Littérature : Haïti prise aux maux par Mischa Berlinski

Avec son deuxième roman, l’Américain Mischa Berlinski dresse un portrait désenchanté de « la perle des Antilles ».

Les gens marchent dans la rue le deuxième jour d’une grève générale à Port-au-Prince, en Haïti, mardi 10 juillet 2018. © Dieu Nalio Chery/AP/SIPA

Les gens marchent dans la rue le deuxième jour d’une grève générale à Port-au-Prince, en Haïti, mardi 10 juillet 2018. © Dieu Nalio Chery/AP/SIPA

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Publié le 26 juillet 2018 Lecture : 3 minutes.

Paru en France en 2010, Le Crime de Martiya Van der Leun, son premier roman, a été finaliste du prestigieux National Book Award. L’Américain Mischa Berlinski mettait en scène son double, Mischa, journaliste free-lance en Thaïlande, où Berlinski avait lui-même officié comme reporter.

De la même façon, Dieu ne tue personne en Haïti, le deuxième opus de l’auteur, né en 1973, se déroule sur les chemins qu’il a empruntés pendant cinq ans en Haïti, où il a suivi sa femme, en mission pour l’ONU. Le narrateur, écrivain jamais nommé, raconte son séjour dans un jeu de miroirs avec la réalité.

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Destins croisés

Et que voit-il dans ce miroir désenchanté qu’il tend vers les autres ? Des petits bouts de la comédie humaine qui rencontrent un concentré de l’histoire du pays en marche devant lui.

Leur grand dessein est de construire une route reliant la capitale, Port-au-Prince, à Jérémie, la « cité des poètes », lieu du récit

Les destins de l’Américain Terry White, agent de la police des Nations unies, et de Johel Célestin, juge incorruptible, se croisent, en secret, dans le cœur de Nadia, femme du juge et amante de l’agent, et au grand jour, dans leur ambition politique commune : l’élection sénatoriale.


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Leur grand dessein est de construire une route reliant la capitale, Port-au-Prince, à Jérémie, la « cité des poètes », lieu du récit. Pour cela, il faut déboulonner l’inamovible sénateur en place, Maxime Bayard, corrompu jusqu’à l’os, qui se sert de l’enclavement et de l’extrême pauvreté qui en découle comme levier de pouvoir.

Un humour décapant pour montrer l’absurde

Plus on plonge dans l’entrelacs des situations et de la galerie de personnages, plus on prend conscience que les maux d’Haïti reposent sur bien plus d’une personne, se jouent en Haïti et au-delà de ses frontières et que leurs causes remontent à des générations.

La misère, la corruption, les trafics, les règlements de comptes, l’impuissance (ou l’incompétence) de l’ONU, les parties d’échecs géopolitiques encore sont décrits avec un humour décapant pour montrer l’absurde qui a contaminé toutes les strates de la société haïtienne. Ainsi, l’enterrement d’un jeune homme, le vote d’un mort, la pousse des légumes peuvent devenir des moments burlesques sous la plume de Berlinski.

Il n’y a ni salaud ni héros, juste des circonstances favorables ou défavorables

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Ce n’est pas un hasard si l’auteur a choisi d’illustrer son roman par un tableau de Fritzner Lamour, peintre haïtien qui figure les êtres humains en animaux dans des œuvres politiquement engagées et féroces.

Le cercle vicieux qui conduit de l’absurde à la trappe de pauvreté où le pays est englué se double d’un brouillage des repères moraux : le juge emploie peu à peu les méthodes qu’il combat pour se faire élire, le sénateur montre son humanité dans les circonstances les plus tragiques. Il n’y a ni salaud ni héros, juste des circonstances favorables ou défavorables qui ont poussé à des actions dans un sens ou dans un autre et des destins qui convergent vers des chemins communs.

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Berlinski démontre ses talents de conteur hors pair en emberlificotant les fils de la narration pour saisir toute la complexité d’une situation aux ramifications multiples, où les jeux de domination se mêlent à l’exploration de l’intime. Les chapitres se dilatent dans des digressions qui donnent au récit son rythme propre, tout en langueurs. Dieu ne tue personne en Haïti est un roman ambitieux qui atteint ses ambitions : c’est un grand livre.

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