Côte d’Ivoire : Petroci sort de la zone rouge

La compagnie pétrolière publique ivoirienne redresse la tête depuis deux ans. Sans avoir encore soldé ses mauvaises affaires dans l’aval.

Un opérateur travaille dans une usine de la société à Abidjan. Cette dernière a licencié 48 salariés en 2016. Elle emploie aujourd’hui 459 personnes. © Issouf Sanogo/AFP

Un opérateur travaille dans une usine de la société à Abidjan. Cette dernière a licencié 48 salariés en 2016. Elle emploie aujourd’hui 459 personnes. © Issouf Sanogo/AFP

Publié le 16 octobre 2018 Lecture : 5 minutes.

Serait-ce enfin le bout du tunnel pour la Société nationale d’opérations pétrolières de Côte d’Ivoire (Petroci) ? La compagnie publique a, l’an dernier, enchaîné un deuxième exercice consécutif excédentaire. Après 2016, où la Petroci avait enregistré un bénéfice de 4 milliards de F CFA (6 millions d’euros), l’année 2017 s’est conclue sur un profit de 6 milliards de F CFA, fruit de la restructuration et des nouvelles orientations opérées il y a deux ans. Sur la même période, le chiffre d’affaires de l’entreprise établie au Plateau est passé d’environ 200 milliards de FCFA en 2015 à 220 milliards de FCFA en 2017.

Pourtant, il y a trois ans, Petroci était au bord de la cessation de paiement avec un déficit de près de 40 milliards de F CFA. Une débâcle qui annihilait tout rêve d’en faire un fer de lance de la montée en puissance du pays dans l’or noir.

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Fin 2015, le gouvernement a procédé à la nomination du docteur Ibrahima Diaby au poste de directeur général avec comme mission de redresser la situation. Et notamment de gérer les lourdes dettes de l’entreprise. Celles-ci atteignaient 1,38 milliard de dollars rien que dans le cadre de Corlay Global, une société créée en 2009 en joint-venture avec le groupe MRS Oil Nigeria pour reprendre les stations-service de la major américaine Chevron dans six pays.

Diviser par deux la dette vis-à-vis de Corlay

Les prêts contractés par Corlay auprès des banques nigérianes sont gagés sur les actifs de Petroci. Et la part de la compagnie publique dans cette joint-venture fait toujours l’objet d’un sévère litige avec son partenaire nigérian – elle serait située entre 13 % et 20 %. Après d’âpres négociations et plusieurs recours judiciaires, Petroci est parvenue à ramener la valeur de sa dette vis-à-vis de Corlay Global à 400 millions de dollars.

L’objectif est désormais de la diviser encore par deux, à 200 millions de dollars, puis de récupérer une partie du réseau de stations-service Corlay en Afrique subsaharienne en vue de la céder à une société privée. Le litige fait l’objet d’un arbitrage international auprès de la Chambre de commerce internationale de Paris (ICC).

Au-delà de cette désastreuse aventure, l’entreprise a été fragilisée en 2015 par la baisse vertigineuse des cours du pétrole au même titre que ses consœurs africaines et que les compagnies internationales. Petroci a ainsi perdu de l’ordre de 75 % de ses revenus, ceux-ci étant principalement liés à l’exploitation pétrolière. Le nouveau management a dû revoir toute la stratégie de développement. Et agir. Le premier chantier a porté sur une réduction des effectifs qui s’élevaient fin 2015 à 609 salariés. « La situation était devenue intenable. Nous avons dû nous séparer de 48 agents », indique un membre de la direction requérant l’anonymat.

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Filialisation des activités annexes

Le deuxième axe a été de mettre le frein sur l’expansion internationale. La compagnie s’est désengagée d’opérations extérieures comme au Congo où elle détenait 20 % du champ pétrolier Mengo-Kundji-Bindi (MKB), situé au large de Pointe-Noire. Cette participation a été cédée à la société Orion Oil de l’homme d’affaires congolais Lucien Ebata. Au Moyen-Orient, Petroci a également mis en stand-by ses projets dans l’exploration du bloc 50 dans les eaux d’Oman.

Enfin, le troisième axe du plan de sauvetage a été de recentrer Petroci sur son métier historique, l’exploration et l’exploitation pétrolière en Côte d’Ivoire. Cette stratégie a consisté en une filialisation de toutes les activités annexes, à commencer par la base logistique de Vridi dans le port d’Abidjan, spécialisée dans les services pétroliers. La compagnie ivoirienne a cédé la majorité de ses parts dans cette base au belge Sea-Invest, avec lequel elle a créé une entreprise commune nommée Petro-Sea Logistics. Quant à la distribution de produits pétroliers, malgré son réseau de 41 stations-service à travers le pays, l’entreprise avait perdu plus de 10 % de parts de marché. Une situation calamiteuse qui a conduit à l’ouverture de négociations avec Puma Energy (Trafigura), puis à une cession de 80 % des parts de son réseau (lire encadré ci-dessous).

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Le dernier projet de cession porte sur l’activité de distribution de gaz butane et les centres emplisseurs. Le gouvernement a lancé le schéma de privatisation. Et des études sont actuellement menées par le comité chargé de l’opération. Dans cette activité, la compagnie a aussi accumulé d’énormes pertes, faute notamment d’investissements pour moderniser ses équipements.

150 millions d’euros pour un terminal gazier

En revanche, Petroci n’a pas renoncé à son développement dans le gaz. Elle est actuellement en négociation avec des partenaires privés pour un projet de construction de deux sphères de stockage de gaz butane à San Pedro et à Abidjan. Montant de l’investissement : 30 milliards de F CFA.

Par ailleurs, l’entreprise détient toujours une participation de 11 % dans la société Côte d’Ivoire GNL, aux cotés du groupe Total (34 %, désigné opérateur) et de plusieurs autres compagnies pétrolières d’envergure. Celle-ci prend en charge le projet de construction d’un terminal gazier à Abidjan, avec notamment une unité flottante de stockage et de transformation du gaz naturel liquéfié (FSRU) d’un montant de 150 millions d’euros et dotée d’une capacité de 3 millions de tonnes par an.

Ce terminal, pour lequel un feu vert est attendu cette année, vise à importer du GNL afin d’approvisionner plusieurs centrales électriques du pays. « La Petroci sera désormais active sur des projets en lien avec son cœur de métier », explique une source interne. L’entreprise se concentre aussi actuellement sur l’extension du pipeline de distribution de produits pétroliers qui relie Abidjan à Bouaké, la deuxième ville du pays.

Renouer avec la Sonangol

La prochaine phase portera sur le prolongement de l’ouvrage jusqu’à Ferkessédougou, dans l’extrême nord du pays, puis au Burkina Faso. En parallèle, Petroci, qui détient le bloc pétrolier offshore et gazier CI-11, poursuit l’exploration et l’exploitation pétrolière. La compagnie vient d’ailleurs de renouer avec la compagnie publique angolaise Sonangol à ce sujet. Et elle sera associée, même minoritairement (environ 10 %), aux projets de Tullow Oil qui vont reprendre dans les eaux ivoiriennes, maintenant que le litige frontalier avec le Ghana est résolu.

Quant à la remontée du prix du pétrole, si elle fait faire la grimace aux consommateurs ivoiriens, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la compagnie.

La distribution cédée à Puma Energy

Alassane Ouattara a validé le 28 février 2018 en conseil des ministres la cession du réseau de 37 stations-service de Petroci à Puma Energy Côte d’Ivoire, détenue par le trader Trafigura et présidée par Ahmadou Touré, un neveu du chef de l’État.

Le réseau de Petroci génère un chiffre d’affaires estimé à près de 30 millions d’euros. Sa part de marché, en fort recul, était de 5 % fin 2017, loin derrière Total (35 %), Vivo (29 %) et Oil Libya (13 %). Petroci a conservé une part de 20 % dans le réseau de stations-service.

Pierre-Olivier Rouaud

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