Infrastructures : le tour de force gabonais de Gagan Gupta
La réussite éclatante de la filiale du groupe singapourien Olam est celle de son directeur général. Grand architecte logistique du pays, il suscite l’admiration autant que la jalousie et les critiques.
Infrastructures : comment Gagan Gupta a fait d’Olam la première entreprise privée du Gabon
En moins de dix ans, Olam Gabon est devenue la plus importante compagnie privée du pays et le premier partenaire de l’État dans des activités aussi diverses que l’agriculture, l’industrie ou le transport. Jeune Afrique revient dans ce dossier sur cette trajectoire fulgurante, qui est aussi celle de son directeur général, Gagan Gupta.
«Gagan, c’est le genre d’homme qui rentre dans votre bar et qui, au lieu de vous demander le prix du verre, veut savoir combien vous vendez les murs, raconte un Français habitué des milieux d’affaires de Libreville. La différence avec les autres, c’est que ce n’est pas de l’esbroufe. Le lendemain, le bar est à lui. »
Au pays d’Ali Bongo Ondimba, en moins de dix ans, Olam Gabon a connu une progression si fulgurante qu’elle est devenue la plus importante compagnie privée du pays et le premier partenaire de l’État dans des activités aussi diverses que l’agriculture, l’industrie ou le transport. Dernier coup, l’acquisition, en juin, au nez et à la barbe du français Egis, de la gestion de l’aéroport de Libreville en attendant la construction d’un nouveau par GSEZ (Gabon Special Economic Zone), filiale… d’Olam.
Succès foudroyant d’Olam
« Après Olam, il y a Olam », sourit, grinçant, un ancien employé d’un concurrent du groupe asiatique. Le succès foudroyant de sa filiale gabonaise, la multinationale du négoce et de l’agribusiness installée à Singapour – 26 milliards de dollars de revenus en 2017 (21,7 milliards d’euros) – le doit principalement à un homme : Gagan Gupta.
Présent depuis 1998 au Gabon dans le négoce de l’huile de palme, du bois, et du caoutchouc (avec 106 000 ha de plantations aujourd’hui), Olam y a véritablement pris son envol à la faveur de l’arrivée, en 2008, de son nouveau patron local et de l’avènement d’Ali Bongo Ondimba en 2009. « J’ai été recruté par Olam spécifiquement pour ce poste au Gabon, raconte Gagan Gupta. Je ne connaissais pas ce pays mais je savais que le groupe était présent dans une vingtaine de pays d’Afrique et qu’il avait un réel impact en matière de développement. J’ai fait miennes les valeurs et les ambitions du groupe et de son patron, Sunny Verghese : proposer un développement durable, avoir une vision à long terme et créer de la valeur ajoutée pour les populations locales et pour nos actionnaires. »
Et voici donc cet expert-comptable né au Rajasthan (dans le nord-ouest de l’Inde), passé par les directions financières des filiales indiennes de Reebok et de Reckitt Benckiser (pharmacie), qui, à tout juste 33 ans, débarque à Libreville sans parler un mot de français.
Tout le monde pensait que c’était un vendeur de cacahuètes. Mais la suite a montré qu’on l’avait tous sous-estimé
« À cette époque, raconte l’un de ses concurrents, je voyais un jeune Indien faire le pied de grue dans les antichambres du pouvoir. Il restait assis pendant des heures, devant son ordinateur portable en attendant une entrevue avec un ministre ou avec Maixent Accrombessi, ex-directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba. Tout le monde pensait que c’était un vendeur de cacahuètes. Mais la suite a montré qu’on l’avait tous sous-estimé. » En effet. Très vite, ce deuxième fils d’un directeur de cimenterie au Rajasthan va, à force de pugnacité et de travail, gagner la confiance du numéro un d’Olam International et convaincre Ali Bongo Ondimba qu’il est le partenaire idéal pour mener à bien la transformation économique que le nouveau président appelle de ses vœux.
« Notre partenariat est directement né du Plan Gabon émergent, raconte Liban Soleman, son coordonnateur général. Notre idée était de trouver un acteur avec une masse critique capable de changer la donne en matière d’infrastructures. Dès 2009, des discussions ont eu lieu avec les dirigeants du groupe. Sunny Verghese est venu au Gabon et a assisté avec M. Gupta à la présentation du plan. »
À la fin de 2010, Ali Bongo Ondimba se rend à Singapour pour une visite d’État, accompagné de Gagan Gupta, et signe avec Sunny Verghese un accord qui jettera les bases d’une collaboration sans précédent. « Il y avait déjà dans cet accord une grande partie de ce qui existe aujourd’hui. Une stratégie d’investissements massifs pour développer le secteur agricole, améliorer la compétitivité des filières, et lever les goulots d’étranglement. »
L’idée de génie de Gagan, c’est d’avoir cru dans la Zone économique spéciale de Nkok. C’est de là que tout part, analyse un ancien cadre du logisticien français Necotrans
« L’idée de génie de Gagan, c’est d’avoir cru dans la Zone économique spéciale de Nkok. C’est de là que tout part », analyse un ancien cadre du logisticien français Necotrans (racheté depuis par Bolloré après une tentative de rachat avortée d’Olam). Alors que le singapourien était centré depuis ses débuts sur l’agriculture, Gagan Gupta a propulsé le groupe dans les infrastructures en y mettant les moyens. Au centre de cette réussite, GSEZ, filiale à 40,5 % d’Olam Gabon, résultat d’un partenariat public-privé (PPP) avec la République du Gabon (actionnaire à 38,5 %) et l’Africa Finance Corporation (21 %).
Parmi ses actifs aujourd’hui, la Zone économique spéciale (ZES) de Nkok, dont il a la gestion, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Libreville, résultat d’un investissement de plus de 2,5 milliards de dollars (dont 488 millions de la part d’Olam), achevée en 2015, et qui abrite sous un régime fiscal spécifique des industries, des commerces et des résidences. également dans le portefeuille de GSEZ, le port minéralier de Libreville (près de 500 millions de dollars), opérationnel depuis 2016 et dont il a la gestion pour quatre-vingt-dix ans ; et le nouveau port international d’Owendo (NOIP), livré en 2017, d’un coût de plus de 300 millions de dollars, et dont il a, là aussi, la gestion pour quatre-vingt-dix ans.
Sur le volet agricole, Olam a investi pas moins de 508 milliards de F CFA (775 millions d’euros) entre 2011 et 2017, là encore dans le cadre de PPP, développant notamment 58 000 ha de plantations de palmiers à huile, 28 000 ha d’hévéas et 20 000 autres de cultures diverses à travers le programme gouvernemental Graine. Au total, Olam Gabon aurait investi plus de un milliard de dollars entre 2011 et 2017, alors que la construction de l’aéroport n’a pas encore démarré. Des chiffres qui impressionnent. Mais pas ce concurrent français d’Olam sur le continent : « Il fait croire que c’est lui qui finance, or c’est BGFIBank qui l’appuie avec la garantie de l’État gabonais. »
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Premier employeur du pays avec près de 17 500 salariés
« On peut dire tout ce que l’on veut, mais il a réussi à réaliser ce que personne n’avait jamais réalisé dans ce pays avant lui, s’enflamme en revanche l’ex-cadre de Necotrans. Il dit ce qu’il va faire et fait ce qu’il a dit. Qui peut en dire autant ? » Une admiration partagée par d’autres.
« C’est un génie avec une capacité rare d’appréhension des modèles, n’hésite pas une seconde Liban Soleman. Il a compris la nécessité de lancer des projets avec une taille et une envergure critique. Il a pris des risques quand les autres investisseurs ne cessent de poser des conditions et de reculer devant les contraintes logistiques. Le port minéralier a permis de multiplier par cinq les exportations de manganèse du chinois Citic Dameng. Hier, l’agriculture était quasi absente de ce pays, la transformation presque inexistante. La structure du PPP gabonais est un modèle que les autres pays africains scrutent et regardent avec envie. »
Un rapport de l’économiste Mays Mouissi sur l’impact des activités du groupe, réalisé avec la collaboration d’Olam Gabon, assure qu’entre 2010 et 2016, la contribution en valeur du secteur agricole dans la formation du PIB s’est accrue de 30 %, celle de l’industrie du bois (…) de 193 %, de l’agro-industrie de 40 % et des transports de 34 %. Sur la seule année 2016, Olam aurait « contribué à hauteur de 295 milliards de F CFA […] du PIB » gabonais tandis que la valeur ajoutée créée par la firme représenterait « 3,6 % du PIB » soit « 8 311 milliards de FCFA ». En 2018, Olam Gabon et ses filiales étaient le premier employeur du pays avec près de 17 500 salariés.
« Bienveillance » des autorités pointée par ses détracteurs
Toutes les personnes interrogées décrivent ce père de deux enfants, de religion hindoue, comme un véritable stakhanoviste qui travaille dix-huit heures par jour et peut envoyer des dizaines de SMS à la même personne en une journée. Il est dépeint par ses interlocuteurs comme « très calme », « plutôt discret » mais aussi « séducteur ». « Très exigeant » avec ses employés « sans jamais être condescendant ».
Mais la qualité qui revient le plus souvent dans les conversations, c’est sa vivacité. « Il va très vite. Dans sa tête comme dans l’exécution, a pu observer un ancien cadre d’Olam Gabon. Il prend ses décisions seul ou avec quelques fidèles. Et quand il se trompe, il sait le reconnaître et rapidement changer de voie. Dans son management, ses équipes ne se mélangent pas et n’ont pas de liens entre elles. » Une méthode qu’il réfute : « Les seize personnes de la direction d’Olam Gabon échangent et participent aux choix, en lien avec nos équipes à Singapour pour les décisions clés. »
Il peut aussi se révéler un « redoutable négociateur » n’hésitant pas à s’affranchir des règles. Il a marché à dessein sur les plates-bandes du groupe Bolloré, gestionnaire du terminal international d’Owendo qui jouxte le NOIP, en commençant à opérer du transport de conteneurs alors que le Français avait un accord d’exclusivité sur cette activité. Une rodomontade qui a abouti, après d’âpres négociations, à la cession de la partie conteneurs de NOIP à Bolloré. Ses détracteurs pointent la « bienveillance » des autorités à son égard. Le rapport de Mays Mouissi souligne qu’Olam Gabon n’a contribué qu’à hauteur de 0,08 % des finances publiques sur la période 2012-2017. Une anomalie que ses concurrents expliquent par la relation privilégiée nouée avec le président.
D’autres investissements en Afrique ?
« Le premier venu peut réussir dans les affaires s’il ne paye aucun impôt », persifle l’un d’entre eux. Face à ces critiques, Gagan Gupta dément et reste évasif. Sur ses liens avec Ali Bongo Ondimba : « Il n’y a pas de relation particulière entre lui et moi si ce n’est qu’il est le chef de l’État et que je suis le responsable opérationnel d’Olam au Gabon. » Concernant les avantages fiscaux dont il bénéficie : « Nous faisons tout dans le cadre de la loi. Nous avons bâti des PPP et nous ne bénéficions pas d’avantages supplémentaires par rapport à d’autres qui concluent ce type d’accord. »
Gagan Gupta voit déjà plus loin. Au Gabon d’abord, on lui prête la volonté de construire une nouvelle Zone économique spéciale à Port-Gentil, et de toujours lorgner, malgré un démenti officiel, la concession de la Société d’énergie et d’eau du Gabon aux dépens de Veolia. À plusieurs reprises, il a évoqué son ambition d’investir dans le domaine des infrastructures dans d’autres pays africains. Ceux qui le côtoient l’imaginent assez bien tenter de construire de nouvelles ZES et de nouveaux ports en Côte d’Ivoire, au Cameroun, ou en RD Congo.
Alors qu’il est impliqué dans un projet ivoirien à San Pedro, on lui attribue l’entrée d’Olam au Tchad, à travers l’acquisition de 60 % de la société publique CotonTchad en avril. Il dément du bout des lèvres. « Je n’y ai pas participé activement », dit-il. Mais alors que l’ancien cadre de Necotrans était dithyrambique sur l’impact du patron d’Olam Gabon à domicile, il est beaucoup plus réservé sur ses prétentions hors frontières. « Gagan ne pourra pas seul reproduire ce qu’il a fait à Libreville. Pour une raison simple, le Gabon est une chose, l’Afrique en est une autre. »
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