Gambie : un boubou trop grand pour Adama Barrow ?
Un an et demi après son élection, le président Adama Barrow peine encore à s’affirmer. Mais il semble avoir pris goût au pouvoir.
Cela fait dix-huit mois que Yahya Jammeh a quitté Banjul et le pouvoir. Mais les deux décennies de règne de cet homme autoritaire et baroque, qui utilisait des escadrons de la mort pour maintenir un pouvoir ultra-personnalisé, planent encore sur la vie politique gambienne. Depuis son élection, à la surprise générale, en décembre 2016, Adama Barrow peine encore à trouver sa place.
Ce président de 53 ans est déjà à mi-mandat, s’il respecte sa promesse de ne rester que trois ans en poste. Mais cet homme, souvent vêtu d’un boubou, semble encore assailli par le stress à chacun de ses discours en anglais. Bien qu’il la rejette, l’étiquette de « président par accident » continue de lui coller à la peau.
Ancien agent de sécurité à Londres, puis promoteur immobilier à Banjul, Adama Barrow avait en effet pour seule expérience politique un poste de trésorier du Parti démocratique unifié (UDP). « C’est vrai que ce n’est pas un parcours qu’il avait planifié, concède sa directrice de la communication et proche conseillère, Amie Bojang-Sissoho. Mais personne n’est jamais vraiment prêt à devenir président. »
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Son CV peu fourni explique sans doute qu’il sollicite de nombreux avis. Il s’est entouré d’une galaxie de conseillers spécialisés, pour la sécurité, la jeunesse ou encore la politique, confiée à Yusupha Cham. « C’est quelqu’un de humble, respectueux, et ouvert aux différents avis », affirme ce dernier. « Il prend ses décisions après avoir écouté tous les points de vue, ajoute l’un de ses proches. Il insiste pour qu’il y ait un consensus. »
Décisions contradictoires
Mais cette approche consultative suscite de nombreuses critiques. « Il a tendance à écouter davantage les intervenants extérieurs que les membres de son gouvernement, déplore Demba Jawo, ancien ministre de l’Information, remercié en juin. Cela conduit parfois à des prises de décision assez confuses ou contradictoires. » Sait Matty Jaw, professeur de sciences politiques à l’université de Gambie, ne dit pas autre chose : « Certes, il souhaite l’apaisement. Mais en essayant de satisfaire tout le monde, il ne satisfait personne. C’est un président qui est dans la réaction, alors qu’il devrait être proactif. »
Il attend d’être sous pression pour réagir
L’enseignant en veut pour preuve les événements de Faraba Banta, mi-juin. Il aura fallu attendre plusieurs semaines de manifestations et la mort de trois personnes, tuées par balles par la police, pour que le président se penche sur les revendications des habitants de cette localité, qui protestaient contre l’attribution de terres à une entreprise d’extraction de sable. Barrow a finalement ordonné une enquête sur les conditions de cette attribution ainsi que sur la chaîne de commandement au sein des forces de police. « Il attend d’être sous pression pour réagir, poursuit l’universitaire. Mais ce pays aurait besoin d’un vrai leader, avec une vision. »
Un remaniement pour s’affirmer ?
C’est peut-être pour s’affirmer qu’il a ordonné un remaniement majeur le mois dernier. La rumeur courait que certains de ses proches s’apprêtaient à le trahir. Il a décidé de renvoyer trois ministres. Yusupha Cham reste flou sur les raisons de cette décision. Elle a été prise « dans le meilleur intérêt de la nation, après que certaines informations sont remontées au président. », se contente-t-il d’expliquer.
C’est aussi la fin assumée de la coalition des partis d’opposition, rassemblés en 2016 pour présenter une candidature commune
Ismaila Ceesay, analyste politique et universitaire, y voit lui une « une décision totalement politique ». « Le cabinet a été recomposé avec des personnes qui lui sont proches, assure-t-il. Mais en même temps, il envoie un drôle de message puisque deux des nouveaux ministres ont servi sous Yahya Jammeh. » C’est aussi la fin assumée de la coalition des partis d’opposition, rassemblés en 2016 pour présenter une candidature commune : le remaniement évince deux de ses figures, la vice-présidente, Fatoumata Tambajang, et le ministre de l’Agriculture, Omar Jallow. « Cette coalition n’avait qu’un but : chasser Jammeh du pouvoir, estime Ismaila Ceesay. Depuis son départ, elle était dans le coma. Avec ce remaniement, elle est bel et bien morte. »
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Entre-temps, l’UDP a quant à lui remporté de larges victoires lors des élections législatives d’avril 2017 et des locales de mai 2018. Mais au sein de son parti aussi, l’autorité d’Adama Barrow paraît fragile. Ousainou Darboe, avocat de 69 ans, et figure de l’opposition à Jammeh, en demeure le chef historique. Ce n’est que parce qu’il avait été jeté en prison, avant les élections de 2016, que le parti avait dû trouver un candidat de secours en la personne d’Adama Barrow.
Le lien entre les deux hommes, qui se donnent l’accolade en public, est indéniablement fort. Le président reconnaît d’ailleurs volontiers qu’Ousainou Darboe est son « père en politique ». « Mais leurs relations ne sont pas si chaleureuses, croit savoir un ancien ministre. Bien sûr, Barrow ne peut pas se passer de Darboe et de son influence. Mais il est évident qu’ils ont tous deux l’ambition de se présenter à la prochaine élection. Je ne serais pas surpris de voir des tensions grandir entre les deux camps vers la fin de la transition. »
Parti pour cinq ans ?
Le choix d’Adama Barrow de nommer son aîné, jusqu’à présent ministre des Affaires étrangères, au poste de vice-président est perçu comme un moyen de le contrôler davantage, en le cantonnant à un rôle plus cérémoniel. Parallèlement, la création d’un nouveau mouvement de jeunes en soutien à Adama Barrow suscite une méfiance certaine à l’UDP. Pa Malick Nyassi, chargé de la communication du parti, ne cache en tout cas pas son scepticisme : « On ne peut pas interdire aux gens de créer des mouvements, mais il existe déjà une section jeune au sein de l’UDP, et nous nous concentrons sur elle, comme avant. »
Concernant ses plans pour la suite, le chef d’État reste flou. Est-il parti pour trois ans, comme promis en 2016, ou pour un mandat entier, comme prévu dans la Constitution ? Plus le temps passe, plus il penche pour la seconde option, en évoquant dans ses discours son mandat de cinq ans et en rappelant que son plan national de développement a pour échéance 2021.
Jammeh n’a pas dit son dernier mot
Si l’ancien président Yahya Jammeh demeure en exil en Guinée équatoriale, à Mongomo, ville de l’intérieur du pays, il n’a pas disparu de la scène politique gambienne. Mi-juillet, sa voix a été entendue pour la première fois depuis sa chute, dans l’enregistrement d’une conversation téléphonique avec des membres de son parti, l’Alliance pour la réorientation et la construction patriotiques (APRC).
La discussion prouve qu’il conserve son autorité : il y recommande d’écarter certains cadres du parti, consigne qui a été suivie. L’ancien président semble également en contact avec des militaires : l’année dernière, sept gradés de l’armée gambienne, soupçonnés de lui communiquer des informations, ont été limogés.
Au pays, la pression est toutefois de plus en plus forte afin que des poursuites soient engagées contre lui. Une commission d’enquête examine les comptes de ses entreprises, pour déterminer si de l’argent public a été détourné. La campagne « Bring Jammeh to justice » vise par ailleurs à mettre en lumière ses crimes, afin qu’il soit un jour traduit devant les tribunaux.
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