Mode : show sud-africain à Dakar

Lors de la 16e édition de la Dakar Fashion Week, plusieurs talents sud-africains étaient au rendez-vous. L’occasion pour eux d’affirmer leurs particularités.

La Fashion Week à l’hôtel Radisson Blu de Dakar, les modèles de Quiteria et George posent le 24 juin 2018. © Youri Lenquette pour ja

La Fashion Week à l’hôtel Radisson Blu de Dakar, les modèles de Quiteria et George posent le 24 juin 2018. © Youri Lenquette pour ja

KATIA TOURE_perso

Publié le 23 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

La styliste Adama Paris a tant arpenté les podiums de la nation Arc-en-Ciel que nombre de talents du pays ont choisi de la suivre dans ses aventures. Notamment lors de la dernière édition de la Dakar Fashion Week, qui s’est tenue du 20 au 24 juin.

Si Mzukisi Mbane, jeune designer du Cap, n’a pas pu faire le déplacement, six de ses pairs, prévus au programme, sont bel et bien en backstage, au Radisson Blu Hotel de Dakar, pris dans un élan d’excitation sans doute mêlé à une légère pointe d’appréhension. C’est du moins dans cet état que l’on retrouve Palesa Mokubung, 37 ans, établie à Johannesburg.

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Déconstruire l’indigo

En coulisses, la fondatrice de la griffe Mantsho (« très beau teint noir », en langue sesotho) prépare activement les pièces de sa dernière collection, « Indigo », en transpirant à grosses gouttes. « Il fait chaud non ? » lance-t-elle en s’essuyant le visage. Nervosité ? Pas vraiment.

La styliste s’est réapproprié le tissu indigo pour créer des robes oscillant entre architecture, onirisme et futurisme.

Ce n’est pas la première fois que Palesa Mokubung participe à la Dakar Fashion Week. Et en avril 2018, elle présentait déjà « Indigo » à la South African Fashion Week.

« En 2010, j’étais beaucoup plus jeune. Je suis ravie d’être de retour à Dakar avec une collection bien plus mature », sourit-elle. Fascinée par le textile, la styliste s’est réapproprié le tissu indigo pour créer des robes oscillant entre architecture, onirisme et futurisme.

« J’aime réimprimer des motifs sur un imprimé existant. Une manière de rendre le tissu singulier, de casser les codes et d’exalter ma créativité. »

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Contrairement au jeune designer sénégalais Fadel Ndiaye (Madhouse), qui, lui aussi, s’est penché sur l’indigo au cours de cette Dakar Fashion Week, Palesa Mokubung déconstruit carrément ce tissu. Le satin vient rencontrer le coton. Sans compter un véritable jeu sur les coupes et les teintes, entre le bleu, le blanc voire le noir, qui rend le textile quasi méconnaissable et vibrant de modernité.

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« En Afrique francophone, l’influence de la culture, des traditions et des religions est trop forte, lancent Quiteria et George, trublions du duo de stylistes du même nom. Il faut rester fidèle à soi-même tout en s’adaptant à ce qui se joue ailleurs dans le monde. La mode est sans limites », explique George.

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Consacrer la femme qui n’a pas peur du luxe

Quiteria, 34 ans, originaire de la province de Limpopo, en Afrique du Sud, et George, 30 ans, lesothan, se sont rencontrés en 2009 au cours de la Mpumalanga Fashion Week, puis ont créé leur griffe de haute couture, Quiteria&George, en 2013. C’est dans leur atelier de Johannesburg qu’ils ont confectionné, à la main, les robes de leur collection « Warrior ». « Notre travail consacre la femme qui n’a pas peur d’être remarquée pour son goût exagéré du luxe. »

Warrior consacre leur vision de la femme sud-africaine, considérée comme une guerrière

Si c’est la première fois que le duo participe à la Dakar Fashion Week, il peut notamment se targuer d’un défilé à la French European Indian Fashion Week, à Paris, en 2016. Cette année, ils ont pris part à l’African Fashion International d’Afrique du Sud mais aussi à la Arise Fashion Week du Nigeria. Voilà pour le CV, qui les inscrit comme un duo à suivre selon les revues spécialisées. « Warrior » consacre leur vision de la femme sud-africaine, considérée comme une guerrière. Et ce dans des robes noires et majestueuses où fausse fourrure, perles, broderies, voiles et autres éléments s’accumulent avec grandiloquence.

Magie et fantaisie

Bien moins porté sur l’extravagance, Thula Sindi s’attache à créer des robes intemporelles et classiques. Pourtant, ses pièces, où le rouge, le vert et le noir dominent, semblent être conçues en plusieurs dimensions. Sur l’une d’entre elles, une robe de cocktail se confond avec une tenue de working girl.

La Fashion Week à l'hôtel Radisson Blu. Palesa Mokubung au centre avec ses modèles le 23 juin 2018 à Dakar. © Youri Lenquette pour JA

La Fashion Week à l'hôtel Radisson Blu. Palesa Mokubung au centre avec ses modèles le 23 juin 2018 à Dakar. © Youri Lenquette pour JA

Le tout grâce à une multitude de détails ajoutés avec subtilité sur du velours et du satin duchesse plissés ou torsadés : fermetures Éclair, franges, sequins, broderies, dentelle, etc. « Je n’aime pas les vêtements qui hurlent mais j’aime les détails. Ils accentuent la magie et la fantaisie. » Et font vite oublier le caractère classique de ses modèles.

Moi, je crée des vêtements que la femme peut porter à n’importe quel moment de sa vie quotidienne

Multirécompensé, Thula Sindi, 34 ans, s’est fait un nom dans toute l’Afrique australe depuis 2006, année de naissance de sa griffe. Né à Klerksdorp, ce Xhosa participe pour la toute première fois à la Dakar Fashion Week. En 2012, Adama Paris le conviait déjà à défiler pour sa Black Fashion Week, à Paris.

« La plupart des designers africains aiment créer des vêtements pour des occasions spéciales. Moi, je crée des vêtements que la femme peut porter à n’importe quel moment de sa vie quotidienne. » Comme une robe à paillettes agrémentée d’un perfecto à la couleur vive pour une réunion d’affaires. C’est à se demander si Thula Sindi n’était pas le styliste du personnage de Carrie Bradshaw, l’héroïne de Sex and the City

Jusqu’ici, on aura compris que ces Sud-Africains présents à Dakar ont le sens du spectacle et ne se cantonnent pas à leur terreau culturel.

Faire passer un message et pousser à la prise de conscience

Le tout dernier duo présent à cette Fashion Week vient largement confirmer ce propos. Didier De Villiers, 49 ans, et Mothei Khomiso, 29 ans, sont les designers de Magents, la plus vieille marque africaine de streetwear mixte, créée en 1992 par De Villiers.

Le duo a choisi une collection masculine traduisant l’activisme de sa marque éthique

Ses usines de fabrication ont voyagé de l’Europe au Canada en passant par le Japon avant de retrouver l’Afrique du Sud, et plus précisément Le Cap, en 2009. Pour son premier défilé à Dakar, le duo a choisi une collection masculine traduisant l’activisme de sa marque éthique.

Mothei Khomiso et Didier De Villiers ont fait passer des messages forts sur les torses de leurs modèles. © Youri Lenquette pour JA

Mothei Khomiso et Didier De Villiers ont fait passer des messages forts sur les torses de leurs modèles. © Youri Lenquette pour JA

Sur le podium, des mannequins défilent notamment en jeans customisés et avec des messages inscrits sur leurs torses nus : « Le viol est pire que le meurtre », « Quand je dis non, ce n’est pas pour que tu cherches à me convaincre », « L’amour est sans danger », etc. Les mannequins ont d’ailleurs eu le choix de refuser de défiler ainsi. « Le vêtement est un moyen pour nous de faire passer des messages et de pousser à la prise de conscience. »

Haut lieu de création

Si l’Afrique du Sud compte une multitude d’événements spécialisés, la South African Fashion Week et l’African Fashion International sont deux institutions d’envergure internationale.

La première a été fondée en 1997 par l’ancien mannequin Lucilla Booyzen et pensée comme une plateforme commerciale consacrée au développement de l’industrie de la mode dans le pays. La seconde, l’AFI, est une organisation qui chapeaute plusieurs événements (de la Mercedes-Benz Fashion Week Joburg à la Cape Town Fashion Week). Sa fondatrice, l’entrepreneuse et ancien médecin Precious Moloi-Motsepe, a permis à de nombreux jeunes designers sud-africains de participer aux Fashion Weeks de New York et de Paris ces dernières années.

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