Cinéma : « Mon tissu préféré », le huis clos intimiste de la Syrienne Gaya Jiji

Avec « Mon tissu préféré », sélectionné à Cannes cette année, la réalisatrice syrienne Gaya Jiji livre un huis clos intimiste sur l’émancipation des femmes au Moyen-Orient.

Dans un immeuble de Damas… Une scène de « Mon tissu préféré » de la réalisatrice syrienne Gaya Jiji. © Sophie dulac Distribution.

Dans un immeuble de Damas… Une scène de « Mon tissu préféré » de la réalisatrice syrienne Gaya Jiji. © Sophie dulac Distribution.

Renaud de Rochebrune

Publié le 17 juillet 2018 Lecture : 2 minutes.

Un film contemporain se passant en Syrie et tourné par une cinéaste syrienne ? Et qui de surcroît ne propose pas un témoignage direct sur la guerre civile ? Voilà qui n’est pas banal et explique l’intérêt que peut – et doit – susciter la sortie sur les écrans de Mon tissu préféré, projeté cette année sur la Croisette dans la section officielle « Un certain regard ». Et ce d’autant qu’il s’agit du premier long-métrage de la première réalisatrice syrienne à avoir jamais eu les honneurs d’être sélectionnée à Cannes, Gaya Jiji. Une œuvre ambitieuse, remarquée à juste titre pour sa mise en scène maîtrisée et son sujet corrosif.

Du mal à communiquer et à assumer leurs frustrations de femmes condamnées à vivre selon les canons de la tradition

Nous sommes en 2011, à Damas, alors que dans le monde arabe se déploient ces printemps dont on ne sait pas encore qu’ils seront presque toujours sans lendemain. Malgré les affrontements déjà meurtriers entre partisans et adversaires de Bachar al-Assad, on n’imagine pas encore à quel point la suite des événements sera dramatique. Dans cette ambiance tendue, un immeuble sert de décor quasi unique à une histoire de mariage arrangé qui va emprunter des détours inattendus.

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Premiers émois

Nahla, la vingtaine, dont le père est mort il y a quelques années, voit sa sensualité s’exacerber et ses premiers émois sexuels échauffer sa chair et son esprit. Elle vit avec sa mère, qui l’a élevée strictement, et ses deux jeunes sœurs, Myriam et Line, dans un petit appartement qui abrite leurs relations aussi tendres que compliquées, voire ambivalentes.

Elles ont en effet du mal à communiquer et à assumer leurs frustrations de femmes condamnées à vivre selon les canons de la tradition. Pour Nahla, le moment est crucial car elle a été promise par sa famille à un Syrien émigré aux États-Unis qui vient chercher au pays une bonne épouse, à savoir une femme vierge et obéissante.

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Mise en présence de son fiancé, Nahla a le plus grand mal à s’imaginer à jamais liée à cet expatrié certes bien sous tous rapports mais qui n’entend pas renoncer au mode de vie ancestral des familles de son pays.

Maison close

Alors même que sa robe de mariée est prête, elle le fait lanterner quand il est question de s’engager. Une hésitation qui devient résistance quand elle devient l’amie de Jiji, nouvelle locataire de l’immeuble qui installe en fait une petite maison close deux étages plus haut. Une rencontre qui ne fait évidemment qu’exciter la sensualité à fleur de peau de la jeune fille.

C’est aussi un film qui nous parle, de ce que signifie vivre dans la Syrie contemporaine comme dans tout pays en guerre

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Mon tissu préféré évoque, on le comprend, les impasses du désir auxquelles sont condamnées les femmes du Moyen-Orient. Et entend conduire le spectateur à explorer le parcours mental de l’une d’entre elles, qui refuse de renoncer à son émancipation. Mais c’est aussi un film qui nous parle, au moins métaphoriquement, à travers les péripéties d’un huis clos familial, de ce que signifie vivre dans la Syrie contemporaine comme dans tout pays en guerre. Où la difficulté d’être libre – socialement, sexuellement, politiquement – concerne autant les hommes que les femmes.

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