Maroc – Algérie : Horst Köhler face au mirage des négociations sur le Sahara occidental
Lors de sa récente tournée sur le terrain, Horst Köhler, l’envoyé spécial onusien pour le Sahara occidental, a pu mesurer le chemin qu’il reste à parcourir avant de ramener les différentes parties à la table des pourparlers, désertée depuis 2012. Mission impossible ?
Alger, Tindouf, Nouakchott, Rabouni, Rabat, Laâyoune, Dakhla, Smara… C’est un périple de dix jours que vient d’achever Horst Köhler, envoyé personnel du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies. Son premier du genre depuis sa nomination par António Guterres comme émissaire pour le Sahara occidental en août 2017. Son périple initial, en octobre dernier, s’était limité aux capitales maghrébines (Alger, Rabat et Nouakchott).
L’objectif cette fois était de s’enquérir de la situation sur le terrain alors que la tension est à son comble depuis des mois. Mieux : il s’agissait de convaincre les différentes parties de reprendre les négociations, interrompues depuis six ans. Mission presque impossible tant les positions des uns et des autres sont figées et aux antipodes les unes des autres. L’ancien président allemand l’a appris à ses dépens au fil de ses différentes escales.
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Inflexibilité algérienne
À Alger, point de départ de la tournée, Köhler a dû se résoudre à prendre acte de l’inflexibilité algérienne. L’État algérien se considère comme simple « observateur » appelé à « contribuer à la relance du processus politique » pour une résolution « garantissant l’autodétermination du peuple sahraoui », selon les termes repris par l’agence de presse officielle.
À Nouakchott, l’émissaire onusien a été confronté à la « neutralité positive » des autorités. « Souhaitant rester neutres, nous soutenons toute initiative qui pourrait permettre de sortir de l’impasse », a déclaré à Jeune Afrique Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, ministre mauritanien des Affaires étrangères, qui a reçu Köhler après son entretien avec le président Mohamed Ould Abdelaziz.
Dans les camps du Polisario, installés à Rabouni, au sud de Tindouf, le successeur de Christopher Ross a eu droit à une position plus tranchée qui renvoie toute la responsabilité à la partie marocaine. Une démonstration supplémentaire de la difficulté de relancer les négociations. Au terme de sa rencontre avec les responsables de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), le chef de la délégation sahraouie chargée des négociations, Khatri Eddouh, a déclaré que « c’est à la partie marocaine de lever tous les obstacles, d’autant que la dernière résolution […] appelle à des négociations sans conditions préalables et de bonne foi, afin de dégager une solution permettant au peuple sahraoui l’exercice de son droit à l’autodétermination ».
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Sauf que Rabat a une tout autre interprétation de la dernière résolution onusienne. Köhler se l’est vu rappeler lors de rencontres avec des responsables gouvernementaux. Le Maroc reste attaché à sa souveraineté sur le territoire. Une position partagée par les élus locaux des provinces du Sud (Laâyoune, Dakhla et Smara), où Köhler a passé les derniers jours de sa tournée pour prendre la température sur le terrain. « Le responsable onusien a pu voir de ses propres yeux le développement et l’évolution que connaissent les provinces du Sud », a déclaré Hamdi Ould Errachid, député-maire de Laâyoune, chef-lieu du Sahara occidental, où est installé le siège de la mission onusienne de maintien de la paix (Minurso), que Horst Köhler a également visité.
Lectures contradictoires de la résolution 24-14
Mais l’horloge tourne. La résolution adoptée le 27 avril par le Conseil de sécurité ne prolonge que de six mois le mandat de la Minurso. Un nouveau vote doit avoir lieu avant octobre. Si Horst Köhler veut réussir sa mission, la nouvelle résolution devra être plus claire. Plus incisive aussi, notamment quant aux responsabilités de chacune des parties concernées, fait-on valoir côté marocain. Et pour cause, la résolution 24-14, qui a obtenu le satisfecit de tous les protagonistes, fait l’objet de lectures contradictoires.
« L’Algérie continue de se considérer comme étrangère à ce conflit, qu’elle a créé de toutes pièces, affirme une source diplomatique marocaine. Elle s’obstine à vouloir se comporter comme un observateur, tandis que le Maroc la considère légitimement comme la partie avec laquelle il peut négocier une solution politique. » La diplomatie chérifienne a en effet déjà expérimenté la stérilité des négociations directes avec le Polisario sous la supervision de deux envoyés onusiens, entre 2007 et 2012. « Après treize rounds de négociation à Manhasset, nous avons vu que le Polisario pouvait à peine décider du menu de ses repas », confiait à Jeune Afrique, il y a quelques semaines, le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita.
Abdelkader Messahel a rappelé au début d’avril que son pays soutenait le Polisario par devoir de solidarité à l’égard du peuple sahraoui
De plus, il est peu probable de voir le Maroc négocier avec une organisation qu’il considère non seulement comme séparatiste mais aussi comme terroriste. « Les récentes accusations du Maroc dénonçant le soutien armé apporté par le Hezbollah au Polisario sont un prétexte suffisant pour que la diplomatie chérifienne décline tout dialogue avec cette organisation », nous explique un politologue sous le couvert de l’anonymat.
Du côté d’Alger, la question du Sahara occidental reste perçue comme une « affaire Polisario-Maroc ». Mais le chef de la diplomatie, Abdelkader Messahel, rappelait, au début d’avril, quelques jours avant l’adoption de la résolution 24-14, que son pays soutenait le Polisario par devoir de solidarité à l’égard du peuple sahraoui, « tout comme le peuple algérien bénéficiait de la solidarité de nos frères marocains et tunisiens durant sa lutte pour son indépendance ». Un diplomate s’inquiète du « raidissement » des positions à Rabat, qu’il soupçonne de « volonté expansionniste ». Signe de la méfiance qui règne d’un côté comme de l’autre sur ce dossier.
Les deux options de Horst Köhler
Les négociations pourront-elles reprendre avant la fin de l’année, comme le souhaite Köhler ? Pour parvenir à ses fins, l’envoyé spécial ne dispose que de deux options. Recréer les conditions de la confiance pour convaincre l’Algérie de négocier avec le Maroc. Ou passer en force par la voie de la contrainte pour ramener les deux pays à la même table. Car la dernière résolution onusienne insiste sur la nécessité pour les pays voisins de « contribuer davantage au processus politique » et de « renforcer leur engagement dans le processus de négociation ».
Condition nécessaire mais pas suffisante. Car une fois cette épineuse question du tour de table résolue, l’émissaire onusien, comme ses prédécesseurs, sera confronté aux sables mouvants des termes de la négociation. Le Maroc, avec sa proposition d’autonomie, dispose pour l’heure d’un petit avantage auprès de la communauté internationale. John Sullivan, secrétaire d’État adjoint américain, a réitéré à Rabat que le plan marocain « reste une option ». Hasard du calendrier, son déplacement dans le cadre d’une réunion de la coalition anti-Daesh a coïncidé avec la tournée de Köhler.
La question sécuritaire au Sahel n’est pas à dissocier du conflit au Sahara, fait valoir le professeur de relations internationales Charkaoui Roudani
« La question sécuritaire au Sahel n’est pas à dissocier du conflit au Sahara, fait valoir le professeur de relations internationales Charkaoui Roudani. Les puissances occidentales sont conscientes de l’importance de réduire le risque terroriste au Sahel et du rôle constructif que joue le Maroc dans la région. » Un argument peu susceptible d’infléchir les positions du Polisario et de l’Algérie, défavorables au plan marocain comme base de négociations et qui réclament des tractations « sans conditions préalables » devant favoriser « l’autodétermination du peuple sahraoui ». Approche rejetée par Rabat, qui voit dans son initiative la « solution réaliste, réalisable et durable fondée sur le compromis » évoquée par la résolution de l’Organisation des Nations unies. C’est dire si chaque partie pioche ce qui l’arrange dans la littérature onusienne.
Les déclarations du porte-parole de Horst Köhler au terme de cette tournée régionale ne permettent pas d’y voir beaucoup plus clair. « Lors de ses entretiens, le président Köhler a souligné l’importance de progresser vers une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable au conflit, qui assurerait l’autodétermination du peuple sahraoui », écrit-il dans un communiqué diffusé le 2 juillet. Le même texte salue « la nécessité d’un nouvel esprit de réalisme et de compromis ». Arrivera-t-il à réinventer cet esprit et à l’imposer ? Ou renverra-t-il les décisions douloureuses à son successeur ? Réponse dans le rapport que Horst Köhler doit présenter au secrétaire général de l’ONU d’ici à l’automne, avant un nouveau vote au Conseil de sécurité en octobre.
Le « en même temps » de l’Union africaine
Le 31e sommet de l’Union africaine (UA), qui a pris fin le 2 juillet à Nouakchott, a été marqué par la présentation du rapport de la Commission sur la question du Sahara Occidental. Principales décisions inspirées par le document de Moussa Faki Mahamat, le président de l’UA : la réactivation du bureau de l’UA auprès de la Minurso à Laâyoune, et surtout la création d’un mécanisme africain pour apporter un appui efficace aux efforts des Nations unis dans la résolution du conflit… mais sans se substituer à l’ONU. Une précision qui réconforte Rabat, rétive à toute tentative de médiation de l’Union africaine.
« La résolution du conflit du Sahara est à New York et non à Addis Abeba », s’est empressé de commenter Nasser Bourita, à l’issue du sommet. La diplomatie chérifienne considère le mécanisme de l’UA comme une arme à double tranchant, car il serait composé de trois présidents de l’organisation panafricaine : celui en exercice, son successeur et son prédécesseur. « Quand les vents nous seront favorables, ce mécanisme de l’UA peut désamorcer toute hostilité des représentants permanents des pays africains auprès de l’ONU puisqu’il est censé aligner les positions, mais quand la composition de la Troïka nous sera défavorable, ce mécanisme peut nous causer des soucis », explique mezzo voce un ancien diplomate. Côté cour, la diplomatie chérifienne s’affiche sereine. Le Maroc conserve comme objectif principal celui affiché lorsqu’il a réintégré l’Union africaine en janvier 2017 : en faire exclure la Rasd, que deux tiers des membres n’ont toujours pas pas reconnue. La partie est loin d’être gagnée.
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