Côte d’Ivoire : Alassane Ouattara prépare sa contre-attaque
Confronté à la contestation inédite de ses alliés du PDCI, le président ivoirien bat le rappel de ses troupes. Et prépare sa contre-attaque.
Il est des discours politiques plus attendus que d’autres. Celui prononcé le 16 juillet, à Abidjan, par Alassane Dramane Ouattara (ADO) lors de l’Assemblée générale constitutive du parti unifié, était de ceux-là. Un mois plus tôt, à sa grande surprise, son principal allié depuis 2005, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), avait décidé de ne pas adhérer à ce Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) avant la présidentielle d’octobre 2020. Et depuis, Henri Konan Bédié (HKB) répète qu’il n’est pas concerné par ce projet.
Le soir du 16 juillet, le président ivoirien se sait donc attendu. Il apparaît à la tribune de la salle des congrès du Sofitel Ivoire sanglé dans un costume bleu nuit. Notes dactylographiées en main – certains passages sont inscrits en rouge –, le chef de l’État se montre tantôt rieur, tantôt solennel, parfois offensif ou menaçant.
Il s’adresse une première fois au président du PDCI pour l’appeler à revenir sur sa décision : « Bédié ne peut pas et ne va pas renier sa signature. Adopter les textes du parti unifié après le scrutin de 2020 n’est pas acceptable. Dans ce mariage, pas de divorce. Nous devons rester ensemble. » Et prononce ensuite ces mots qui surprennent même son entourage proche : « Nous devons travailler main dans la main, le président Bédié et moi, pour transférer le pouvoir à une nouvelle génération en 2020. »
Trahison
Retour au mois de juin. ADO est quelque peu sonné lorsqu’il prend connaissance des résolutions du bureau politique du PDCI. La trahison fait toujours mal, même lorsque l’on est au pouvoir. Persuadé que cette étape serait une formalité, il avait confié vouloir dissoudre le gouvernement immédiatement après.
Le président a estimé qu’en restant dans la salle Bédié avait cautionné ces comportements
« Nous avions étudié deux scénarios possibles mais nous n’avions pas privilégié celui qui s’est déroulé sous nos yeux », concède un de ses proches. Face à ce qu’il décrit devant certains interlocuteurs comme « un coup de poignard dans le dos », le chef de l’État oscille, les jours suivants, entre incompréhension et colère. Ouattara est furieux, non seulement en raison de la décision du PDCI, mais aussi parce que son vice-président, Daniel Kablan Duncan, et certains membres du gouvernement ont été sifflés au cours de la réunion. « Le président a estimé qu’en restant dans la salle Bédié avait cautionné ces comportements », raconte un intime.
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Son premier réflexe aurait pu être de répliquer aussitôt, mais Ouattara n’est pas du genre à agir dans la précipitation. Il préfère se donner le temps de la réflexion et consulter. Son tout premier cercle, bien sûr – son frère Birahima Téné Ouattara et le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly –, mais aussi Hamed Bakayoko, le patron de la Défense, Marcel Amon Tanoh, celui des Affaires étrangères, Kablan Duncan, ou encore le businessman Adama Bictogo et l’ancien ministre Cissé Bacongo. Fin juin, les rencontres sont régulières au « petit palais » de la présidence et dans la résidence du chef de l’État, à la Riviera Golf.
ADO reçoit aussi des notes écrites. Autour de lui, les avis divergent. Certains veulent que des têtes tombent, d’autres pensent qu’il est préférable de laisser la porte ouverte à Bédié. C’est cette option qui sera retenue. Dissous le 4 juillet, le gouvernement est reformé le 10.
Le président avait menacé de nommer une équipe aux seules couleurs du RHDP, il décide finalement de conserver les ministres PDCI dont l’engagement en faveur du parti unifié n’est pas encore certain. C’est le cas notamment de Jean-Claude Kouassi, Isaac Dé, François Amichia ou Thierry Tanoh. Tous ont néanmoins été sommés de se prononcer lors d’un entretien privé avec Amadou Gon Coulibaly. « Tanoh a demandé à rester, précise un proche du Premier ministre. » Pour la première fois depuis 2011, Bédié, qui voulait jusque-là avoir son mot à dire, n’est ni consulté ni informé.
Vaines tentatives
ADO a bien tenté de ramener HKB à de meilleurs sentiments. Mais ni Patrick Achi, le secrétaire général de la présidence, ni Siandou Fofana, ministre du Tourisme et des Loisirs, ou Jeannot Ahoussou-Kouadio, le président du Sénat, envoyés comme émissaires, n’y sont parvenus. Le chef de l’État, qui s’était donné jusqu’en septembre pour organiser l’Assemblée générale constitutive du RHDP, veut désormais précipiter le calendrier.
Nous avions lézardé un mur au PDCI, nous devons maintenant l’ouvrir
Informé, Bédié essaie une fois encore de gagner du temps en recevant Henriette Diabaté et Kandia Camara, respectivement présidente et secrétaire générale du Rassemblement des républicains (RDR), à Daoukro. Trop tard.
Au cours d’une énième réunion, Ouattara convoque pour le 9 juillet un bureau politique extraordinaire du RDR auquel il n’assistera pas mais dont l’objectif est simple : lancer l’acte de création du parti unifié dès le 16 juillet, et en proposer la présidence au chef de l’État.
Défier Bédié
« À partir du moment où le ministre Kobenan Kouassi Adjoumani a lancé son mouvement, Sur les traces d’Houphouët-Boigny, nous avons compris qu’il fallait accélérer les choses tout de suite. Nous avions lézardé un mur au PDCI, nous devons maintenant l’ouvrir », précise un membre du premier cercle d’ADO.
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Pour cela, le camp du président comptait sur la tenue de l’Assemblée générale constitutive du parti unifié. Sauf que tout ne s’est pas exactement passé comme prévu. Outre l’absence remarquée de Guillaume Soro, cette assemblée n’a pas provoqué le schisme attendu au sein du PDCI.
Bien que présents, la majorité des ministres et présidents d’institutions qui en sont issus – notamment Jeannot Ahoussou-Kouadio et Charles Koffi Diby, le président du Conseil économique et social – se refusent encore à défier Bédié et à endosser officiellement l’étiquette du RHDP. En privé, certains ne cachent pas leur fidélité au PDCI. « Je ne suis pas membre signataire du parti unifié », a ainsi déclaré Jean-Claude Kouassi lors d’une réunion à Bouaké.
Contexte explosif
Conscient que cet entre-deux ne peut pas durer, le chef de l’État leur a, selon nos sources, donné jusqu’à la fête de l’indépendance, le 7 août, pour clarifier publiquement leur position. « Ceux qui ne le feront pas risqueront de sortir du gouvernement lors d’un réaménagement prévu après les élections locales du 13 octobre », précise un ministre.
Dans ce contexte explosif, ce double scrutin (municipal et régional) prend une autre dimension. Comme une mini-présidentielle avant l’heure qui pourrait dessiner les contours d’une nouvelle carte politique et électorale. Au sein de la majorité, on se prépare désormais à affronter le PDCI avec l’étiquette RHDP. « On saura après l’investiture de nos candidats, fin août, qui est avec qui », dit-on. Le pouvoir veut reprendre une majorité des communes d’Abidjan, ainsi que certaines zones du Sud-Est et du Sud-Ouest, pour poursuivre l’encerclement du PDCI et de son fief du V Baoulé, dans le centre.
Hypothétique volte-face
ADO a radicalisé Bédié et a laissé à une alliance contre sa personne la chance d’exister
Cette stratégie laisse certains proches du pouvoir perplexes. Ouattara peut-il se permettre de rompre totalement avec Bédié ? Quel est le poids électoral des « insoumis du PDCI » ? Seront-ils suivis par la base si leur parti n’est pas derrière eux ? « Vouloir faire du RHDP un “RDR élargi” est un pari très risqué. En refusant de concéder au PDCI le choix du candidat en 2020, ADO a radicalisé Bédié et a laissé à une alliance contre sa personne la chance d’exister », s’inquiète un homme d’affaires étiqueté RDR. Depuis plusieurs jours, les personnalités de l’opposition défilent chez HKB à Daoukro. Un de ses proches, Jean-Louis Billon, s’est aussi rendu à La Haye fin juillet pour rencontrer Charles Blé Goudé et Laurent Gbagbo.
Alassane Ouattara est en première ligne. Après avoir laissé entendre dans une interview (JA n° 2995, du 3 au 9 juin) qu’il pourrait effectuer un mandat supplémentaire, il semblait ne plus l’envisager le 16 juillet. Une position qu’il a répétée à certains de ses proches, précisant qu’il voyait toujours en Amadou Gon Coulibaly son successeur idéal en 2020.
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Le Premier ministre a longtemps donné l’impression de ne pas vouloir endosser le costume. Désormais, il s’y prépare. « Il s’organise, assure un de ses proches. Le PDCI a réussi à imposer dans l’opinion l’idée que le prochain président devait être de son parti. Notre but est de renverser la tendance. »
Rupture consommée
Reste que l’entourage du chef de l’État laisse toujours planer la menace d’un troisième mandat. « S’il n’y a pas consensus autour d’Amadou Gon Coulibaly ou que Bédié est candidat, rien n’est exclu », dit-on. ADO et HKB ont chacun laissé entendre qu’ils pourraient se présenter si l’autre se lançait. Le président compte accentuer la pression sur son aîné, en espérant une hypothétique volte-face.
La rupture semble pourtant consommée. Révoqué le 1er août de son poste de maire du Plateau pour « graves déviations dans sa gestion et faux en écriture publique », Noël Akossi-Bendjo, figure du PDCI hostile au parti unifié, a dénoncé une décision « arbitraire digne d’un régime totalitaire ». « Rien ne changera sur la question du RHDP. Bédié n’en a pas le pouvoir. ADO l’a compris et cherche désormais à nous briser », conclut un cadre du PDCI.
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Question de calendrier
Après l’Assemblée générale constitutive du 16 juillet et le dépôt des statuts du parti devant le ministère de l’Intérieur dans les jours qui ont suivi, une direction transitoire devrait voir le jour avant le milieu du mois d’août. Elle aura trois objectifs : organiser les élections locales et le congrès fondateur du RHDP en novembre ou décembre, puis mettre en place ses instances définitives.
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