RDC : le compte à rebours électoral est lancé

Pour la présidentielle, la majorité vient de désigner un champion auquel personne ne s’attendait. Face à lui, une vingtaine de challengers, dont Jean-Pierre Bemba, Félix Tshisekedi, Vital Kamerhe. Mais pas (pour l’instant) Moïse Katumbi.

Joseph Kabila avant son discours sur l’état de la nation, le 19 juillet, devant le Parlement réuni en Congrès. © Junior D. KANNAH/AFP

Joseph Kabila avant son discours sur l’état de la nation, le 19 juillet, devant le Parlement réuni en Congrès. © Junior D. KANNAH/AFP

Publié le 13 août 2018 Lecture : 6 minutes.

Un électeur attend pour voter, le 30 novembre 2011, pour la présidentielle en RDC (archives). © JEROME DELAY/AP/SIPA
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RDC : grandeur nature

Les candidats à la présidentielle sont désormais connus. Quelle que soit l’issue du scrutin, prévu en décembre, les défis politiques, économiques et sociaux à relever sont aussi immenses que le sont le pays, ses démons et ses atouts.

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Le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) n’a pas la tâche facile. Sous l’œil attentif du chef de l’État, dont le portrait surplombe le vaste bureau, Corneille Nangaa tente de déminer la litanie de critiques relatives à l’organisation des élections présidentielle, législatives et provinciales, prévues le 23 décembre. Une à une, il balaye les polémiques.

Celle sur les machines à voter ? « Un détail ! » Les doutes relatifs au fichier électoral ? « L’audit mené par les experts de la Francophonie a conclu que ce fichier était inclusif, exhaustif et actualisé. » Les craintes d’un énième « glissement » du calendrier électoral ? Elles seraient injustifiées. « Le processus est irréversible », tranche Corneille Nangaa.

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Un processus mené au forceps par la Ceni, qui a mobilisé d’importants moyens logistiques et plus de 80 000 agents pour assurer la révision du fichier électoral. Car le défi de ces élections générales tant attendues est à la mesure de cet immense pays – 80 fois la superficie de la Belgique –, dont les déficits en infrastructures sont notoires. Le coût total de ces scrutins a été estimé à 432 millions de dollars (373 millions d’euros), soit un peu plus de 8 % du budget annuel de l’État, qui s’est engagé à le prendre en charge dans son intégralité. « Nous avons tenu à affranchir notre processus électoral des contingences du financement extérieur et, par conséquent, des chantages de tous genres », a expliqué le président, Joseph Kabila, le 19 juillet, lors de son discours sur l’état de la nation.

La Ceni répond au doigt et à l’œil aux injonctions de l’exécutif et n’est indépendante que de nom

« Des élections en décembre ? Mais à quoi ressembleront-elles ? » interroge Isidore Ndaywel è Nziem. Visage bienveillant et voix douce, l’intellectuel, auteur d’ouvrages de référence sur l’histoire du Congo, est l’un des hérauts du Comité laïc de coordination (CLC), lié à l’Église catholique et devenu l’un des fers de lance de la contestation anti-Kabila. Dans la ligne de mire du CLC : le non-respect de l’accord signé le 31 décembre 2016, censé mettre un terme à la crise politique provoquée par le maintien au pouvoir de Joseph Kabila à la fin de son deuxième mandat.

« Avec l’accord de la Saint-Sylvestre, on nous avait promis l’autorisation des manifestations et la libération des prisonniers politiques », explique l’historien, qui se dit menacé et vit depuis plusieurs mois dans la clandestinité. « Force est de constater que le régime n’a pas tenu parole. La Ceni répond au doigt et à l’œil aux injonctions de l’exécutif et n’est indépendante que de nom. Même chose pour la Cour constitutionnelle [chargée de trancher les éventuels contentieux électoraux], qui est tout acquise à la cause du régime. »

L’insondable maître des horloges

Chat échaudé craignant l’eau froide, après déjà deux « glissements » du calendrier électoral, en 2016 et 2017, l’opposition et la société civile ne font plus confiance aux autorités quant à leur capacité à organiser des élections crédibles et inclusives en temps et en heure. Résultat : un climat politique particulièrement tendu, aggravé par la répression aveugle des manifestations pacifiques organisées en décembre 2017 et début 2018 par le CLC, qui ont coûté la vie à 14 personnes. « Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour que ce soit le chaos à la fin de l’année », déplore le sénateur d’opposition Florentin Mokonda Bonza, leader de la Convention des démocrates chrétiens (CDC).

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Avec le silence entretenu par la Majorité présidentielle (MP) sur le nom de son candidat à la magistrature suprême, l’équation politique congolaise avait pris ces dernières semaines des airs de quadrature du cercle. Kabila ou pas Kabila ? Des craintes et des incertitudes savamment orchestrées par le chef de l’État qui, malgré son impopularité, demeure l’inusable maître des horloges.

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L’ambiguïté aura finalement été levée, trois heures seulement avant la clôture du délai de dépôt des candidatures, le 8 août. C’est finalement Emmanuel Ramazani Shadary, le secrétaire permanent du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le parti présidentiel, qui portera les couleurs du Front commun pour le Congo (FCC), la plateforme électorale de la majorité. « Pour des raisons stratégiques évidentes, nous n’avons dévoilé notre candidat qu’au moment opportun », explique André-Alain Atundu, porte-parole de la MP.

Un accueil triomphal

Jean-Pierre Bemba, le 2 août, à Kinshasa, à la sortie des bureaux de la Ceni, où il vient d’enregistrer sa candidature à la présidentielle. © JUNIOR D. KANNAH/AFP

Jean-Pierre Bemba, le 2 août, à Kinshasa, à la sortie des bureaux de la Ceni, où il vient d’enregistrer sa candidature à la présidentielle. © JUNIOR D. KANNAH/AFP

Ces dernières semaines auront été marquées par le retour du sénateur Jean-Pierre Bemba, après son acquittement en appel devant la Cour pénale internationale (CPI), qui l’avait pourtant condamné à dix-huit ans de prison pour crimes contre l’humanité. Le 1er août, l’ancien vice-président s’est vu réserver un accueil triomphal à Kinshasa, où, comme dans l’Ouest du pays, sa popularité ne semble pas émoussée malgré dix longues années passées à la prison de La Haye. Le lendemain, il déposait sa candidature à la présidentielle auprès de la Ceni.

Le dernier sondage du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), publié le 31 juillet, créditait le chef du Mouvement de libération du Congo (MLC) de 17 % des intentions de vote, devancé de 2 petits points par Félix Tshisekedi, le leader de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), qui a déposé sa candidature le 7 août, et par Moïse Katumbi, le leader d’Ensemble, qui, lui, n’a en revanche pas pu se présenter en temps et en heure à la Ceni.

Exilé depuis plus de deux ans en Europe, l’ex-gouverneur du Katanga a tenté à plusieurs reprises de rentrer dans son pays. En vain. Il n’a pas pu atterrir à Lubumbashi et le poste-frontière de Kasumbalesa, entre la RD Congo et la Zambie, lui est resté désespérément clos. Résultat : Moïse Katumbi est pour l’instant exclu de la compétition. « L’exécutif ne veut pas d’une élection inclusive, s’indigne Delly Sesanga, secrétaire général d’Ensemble. Les autorités savaient qu’avant de pouvoir faire acte de candidature Moïse Katumbi devait s’inscrire au préalable sur les listes électorales. C’est pourquoi ils l’ont bloqué à la frontière. »

À la clôture du dépôt des candidatures, le 8 août, ils étaient 23 à briguer la magistrature suprême, parmi lesquels Vital Kamerhe, le président de l’Union pour la nation congolaise (UNC), qui était arrivé en troisième position à l’issue de la présidentielle de 2011, avec plus de 7,74 % des suffrages exprimés, ou encore deux anciens Premiers ministres, Samy Badibanga et Adolphe Muzito, lequel s’est désolidarisé du Parti lumumbiste unifié (Palu) et se présente sous la bannière de la plateforme Nouvel élan.

Nombre d’inconnues peuvent encore venir bouleverser le jeu électoral. La seule quasi-certitude est que le scrutin à un seul tour donne l’avantage à l’union. Un atout de poids, donc, pour le dauphin-candidat du FCC. À moins que l’opposition ne parvienne à s’unir derrière un seul et unique champion. Reste à savoir si les ténors de l’opposition, qui se disent tous favorables à cette option, seront capables de se mettre d’accord.

Étrange mécanique

Corneille Nangaa n’en démord pas. « Sans la machine à voter, il y aura des élections, mais pas en temps et en heure ! » tranche le patron de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). À ses yeux, ladite machine – commandée en 106 000 exemplaires – ne présente que des avantages. Elle va permettre de réduire le coût du scrutin, de diminuer la fraude et d’accélérer l’annonce des résultats.

L’opposition, elle, continue de tirer à boulets rouges contre cette mécanique commercialisée par le sud-coréen Miru Systems, qu’elle qualifie de « machine à tricher ». Sans parler des critiques de certaines ONG, notamment en Argentine, où les autorités avaient tenté, il y a deux ans, d’introduire un système similaire.

35 000 machines livrées

« La technologie la plus éprouvée et efficace [reste] le bulletin de vote unique en papier », estiment les ONG Fundación Vía Libre et Poder Ciudadano dans une missive adressée en juin à la société civile congolaise. Ce qui ne semble guère émouvoir la Ceni, qui a annoncé, le 6 août, que 35 000 machines avaient déjà été livrées.

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