Algérie : Nacer Boudiaf, au nom du père
Ce fils de Mohamed Boudiaf, l’une des grandes figures de l’indépendance algérienne, entend reprendre le flambeau en se présentant à la présidentielle.
Il est des noms difficiles à porter. Celui de Boudiaf l’est d’autant plus qu’il est intimement lié à l’histoire de l’Algérie. Nationaliste de la première heure, combattant de la Seconde Guerre mondiale, membre fondateur du FLN, chef historique de la révolution, ministre d’État dans le GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), prisonnier politique sous le régime colonial puis sous la présidence d’Ahmed Ben Bella, opposant exilé, président assassiné, Mohamed Boudiaf est un personnage hors du commun qui s’est fait une place particulière dans le cœur des Algériens.
De la difficulté à assumer, assurer et perpétuer cette filiation glorieuse, cet héritage historique et ce legs politique, son fils Nacer en est parfaitement conscient. Durant les vingt-six dernières années, Nacer Boudiaf, 63 ans, a fait de la quête de la vérité sur la mort de son père, assassiné le 29 juin 1992 par un membre de la garde présidentielle, un devoir autant qu’un sacerdoce.
Sur les traces de son père
Aujourd’hui, il a décidé de mener une autre bataille sans pour autant abandonner l’autre : se présenter à l’élection présidentielle, qui devrait normalement se tenir au printemps 2019. Et quitte à perpétuer encore la mémoire de Mohamed Boudiaf, autant le faire avec des gestes symboliques. Pour annoncer sa candidature, Nacer a ainsi choisi la date du 29 juin, jour de l’assassinat de celui qu’on considère comme l’un des pères de la nation, et le village de naissance de son père, Ould Madhi.
Donner de l’espoir, voilà ce qui me guide et me motive
Attablé dans le salon climatisé d’un hôtel d’Alger pour fuir la canicule de ce mois de juillet, Nacer se confie. « Mon père m’a appris que si je veux moissonner du blé, je dois travailler un an. Pour cueillir un pommier, je dois travailler dix ans. Pour être un homme, je dois travailler toute une vie. Mohamed Boudiaf, qui a passé 166 jours à la tête de l’État avant d’être tué, n’a pas pu faire grand-chose en réalité. Cinq mois et treize jours au pouvoir, c’est trop court pour faire des réformes, réaliser des projets. Comme président, il n’a fait que parler. Mais il a donné un immense espoir aux Algériens. C’était suffisant pour qu’ils croient en lui. Donner de l’espoir, voilà ce qui me guide et me motive. »
Installé à Alger depuis trois ans, après de longs séjours en France et en Allemagne en raison des activités diplomatiques de son épouse, Nacer entend donc suivre les traces de son père. Sa course à la conquête du palais d’El Mouradia a commencé au ministère de l’Intérieur, où il a déposé un dossier d’agrément pour son mouvement, L’Algérie avant tout.
Allusion franche et directe au slogan « L’Algérie d’abord et avant tout » de son défunt père. « Je ne me fais pas d’illusions sur les suites qu’ils vont donner à cette demande d’agrément, observe Nacer. Ils vont laisser le dossier dans un tiroir. Ceux qui servent ce système ont peur des hommes qui dérangent. Et rien que de porter le nom de Boudiaf les dérange. »
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Pourquoi se porter candidat à une élection présidentielle dans un pays où faire de la politique ne fait plus rêver grand monde ? Pourquoi une candidature à une élection que d’aucuns jugent jouée d’avance ? « L’Algérie est en crise, les institutions se délitent, l’économie est en faillite et la société au bord de l’explosion, juge Nacer. Observez comment ce scandale de la cocaïne a provoqué un séisme au sommet de l’État en emportant avec lui magistrats, fils de pontes du régime, militaires et hauts responsables civils. Ce scandale dit combien l’Algérie est en danger. C’est un devoir patriotique que de s’engager pour la sauver. Quand mon père a été sollicité par les généraux, en 1992, après la démission de Chadli, il a accompli son devoir. Même s’il savait qu’il se jetait dans la fosse aux lions. »
Un candidat du peuple
Nacer, lui, n’a pas reçu de sollicitation des militaires. Ce sont ses amis qui lui ont conseillé de participer à cette élection. Elle ne ressemblera à aucune de celles que le pays a connues depuis l’ouverture démocratique de 1989. Nacer dit aussi recevoir quotidiennement de nombreux messages de soutien et d’encouragement des quatre coins d’Algérie. Comment mener campagne sans parti, sans réseaux et sans fonds ? Ne lui dites pas que c’est mission impossible. Lui y croit fermement.
Le président doit aller se reposer et se retirer
« Je n’ai pas de lobbies autour de moi, pas de parti derrière moi et pas de bailleurs à mes côtés, assure-t-il. Je suis indépendant. Si le président de la République est réellement élu au suffrage universel, alors laissons le peuple décider librement et souverainement. » Quid d’un éventuel cinquième mandat de Bouteflika que soutiens et courtisans appellent de leurs vœux ? « Ce serait une catastrophe aux conséquences incalculables, prédit le fils Boudiaf. Le président doit aller se reposer et se retirer. Ce serait un bien pour ce pays qui a besoin d’être réenchanté. »
Ancien cadre de l’Observatoire des droits de l’homme aujourd’hui à la retraite, Nacer Boudiaf affirme mener une vie sobre, contrairement aux fils et filles de la nomenklatura. « Je ne possède pas de sociétés, pas de biens immobiliers et pas de comptes en devises, insiste-t-il. Nous vivons de ma retraite et du salaire de mon épouse. J’aurais pu faire fortune en profitant du système, mais je ne mange pas de ce pain-là. » Il n’a pas non plus droit aux avantages accordés aux enfants et aux familles des martyrs de la révolution et anciens combattants. « La seconde épouse de mon père et ses trois enfants ont tout pris, glisse-t-il. Mes jumeaux n’ont pas eu droit à une bourse d’études à l’étranger. C’est vous dire comme je n’appartiens pas à ce système. »
Le programme de Nacer Boudiaf n’est pas si différent des professions de foi des prétendants qui l’ont précédé. Il souhaite donc mettre fin au système en balayant les hommes qui l’ont porté et qui en ont profité depuis des décennies, lutter contre la corruption et la prédation, libérer la justice, sortir du tout-hydrocarbures, moderniser l’école. Bouteflika lui-même avait promis de mener ces réformes. Qu’est ce qui différencie alors Nacer des autres ? « Je ne suis pas un carriériste de la politique, argue-t-il. Je suis le seul candidat qui fait peur parce que je viens du peuple. »
Lui président, il débuterait son mandat par une décision choc : dissoudre le FLN pour que plus personne ne s’en serve à des fins politiques ou personnelles. Un engagement que son père avait pris devant lui, jure-t-il. « Il m’avait dit qu’il comptait signer, le 5 juillet 1992, un décret présidentiel portant dissolution du FLN, raconte-t-il. Il m’a dit qu’il rendrait un grand service aux Algériens en rangeant ce patrimoine national au musée de l’Histoire » raconte Nacer. Deux mois après cette confession, son père était assassiné en direct à la télévision, alors qu’il prononçait un discours à Annaba. « J’accomplirai ce que mon père n’a pas eu le temps de faire », promet l’héritier.
« Je ne veux plus te voir ! »
La scène illustre le caractère intransigeant, obstiné et désintéressé de Mohamed Boudiaf. En 1985, cinq ans après l’arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir, Abdelhamid Mehri, alors ambassadeur d’Algérie en France, invite Boudiaf à une table d’un grand restaurant parisien. Entre la poire et le fromage, Mehri propose à son hôte de mettre fin à son exil marocain et de rentrer en Algérie, où les opposants du régime qui furent emprisonnés, bannis ou exilés sous les régimes de Ben Bella et de Boumédiène sont désormais les bienvenus. À une condition. Que Boudiaf ne fasse pas de politique.
Quand celui-ci entend cette recommandation, son sang ne fait qu’un tour. Il s’énerve et se lève de table. L’ambassadeur lui glisse alors cette phrase : « Ta pension de retraite d’ancien moudjahid (maquisard) t’attend à Alger… »
« Je ne veux plus te voir ! » lance Boudiaf, remonté, à son interlocuteur. Il quitte le restaurant et s’envole le jour même au Maroc pour rejoindre sa maison à Kenitra. Ironie du sort, cette affaire de droits d’ancien maquisard refait surface un mois après l’assassinat de Mohamed Boudiaf, en juillet 1992. Alors qu’il se trouvait à son domicile, à Alger, son fils Nacer reçoit la visite de deux agents du ministère des Moudjahidine. « Venus me remettre le document officiel qui atteste que mon père a participé à la guerre de libération. » Une attestation post mortem pour celui qui détenait la carte no 1 de membre fondateur du FLN.
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