Côte d’Ivoire : jusqu’où iront les insoumis du PDCI ?
Ils ont osé défier Henri Konan Bédié et soutenir le parti unifié RHDP. Exclus de fait du PDCI par le Sphinx de Daoukro, certains veulent l’affronter dans ses fiefs électoraux.
Les uns les appellent les Judas ; les autres, les dissidents. Mais ces cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié) se voient comme des hommes et des femmes de mission, chargés de faire aboutir le projet de formation unifiée cher à Alassane Ouattara.
Depuis que le bureau politique de leur parti a dit non à ce projet, le 17 juin, ils sont sous tension. Ces ministres, présidents de conseils d’administrations, élus ou encore directeurs généraux de structures étatiques doivent désormais choisir. D’un côté, le président Alassane Ouattara maintient la pression. Le maire de Treichville (Abidjan), François Albert Amichia, jugé trop neutre, s’est ainsi vu retirer son portefeuille du ministère des Sports (il y a été remplacé par Paulin Danho, l’ambitieux édile PDCI d’Attécoubé) et doit désormais se contenter du ministère de la Ville, créé pour l’occasion.
Ils se sont exclus d’eux-mêmes, car, conformément à la loi, nul ne peut appartenir à deux formations, a martelé Maurice Kakou Guikahué
De l’autre côté, Henri Konan Bédié, président de leur parti, les somme d’opérer un choix sans attendre. Certains ont opté pour l’insoumission, quand d’autres continuent de louvoyer. Leur décision, ils sont les premiers à le savoir, est politiquement risquée. La plupart sont implantés dans des fiefs traditionnels du PDCI, un parti où les militants ont un attachement quasiment mystique à leur logo, vieux de 72 ans.
Kobenan Kouassi Adjoumani, Amédé Kouakou, Paulin Danho, Bernard Koutoua Ehui ou encore Félix Anoblé font partie de ceux qui sont allés le plus loin dans la dissidence. Les trois premiers sont ministres ; le suivant, ambassadeur ; et le dernier, secrétaire d’État. Tous ont accepté de devenir membres fondateurs du parti unifié, le Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), lors du congrès du 16 juillet. La sanction est tombée six jours plus tard, par la voix de Maurice Kakou Guikahué, secrétaire exécutif en chef du PDCI. « Ils se sont exclus d’eux-mêmes, car, conformément à la loi, nul ne peut appartenir à deux formations à la fois », a-t-il martelé lors d’une conférence de presse dans une salle du bureau politique du PDCI.
Dix-huit personnes déclarées exclues
La veille, Henri Konan Bédié, 84 ans, avait reçu chez lui à Daoukro, son fief natal, une vingtaine de vice-présidents de son parti lors d’un déjeuner glacial. « Le parti unifié de l’appel de Daoukro n’est pas celui de l’assemblée générale constitutive créant le “Parti unifié RHDP”, avec dissolution à terme des formations membres », a-t-il répété. En clair, Bédié veut toujours une fédération où chaque parti conserve son identité, plutôt que la formation unique souhaitée par la mouvance présidentielle.
Étaient présents à ce déjeuner Daniel Kablan Duncan, vice-président de la République, considéré comme le chef de file des dissidents, Jeannot Ahoussou-Kouadio, président du Sénat, qui milite pour un rassemblement autour de Bédié et de Ouattara, Patrick Achi, secrétaire général de la présidence et « agent de liaison » entre Ouattara et Bédié. Habiles, ces personnalités avaient toutes pris soin de participer au congrès sans s’engager comme membres fondateurs, et ont expliqué à Bédié qu’elles s’y étaient rendues pour représenter l’institution qu’elles dirigent.
Pris à son propre jeu, alors qu’il s’était lui-même fait représenter à cette cérémonie, Bédié a coupé la poire en deux : ne seront sanctionnés que ceux qui ont participé à la rencontre en qualité de membres fondateurs. Au total, dix-huit personnes ont été déclarées exclues de fait.
La base du PDCI, hostile au projet de parti unifié
Certains, tel Adjoumani, 55 ans, ont décidé de se rebeller ouvertement contre Bédié : « Nous sommes plus déterminés que jamais, assure-t-il. Nous irons jusqu’au bout. » Ce professeur de lycée était pourtant un inconditionnel de Bédié sous Laurent Gbagbo, dont il a été le ministre des Ressources animales et halieutiques. En 2011, il a retrouvé ce fauteuil. Grand orateur au langage simple, il bénéficie de l’appui de Duncan et d’Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre et vice-président du Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel).
« Adjoumani peut, avec les moyens de l’État, se faire élire chez lui aux prochaines élections locales, commente un analyste. Cependant, ceux qui ont des ambitions plus grandes et visent la présidentielle, comme Achi, Ahoussou, Duncan ou Charles Koffi Diby, savent que sans la base du PDCI, majoritairement hostile au projet de parti unifié, ils n’ont aucune chance. Ils sont obligés de jouer la carte de la prudence. »
Au sein de la fronde, certaines personnalités estiment en effet que les membres du nouveau mouvement Sur les traces d’Houphouët-Boigny, dirigé par Adjoumani, vont un peu trop loin. « Faisons bloc autour de Bédié pour consolider notre cohésion. Nous devons l’encourager à rassembler tous les enfants d’Houphouët-Boigny », conseille Ahoussou, qui – comme Diby, président du conseil économique et social, et la ministre Raymonde Goudou-Coffie – continue de croire qu’il est possible que Bédié et Ouattara accordent leurs violons.
Nous allons nous peser pour voir qui est le plus lourd, soutient Kouakou
Une chose est certaine : ceux qui rêvaient de créer un séisme au sein du PDCI devront encore patienter. En attendant, les positions se radicalisent. La « troïka anti-RHDP » (l’expression est d’Amadou Gon Coulibaly) constituée de Guikahué, de l’ex-ministre Jean-Louis Billon et de Noël Akossi Bendjo, maire du Plateau (commune d’Abidjan), compte aller à l’assaut des militants de l’intérieur du pays, dans la perspective des élections municipales et régionales d’octobre. Ils ont pour mission de réduire l’influence des insoumis dans leurs propres bases électorales. Une tâche difficile, d’autant que certains, comme Adjoumani ou le ministre Amédé Kouakou, sont des élus locaux enracinés depuis des années.
Les membres de Sur les traces d’Houphouët-Boigny, qui a désormais son logo et son manifeste, ne comptent pas rester les bras croisés. Ce mouvement veut présenter ses propres candidats dans les fiefs du PDCI. « Nous allons nous peser pour voir qui est le plus lourd », soutient Kouakou. Si les insoumis l’emportent en octobre, Bédié devra revoir sa position vis-à-vis du parti unifié. Dans le cas contraire, ces derniers devront soit quitter la maison, soit rentrer dans le rang. La partie ne fait que commencer.
Dissidences à répétition
L’ancien parti unique est régulièrement traversé par des désaccords et des rébellions. Retour sur deux épisodes marquants.
Septembre 2000. Les formations politiques désignent leurs candidats respectifs à la présidentielle. Le Parti démocratique de Côte d’Ivoire choisit Émile Constant Bombet, puissant ministre de l’Intérieur dans les gouvernements de Daniel Kablan Duncan, alors Premier ministre d’Henri Konan Bédié. Ce dernier, exilé en France après son éviction du pouvoir, maintient toutefois sa propre candidature en tant qu’indépendant. Tous deux sont toutefois éliminés par une Cour suprême aux ordres du général Robert Gueï, alors homme fort de la transition.
Septembre 2014. Alors que le congrès de son parti, qui s’était tenu moins d’un an plus tôt, avait décidé que le PDCI présenterait un candidat « militant actif » à la présidentielle de 2015, Bédié décide unilatéralement, lors de son « appel de Daoukro », que Ouattara sera le candidat du PDCI. Sa décision, validée plus tard par un congrès extraordinaire, est toutefois ignorée par Charles Konan Banny et Kouadio Konan Bertin.
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