Tunisie – Zoubeïr Mouhli : « Le projet de loi sur le patrimoine tunisien est inapplicable »

Pour le Directeur de l’Association de sauvegarde de la médina, le projet de loi sur le patrimoine porté par le gouvernement tunisien présente de nombreuses défaillances.

Zoubeir Mouhli, architecte à l’Association de Sauvegarde de la medina de Tunis © Nicolas Fauque/www.imagesdetunisie.com

Zoubeir Mouhli, architecte à l’Association de Sauvegarde de la medina de Tunis © Nicolas Fauque/www.imagesdetunisie.com

Publié le 31 juillet 2018 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Les centres historiques sont-ils menacés par le projet de loi qui prévoyait de détuire 5000 édifices considérés comme dangereux ?

Zoubeïr Mouhli : Cette loi considère les édifices du patrimoine comme des bâtiments ordinaires, sans intérêt, et recourt facilement à la démolition tout en déléguant aux municipalités la résolution des problèmes, dont le relogement et le foncier. Mais ce qui est considéré par les uns comme menaçant ou en ruine peut parfaitement être récupérable.

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La vraie question c’est : comment a été fait le recensement des 5 000 édifices, par qui et sur quels critères ? Nul ne le sait. Les institutions concernées n’ont pas été consultées. Le projet écarte les architectes et prévoit d’attribuer les tâches à des ingénieurs ou à des bureaux d’études. Mais sont-ils compétents en matière de patrimoine ?

Il s’agit aussi d’éthique, puisque le diagnostic et les travaux, en cas de réhabilitation lourde, sont confiés au même prestataire. Les lobbies de spéculation immobilière, vu la rareté du foncier, sont à l’affût des bonnes occasions dans nos centres-villes. En remplaçant une villa par six étages comme cela est autorisé, ils réalisent un gain considérable.

L’État s’arroge le droit de décider du sort de patrimoine classé par l’Unesco, à la place des départements concernés, et en infraction justement du Code du patrimoine !

La loi présente-t-elle d’autres défaillances ? 

D’abord, elle a été faite dans la précipitation. L’État s’arroge le droit de décider du sort de patrimoine classé par l’Unesco, à la place des départements concernés, et en infraction justement du Code du patrimoine ! Sans compter que le texte ne résout pas les problèmes fonciers et n’incite pas à la réhabilitation. Sous prétexte de vouloir protéger les habitants, il porte préjudice aux artisans, qui perdent leur pas-de-porte.

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En sus, ce projet est inapplicable. Les délais prévus entre l’identification et la mise en œuvre sont impossibles à tenir. Le comble est qu’un dispositif d’intervention sur les médinas et les centres anciens des XIXe et xxe siècles est inscrit au plan de développement 2016-2020, et avait été étudié au préalable par les collectivités. Il n’a pas été activé malgré les bonnes dispositions des bailleurs de fonds internationaux.

La négligeance du patrimoine est lié aux questions d’héritage

Comment en-est-on arrivé à négliger ce patrimoine ? 

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C’est lié aux questions d’héritage. Le moindre désaccord entre héritiers, qui au fil du temps sont de plus en plus nombreux, bloque la vente d’un bien. L’État n’obligeant à aucun entretien, le bien se dégrade et finit parfois par être tout simplement abandonné.

Parfois aussi, le bien est loué à des foyers à faibles revenus, qui bénéficient encore de loyers anciens peu élevés et qu’il est très difficile de déloger. Et puis il y a les situations complexes du foncier, les blocages causés par la copropriété et l’indivision quand il y a mise en vente partielle, le non-accès au crédit pour l’acquisition ou la réfection de ces biens et la non-application par l’État du plan de sauvegarde de 1993.

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