Mode : Imane Ayissi, dans la cour des grands stylistes
Le Camerounais Imane Ayissi, qui présentait sa collection printemps-été 2019 dans le cadre de la Fashion Week de Paris, entend bien intégrer le calendrier officiel des défilés.
Les éditions italienne et britannique de Vogue commencent timidement à parler de lui… Pourtant, Imane Ayissi, 50 ans, n’est pas un inconnu. S’il est aujourd’hui présenté à l’international comme la nouvelle sensation des créateurs africains à suivre, sa carrière – prolifique ! – n’a pas commencé hier.
Depuis 1992, celui qui a fait ses classes en tant que danseur au ballet national du Cameroun, puis sur les podiums en défilant pour les plus grands noms – de Givenchy à Yves Saint Laurent –, totalise près de trente apparitions au compteur. Et une petite vingtaine de shows programmés dans des festivals de mode un peu partout dans le monde.
Mais c’est principalement à Paris, où l’ex-gamin de Yaoundé a élu domicile et campé son petit atelier dans la rue d’Enghien, qu’on a pu admirer ses créations au confluent de l’Afrique et de l’Europe.
Une ouverture sur l’Afrique arrivée sur le tard
Parce que c’est bien dans la capitale de la mode, plébiscitée par les créateurs internationaux, que sa place se joue. Le styliste ne néglige pas l’Afrique pour autant. « Quand je présente mes collections à Paris, je les dévoile juste après en Afrique, en collaborant avec des associations ou des fondations », affirme celui qui travaille avec le CCMC (Centre des créateurs de mode du Cameroun) depuis près de dix ans pour former et accompagner les jeunes stylistes du pays à titre bénévole.
L’Afrique doit prendre conscience que la mode n’est pas qu’un amusement, un spectacle
Imane Ayissi a par ailleurs sillonné une bonne partie du continent, du Sénégal (Festival mondial des arts nègres, Dakar) au Nigeria (Arise Fashion Show, Lagos), en passant par la Tunisie (Festival design et mode de Carthage). Une ouverture sur l’Afrique arrivée sur le tard, en 2010, en raison du manque de structuration et de reconnaissance de l’industrie sur le continent. « Les Africains doivent prendre conscience que la mode n’est pas qu’un amusement, un spectacle. Et qu’il y a un vrai business derrière. Il faut espérer que les États finissent par soutenir la création », assure le couturier.
Attirer l’attention de la Fédération de la haute couture et de la mode
Depuis cinq ans, Imane Ayissi ne jure pourtant que par un seul événement : la sacro-sainte semaine de la haute couture parisienne. Laquelle rassemble tout le gotha du secteur, professionnels, plumes émérites et acheteurs. Un enjeu de taille pour le Camerounais, qui y présente depuis 2013 un unique défilé chaque année en misant sur une collection printemps-été en marge du calendrier officiel.
À la tête de sa propre marque, il vend ses créations sur la plateforme Lago 54 et espère bientôt être distribué auprès des enseignes de luxe parisiennes
« Tous les ans, qu’il vente ou qu’il neige, je me bats pour sortir cette collection et offrir une vitrine de mon continent », indique celui dont le père était champion de boxe.
Cette semaine représente pour Imane Ayissi l’occasion d’attirer l’attention de la Fédération de la haute couture et de la mode, seule autorité en mesure de faire bouger les lignes de la représentativité africaine en haute couture. « J’ai pendant longtemps fait le choix de ne pas postuler auprès de la Fédération. Quand on est inscrit au calendrier officiel, il faut être en mesure de produire au moins deux collections par an (automne-hiver et printemps-été), sans compter les “collections croisières” intermédiaires.
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Pas facile de tenir le rythme », avoue le créateur, qui ne peut compter que sur trois petites mains – des étudiantes – pour confectionner ses pièces. Aujourd’hui, le styliste semble néanmoins prêt à franchir le pas. À la tête de sa propre marque, il vend ses créations sur la plateforme Lago 54 et espère bientôt être distribué auprès des enseignes de luxe parisiennes.
Trois mois de travail pour réaliser son catalogue
Face à la tour Eiffel, dans le salon d’époque classique de l’hôtel particulier qui abrite la fondation Mona Bismarck (Paris, 16e), le staff règle les derniers détails avant le coup d’envoi du défilé. Près de 150 personnes attendent avec impatience de découvrir en exclusivité la nouvelle collection, « Karralokga », du créateur. Parmi elles : l’ancien mannequin cabine de Chanel, Vera Atchou, la directrice du salon Première Classe, l’influenceuse nigériane Ogo Offodile… Mais s’il y a une personne qui compte plus que les autres pour Imane Ayissi en ce jour, c’est le puissant Didier Grumbach, ancien président de la Fédération de la haute couture, aujourd’hui président d’honneur.
C’est un créateur aux yeux humides d’émotion qui vient saluer le public en clôture de défilé
Il aura fallu à Imane Ayissi trois mois de travail pour accoucher de son catalogue et de ses 28 silhouettes. La pression peut enfin retomber.
C’est un créateur aux yeux humides d’émotion qui vient saluer le public en clôture de défilé, accompagné de sa parade de mannequins venus d’Europe de l’Est, d’Afrique – Mali, Côte d’Ivoire, etc. – et d’Asie, belle vitrine de la diversité ! Il n’espère qu’une chose : rejoindre la cour des grands l’année prochaine.
Au-delà des couleurs
Jacquards du Cap-Vert, kente du Ghana, kitas de Côte d’Ivoire, teintures du Cameroun… Cette septième collection printemps-été baptisée « Karralokga » (« Catalogue » en ewondo) célèbre la richesse des étoffes africaines traditionnelles dans un élan de modernité. Aux côtés des tissus africains revisités, l’épure et la couture. Dentelle de raphia, soie et coton italien et français, sequins…
« L’Afrique mérite mieux que cette avalanche de couleurs qu’on lui assigne. Il y a aussi du monochrome et du minimalisme sur le continent ! Arrêtons de le déguiser », s’indigne Imane Ayissi qui cherche avant tout à montrer la noblesse et le patrimoine de l’Afrique. Une ligne directrice qui lui a valu de se faire repérer par l’actrice africaine-américaine Angela Bassett, qui s’est empressée de lui passer commande.
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