Le Maroc paie son TGV au prix fort

Après trois ans de retard, le TGV marocain va pouvoir circuler avant le mois de décembre. Mais la note sera beaucoup plus élevée que prévu.

Rame LGV – ONCF – Office National des Chemins de Fer © REA

Rame LGV – ONCF – Office National des Chemins de Fer © REA

Publié le 24 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

Initialement attendue en décembre 2015, la Ligne à Grande Vitesse (LGV) qu’empruntera le premier TGV africain, au Maroc, ne sera livrée qu’au courant du quatrième trimestre de cette année. L’annonce a été faite le 11 juillet, lors d’une rare communication de l’Office national des chemins de fer marocain (ONCF) sur ce sujet.

L’entreprise officialisait un énième report concernant le début de l’exploitation commerciale de cette future ligne permettant de relier Tanger à Casablanca en deux heures et dix minutes (contre quatre heures et quarante-cinq minutes actuellement) avec des pointes à 350 km/h.

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Dernière déconvenue en date, un affaissement au niveau d’un remblai au sud de Tanger a été mis en évidence lors de la phase de préexploitation et de rodage commencée le 19 juin. Si l’ONCF relativise sa portée, ce défaut oblige en l’état le train à ralentir considérablement, lui faisant perdre plusieurs minutes. Ennuyeux pour un projet que son directeur général, Mohamed Rabie Khlie, compare à de l’horlogerie.

Innover pour s’adapter aux conditions géotechniques

« Les travaux de traitement ont commencé, et cela prendra quelques semaines. Il ne s’agit pas d’une mission facile, car c’est une zone inondable, et l’affaissement s’étend sur des dizaines de mètres », explique un connaisseur du dossier. Pour éviter un nouveau retard, l’ONCF pourrait écourter la période test et démarrer l’activité « en mode dégradé ». Autrement dit, les voyageurs pourront emprunter le TGV même si tout n’est pas encore parfait.

La première date de livraison annoncée était exagérément ambitieuse,

Pour Mohamed Rabie Khlie, la construction de la ligne aura été une course d’obstacles plus ou moins bien négociés. « La première date de livraison, annoncée lors du lancement des travaux, en septembre 2011, était exagérément ambitieuse, et ce n’est qu’après avoir commencé les travaux que l’ONCF s’est confronté à la réalité », reconnaît l’un des responsables ayant travaillé sur ce chantier.

Il aura fallu par exemple près de quatre ans à l’Office des chemins de fer pour sécuriser le foncier du tracé. « C’était une période très délicate post-Printemps arabe, et quelques propriétaires ne voulaient pas lâcher leurs terres. C’était un peu politique, et il fallait éviter de froisser les sensibilités », se rappelle un haut cadre de l’ONCF.

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Le tracé réalisé par Systra, filiale de la SNCF, a lui aussi donné du fil à retordre aux différentes entreprises, notamment pour la réalisation des douze viaducs nécessaires. « Nous avons dû chaque fois innover pour nous adapter aux conditions géotechniques », raconte Yassir Yacoubi, directeur des projets chez SGTM, numéro un du BTP. Parmi les autres retards, on peut également citer la livraison du centre de maintenance des douze rames TGV fournies par Alstom dans la périphérie de Tanger, où les derniers wagons sont finalement arrivés en provenance de France en juillet 2016, ainsi que la construction des gares de Tanger, Kenitra, Rabat et Casablanca, auxquelles on donne les derniers coups de pinceau.

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Le pari initial : construire la LGV la moins chère du monde

En difficulté, l’ONCF s’est muré dans le silence. D’abord estimé à 20 milliards de dirhams (1,8 milliard d’euros), le coût du projet serait actuellement de 22,9 milliards. Le dépassement (14,5 %) est notamment dû à l’immobilisation pendant deux ans du matériel roulant et à la sous-estimation du prix des expropriations. Pour faire face, l’ONCF a sollicité la garantie de l’État afin de lever successivement 3 puis 2 milliards de dirhams au cours des neuf derniers mois. « La trésorerie de l’entreprise a pris un gros coup avec la LGV et ne peut plus se passer de l’État pour s’endetter. Cela n’augure pas une situation rassurante », constate un banquier d’affaires bien renseigné sur le dossier.

La ligne reliera Tanger à Casablanca en deux heures et dix minutes avec des pointes à 350 km/h. © LUDOVIC/REA

La ligne reliera Tanger à Casablanca en deux heures et dix minutes avec des pointes à 350 km/h. © LUDOVIC/REA

Et pourtant, Mohamed Rabie Khlie avait fait le pari de construire la LGV la moins chère du monde. Au total, l’État marocain a contribué à hauteur de 5,8 milliards de dirhams – comme annoncé au tout début du projet –, auxquels il faut ajouter 1 milliard mobilisé à travers le Fonds Hassan II pour le développement économique et social. L’État français, qui finance 51 % de l’investissement global, a lui fait un don de 75 millions d’euros. Tout le reste a été financé par des emprunts contractés auprès de différents fonds basés dans des pays arabes et dans l’Hegaxone. L’ONCF se retrouvera donc avec une charge financière des plus lourdes à supporter dans les prochaines années.

Un départ par heure entre Tanger et Casablanca

Le surcoût impose à l’ONCF de revoir son tableau de financement et son seuil de rentabilité. Depuis le lancement du chantier, son directeur général a annoncé qu’il faudra doubler la fréquentation de la ligne en passant de 3 à 6 millions de passagers par an dans les trois ou quatre ans pour équilibrer les comptes. Selon nos sources, l’objectif financier serait atteint avec sept millions de passagers.

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Pour convaincre cette nouvelle clientèle qui préfère l’autoroute ou l’avion, l’ONCF prévoit de faire circuler quotidiennement trente rames avec un départ à chaque heure en partance de Tanger et de Casablanca. Mohamed Rabie Khlie vise un taux de remplissage moyen de 70 %. Lors de ses rares sorties médiatiques, le patron du transporteur national expliquait son intention de consacrer les six mois précédant le lancement de l’exploitation à la vente des billets. Cette étape sera vraisemblablement sautée.

Pour commercialiser les tickets, l’ONCF s’inspirera du groupe français SNCF en instaurant le yield management, une méthode mise au point par les transporteurs aériens dans les années 1980, qui vise à pratiquer des tarifs différenciés afin de mieux gérer le remplissage, d’optimiser les entrées d’argent et de réduire l’effet de saisonnalité.

S’ils dépendront de plusieurs critères, les tarifs devraient en moyenne être 30 % supérieurs à ceux pratiqués actuellement. Un aller simple pourrait être vendu autour de 180 dirhams. Face à la grogne des consommateurs, Mohamed Rabie Khlie avait promis au contraire la baisse d’une partie des billets. « Les voyageurs paieront moins cher qu’aujourd’hui s’ils prennent leurs tickets quinze jours à l’avance, et s’ils évitent le créneau de 8 heures du matin pour prendre celui de 11 heures ou de midi », assurait-il en 2016 à la presse locale. D’ici quelques mois, les Marocains pourront juger si, sur ce point au moins, l’engagement aura été tenu.

Appelez-le Al Boraq !

Pour ne pas le confondre avec son grand frère français, le TGV marocain s’est trouvé un nom. Au début de juillet, il a été baptisé Al Boraq par Mohammed VI, en référence à la « fantastique monture ailée » qui, dans la tradition islamique, a transporté le prophète de La Mecque à Jérusalem, puis de Jérusalem au ciel.

Toujours à la recherche d’un logo pour son nouveau train, l’ONCF a lancé, du 16 au 30 juillet, un concours ouvert à tous. Un bon moyen de susciter l’adhésion des Marocains à un projet qui n’a pas toujours fait l’unanimité.

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