsque vous étiez Premier ministre ?

C’est vrai que ses dirigeants imaginent qu’ils sont les seuls capables de penser pour ce pays, comme s’ils avaient une responsabilité supérieure aux autres. Mais ils ont fini par admettre que cette situation n’était pas tenable. Aujourd’hui, cette domination n’existe plus.

C’est aussi simple que cela ?

Oui, aussi simple que cela !

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Avez-vous des regrets ?

Non, parce que je pense que j’ai agi avec sincérité et au mieux de mes capacités. Lorsqu’on regarde en arrière, on se dit qu’on aurait pu aborder tel ou tel problème d’une autre manière. Mais lorsque j’ai pris des décisions qui ont eu des conséquences négatives, je ne l’ai pas fait intentionnellement. Je continue de penser que j’ai beaucoup contribué au développement de mon pays. Pendant mes six années à la tête de l’Éthiopie, la taille de l’économie a triplé. Nous sommes devenus la plus grande économie d’Afrique de l’Est, devant le Kenya. J’ai convaincu les dirigeants mondiaux, comme Barack Obama, de visiter mon pays. Nous avons joué un rôle très actif pour pacifier notre région, en Somalie et au Soudan du Sud. Et, pour ce qui est de nos relations avec l’Érythrée, les travaux que j’avais lancés commencent à porter leurs fruits.

Les Éthiopiens et les Érythréens sont un même peuple sur deux territoires

Pensez-vous que le conflit avec Asmara puisse être résolu prochainement ?

Oui, car, dans le fond, tout n’est qu’une question de fierté entre les dirigeants de nos deux pays. « Je suis le plus fort ! » « Non, c’est moi ! »… Nous nous sommes obstinés. À dire vrai, ce n’est pas un problème frontalier qui nous a opposés toutes ces années. Badme [la principale localité revendiquée par Addis-Abeba et Asmara] n’est qu’un petit village. En Afrique, la plupart des frontières ne sont pas précisément délimitées, et cela n’occasionne pas des conflits pour autant. Les Éthiopiens et les Érythréens sont un même peuple sur deux territoires. Il suffit d’en finir avec cet entêtement pour que cela se calme. Je suis d’ailleurs très heureux que l’équipe du président Isaias Afeworki se soit rendue à Addis-Abeba pour discuter sans conditions préalables.

Quel type de relations entretenez-vous avec votre successeur ? Le conseillez-vous parfois ?

Bien sûr. Nous sommes des amis très proches et depuis longtemps. Nous continuons à travailler ensemble. Je le soutiens et je prie pour lui.

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