Anciens comzones en Côte d’Ivoire : rebelles un jour…

Longtemps sulfureux, les anciens comzones sont devenus des piliers de l’armée ivoirienne. Mais la présidentielle approche, et les rivalités politiques s’aiguisent. Resteront-ils dans le rang ?

Issiaka Ouattara, alias Wattao, est désormais le patron de la Garde républicaine. © ISSOUF SANOGO/AFP

Issiaka Ouattara, alias Wattao, est désormais le patron de la Garde républicaine. © ISSOUF SANOGO/AFP

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Publié le 23 juillet 2018 Lecture : 9 minutes.

Mais où est donc Wattao ? En ce début d’année 2018, cela fait des jours que nul ne l’a vu à Abidjan et la ville bruit d’interrogations. Avec son mètre quatre-vingt-dix, ses larges épaules et ses célèbres dents du bonheur, ce fêtard, qui posait fièrement en une des magazines people ivoiriens il y a encore quelques années, ne passe pourtant pas inaperçu.

Pour la deuxième fois en moins de trois ans, Wattao a été envoyé au Maroc. Dans le calme de la prestigieuse Académie royale militaire de Meknès, il effectue six mois de stage, d’où il reviendra, fin mai, avec un diplôme en sécurité et défense. Éloignement punitif ou gratifiante formation ? Un peu des deux.

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Patron de la Garde républicaine

Mais certains chuchotent désormais que le colonel pourrait être promu général. Une consécration pour cet ancien cuisinier de l’armée, longtemps rebelle avant de devenir un gradé respectable.

C’en est fini des frasques et du bling-bling : cette forte tête, dont le surnom donné par son professeur de judo a fini par remplacer le nom (Issiaka Ouattara), est désormais discret et sobre. Le sulfureux militaire est devenu le patron de la Garde républicaine, forte de 1 500 hommes. Autant dire l’un des hommes les plus puissants du pays : Wattao est notamment chargé d’assurer la sécurité du président de la République. « C’est un survivant », souffle l’un de ses proches, rappelant que l’on a maintes fois tenté de l’écarter.

Ce poste si sensible, l’ancien comzone, comme on appelait les chefs militaires de l’ancienne rébellion des Forces nouvelles (FN), le doit à l’une des dernières mutineries. Début janvier 2017, des tirs résonnent à Bouaké, puis gagnent plusieurs villes du pays, dont Abidjan : les anciens rebelles réclament au son de leurs kalachnikovs le paiement de primes qui leur ont été promises du temps de la crise de 2011.

Les mutins, ce sont ses « petits gars »

Tandis que les rues se vident, la panique gagne les couloirs du pouvoir. Wattao propose alors d’accompagner le ministre de la Défense de l’époque, Alain-Richard Donwahi, pour négocier avec les turbulents mutins. Ces hommes, il les connaît par cœur : ce sont ses « petits gars », ses camarades de sang et de combat.

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>>> À lire – Côte d’Ivoire : retour sur une étrange mutinerie

L’ancien chef ­d’état-major adjoint des forces armées des FN en a formé certains, il les a commandés puis intégrés aux troupes républicaines. à la fin de la crise, les comzones ont eu les mains libres pour choisir un à un ceux de leurs hommes qui auraient la chance de rejoindre l’armée officielle.

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« Saha Bélé-Bélé », (« gros serpent », en malinké), un autre de ses surnoms, passe de longues heures à Bouaké. C’est le moment de démontrer qu’il a toujours de l’autorité sur ses anciennes troupes. Les discussions sont tendues et animées. Mais Wattao finira par convaincre le président Alassane Ouattara de payer 12 millions de F CFA (environ 18 000 euros) à chacun des 8 400 ex-rebelles pour faire revenir le calme. Et prouvera du même coup qu’il reste indispensable. On assurait qu’il avait été écarté ? On le disait en perte d’influence ? Un mois plus tard, il est nommé à la tête de la Garde républicaine.

Les comzones au cœur du système sécuritaire ivoirien

Comme leur emblématique et médiatique frère d’armes, les anciens comzones demeurent, sept ans après la crise, au cœur du système sécuritaire ivoirien. Chérif Ousmane, dit Papa Guépard, a hérité du 1er bataillon de commandos et de parachutistes, une unité d’élite de l’armée.

Des soldats mutins entourent Alain-Richard Donwahi (assis, au centre), alors ministre de la Défense, après les négociations de Bouaké, le 7 janvier 2017. © Sia KAMBOU/AFP

Des soldats mutins entourent Alain-Richard Donwahi (assis, au centre), alors ministre de la Défense, après les négociations de Bouaké, le 7 janvier 2017. © Sia KAMBOU/AFP

Morou Ouattara, plus connu sous le nom d’Atchengué, est de nouveau à la tête du bataillon de l’Est, une région qu’il connaît bien pour en avoir été le commandant de zone pendant la crise. Losseni Fofana, alias Cobra, reste le grand maître de l’Ouest, où il règne lui aussi depuis le temps de la rébellion.

Le redouté Martin Kouakou Fofié a lui été éloigné de son bastion du Nord, mais il est désormais commandant en second de la région de Daloa, dans le Centre. Pas vraiment un placard…

Plus discrets qu’au temps de la rébellion, les anciens comzones n’en restent pas moins incontournables

Zacharia Koné est à présent le patron de l’unité de commandement et de soutien. Hervé Touré, « Vetcho », a bien quitté le troisième bataillon d’infanterie à Bouaké pour rejoindre les bancs de l’école nationale d’administration, mais c’est parce qu’il rêve, assurent ses proches, d’une nouvelle carrière d’attaché de défense…

Plus discrets qu’au temps de la rébellion, les anciens comzones n’en restent pas moins incontournables. Et toujours intouchables. En mai 2017, lorsqu’une autre mutinerie éclate, Wattao et Chérif Ousmane s’arrêtent cette fois aux portes de Bouaké, refusant d’ordonner à leur troupe de lancer une attaque contre les mutins, comme le souhaitait Alassane Ouattara. On ne tire pas sur ses anciens compagnons… Les deux hommes ne seront pourtant pas sanctionnés.

>>> À lire – Côte d’Ivoire : le malaise des militaires, « conséquence d’un déficit de commandement et d’autorité »

Certains proches du président ivoirien n’hésitent désormais pas à s’interroger ouvertement sur la loyauté de ces hommes, alors que les tensions politiques ne cessent de croître, à deux ans de la prochaine présidentielle.

Loyaux envers qui ?

D’autant que Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale, est soupçonné par une partie des proches du président ivoirien d’être derrière les mutineries. S’ils ont combattu pour Alassane Ouattara lors de la crise de 2010-2011, leur chef était bien Soro.

 S’il devait choisir entre ADO et Soro ? Ce serait Soro, mais il ne faut pas le dire, sinon on le tue !

Le président de l’Assemblée nationale s’est brouillé avec certains mais reste proche d’autres, comme Morou et Wattao. Personne n’a ainsi oublié qu’au milieu de la nuit, le 10 décembre 2015, Wattao était sur le tarmac de l’aéroport d’Abidjan pour accueillir l’ancien patron de la rébellion.

Soro venait de s’échapper de France, où il était traqué par une juge qui avait lancé un mandat d’arrêt contre lui. « S’il devait choisir entre ADO et Soro ? Ce serait Soro, mais il ne faut pas le dire, sinon on le tue ! » lâche l’un des hommes de Soro.

Autour du président, nul n’est dupe. « Il vaut mieux avoir les comzones avec nous que contre nous », résume une source des services de sécurité ivoiriens. Alors que les relations se tendent entre les deux camps, Wattao sert aujourd’hui de messager et de médiateur.

Mauvais garçons

Au sommet de l’état, la méfiance reste de mise face à ces hommes liés par plusieurs pactes depuis près de trente ans. Longtemps considérés comme des mauvais garçons, peu éduqués, violents et incontrôlables, ils ont été de toutes les déstabilisations du pays.

Ces hommes du Nord sont à ses côtés en décembre 1999 pour renverser le président Henri Konan Bédié

Recrutés dans l’armée régulière dans les années 1980, ils font alors régulièrement des stages d’entraînement en France. Il y a là IB – Ibrahim Coulibaly, tué à la fin de la crise postélectorale – et Wattao, deux excellents judokas, le triathlète Chérif Ousmane et Tuo Fozié, spécialiste du 100 mètres. « La bande de Fontainebleau », où se trouve un centre sportif militaire français, ne se quittera plus pendant deux décennies.

Piliers de la Firpac (Force d’intervention rapide paracommando), la garde prétorienne du général Robert Gueï, ces hommes du Nord sont à ses côtés en décembre 1999 pour renverser le président Henri Konan Bédié, à qui ils reprochent d’avoir mis sur pied le concept d’« ivoirité ». Mais cela ne va pas durer. Très vite, Gueï les met à l’écart, ils sont arrêtés, torturés. Leurs liens se resserrent encore.

Rivalités, exactions et mises en examen

L’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir, en 2000, pousse ce groupe à l’exil. Ils gagnent Ouagadougou, au Burkina Faso, où se trouvent plusieurs cadres du Rassemblement des républicains (RDR) ainsi que Guillaume Soro. Avec la bénédiction de Blaise Compaoré, certains s’entraînent à Farakoro, comme Gaoussou Koné – plus connu sous le nom de Jah Gao, lui aussi ancien proche de Gueï –, Koné Messamba ou Morou Ouattara. Sur ces terres empreintes de mysticisme, ils jurent, raconte-t-on, sur des fétiches : ils renverseront le régime Gbagbo.

Quatre des anciens comzones sont mis en examen par la justice ivoirienne pour des massacres commis pendant la crise postélectorale

En 2002, avec Soro, les membres de ce groupe, qui vont former l’ossature des forces armées des FN, s’emparent de la moitié nord de la Côte d’Ivoire, qu’ils divisent en zones. Avec cette première victoire commence le temps des rivalités, des rackets et des pillages. Mais aussi des exactions.

L'ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, à la Cour pénale internationale en février 2013. © Michael Kooren/AP/SIPA

L'ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, à la Cour pénale internationale en février 2013. © Michael Kooren/AP/SIPA

Quatre des anciens comzones, ainsi que certains de leurs proches, sont aujourd’hui mis en examen par la justice ivoirienne pour des massacres commis pendant la crise postélectorale. Losseni Fofana, pour son rôle présumé dans les crimes de Duékoué – au moins 800 personnes ont été tuées en mars 2011 dans cette ville de l’ouest du pays –, de même que ses anciens adjoints Eddie Mindi et Dramane Traoré.

S’il s’en défend, Wattao est aussi inculpé pour ceux perpétrés à Koumassi, avec un de ses lieutenants, Dramane Koné. Chérif Ousmane et Zacharia Koné sont enfin soupçonnés d’avoir joué un rôle dans les crimes commis à Yopougon.

Le pouvoir ivoirien tente de les isoler à défaut de pouvoir s’en débarrasser

Malgré les promesses d’Alassane Ouattara, aucun procès n’a pour l’instant eu lieu. Mais la menace de se retrouver devant la justice continue de planer sur ces hommes. Et le président ivoirien ne manque pas de le leur rappeler régulièrement. Le gouvernement a récemment autorisé l’audition par un juge de dix anciens comzones dans l’affaire – moins grave – de la plainte déposée par Michel Gbagbo, le fils de l’ancien président, pour enlèvement et traitements inhumains.

Pour se protéger, les ex-comzones font valoir qu’ils contrôlent encore la plupart des anciens rebelles, soit un tiers des soldats

S’il ne parvient pas à s’en débarrasser, le pouvoir ivoirien tente aussi de les isoler. Ibrahim Gon Coulibaly, le frère du Premier ministre, a ainsi été nommé commandant en second du groupement de sécurité du président de la République à la place de Chérif Ousmane.

Pour se protéger, les ex-comzones font valoir qu’ils contrôlent encore la plupart des anciens rebelles, qui représentent encore un tiers des soldats. Mais la réforme de la défense, qui vise une réduction d’effectif de 4 000 hommes d’ici à la fin de 2019, cible en priorité ces ex-FN. Certains soldats ont d’ailleurs accepté sans hésiter ce plan de départ volontaire, ne cachant pas leur ressentiment à l’égard de leurs anciens chefs, qu’ils estiment « coupés de leur base ».

« Aujourd’hui, les comzones disposent encore de 150 soldats chacun, prêts à mourir pour eux », estime un expert militaire. Est-ce suffisant pour peser sur le cours de l’Histoire ? « Ils se sont enrichis, ont investi, sont devenus des nantis, poursuit le spécialiste. Ils ont toujours été prêts à tout. Mais ils ont désormais beaucoup à perdre. »

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Dix chefs de guerre, trois versions de « l’après »

S’ils ont eu des intérêts et des combats communs, les comzones sont loin de former un ensemble homogène. Il leur est même arrivé de tenter de s’entre-tuer…

Wattao, Morou Ouattara et Koné Messamba sont aujourd’hui les plus proches de Guillaume Soro. Ils vouent une haine de longue date à Zacharia Koné, entre-temps devenu un fidèle d’Alassane Ouattara. Losseni Fofana, le taiseux Chérif Ousmane, Gaoussou Koné et Martin Kouakou Fofié se sont également éloignés de l’ancien chef de la rébellion.

Ousmane Coulibaly, devenu préfet de San Pedro, et Hervé Touré, qui suit des cours à l’ENA d’Abidjan, ne sont plus en contact avec la troupe et semblent rangés de ces luttes d’influence.

Les seconds, menace de premier plan ?

Le 7 janvier 2017, lorsqu’il arrive à Bouaké pour tenter de mettre fin au soulèvement des anciens rebelles, Wattao est accueilli par un homme qu’il connaît bien. Un de ses bras droits, Dramane Koné, est au milieu des jeunes soldats qui brandissent leurs armes. Ce lieutenant joue alors un rôle trouble, parlant au nom des mutins à certains journalistes.

Comme lui, plusieurs « seconds » des ex-comzones attirent aujourd’hui l’attention des services de renseignements pour le rôle qu’ils ont joué dans les déstabilisations de 2017.

Ces hommes avaient été laissés au contact des troupes par les anciens chefs de guerre, appelés à de plus hautes fonctions à la faveur de leur victoire de 2011. Plus discrets que leurs anciens supérieurs, qui font désormais face à la défiance de la base, ils sont désormais aussi plus appréciés des soldats. « Il faut les surveiller de près », estime un bon connaisseur de l’armée ivoirienne.

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