Gafam – Fiscalité : comment les faire payer ?
Les géants du numérique et du high-tech gagnent des sommes fabuleuses mais s’arrangent pour n’en déclarer qu’une infime partie. En Europe comme en Afrique, on réfléchit au moyen de les imposer plus équitablement.
Gafam : l’Afrique face au cybercolonialisme des géants du Web
Protection des données personnelles, souveraineté numérique, fiscalité, lutte contre les fake news… Quelles stratégies le continent doit-il mettre en place pour encadrer l’offensive des Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, etc. ?
Le président ougandais Yoweri Musevini a annoncé, le 4 juillet, sur sa page Facebook, son intention de taxer les messageries en ligne : Messenger, WhatsApp, Twitter et autres Skype. Si on lui reproche de vouloir avant tout mieux contrôler ces espaces d’expression, il n’est pas le seul chef d’État africain à réfléchir au moyen d’imposer les géants d’Internet conformément à leurs revenus.
Réflexion balbutiante, certes, mais largement nourrie par celle, plus avancée, des Européens, qui entendent taxer entre 2 % et 5 % les bénéfices dégagés par les Gafam et quelques autres (Airbnb, Netflix, Uber et consorts), qui, en délocalisant leurs sièges sociaux dans des pays où la fiscalité est (très) avantageuse, réussissent à échapper à la règle de la territorialité de la transaction.
Cette optimisation fiscale a, par exemple, permis à Facebook de ne payer en 2017 au fisc français que 1,9 million d’euros, pour un chiffre d’affaires déclaré de 55,9 millions d’euros. Or celui-ci serait en réalité proche de 800 millions d’euros. Ce qui signifie que Facebook aurait dû payer environ 120 millions d’euros d’impôt.
La publicité est de loin notre principale source de revenus en Afrique du Sud
En Afrique, il est difficile d’évaluer avec précision les revenus de ces sociétés, qui sont sans doute sensiblement inférieurs à ceux obtenus en Europe. Sur le continent, comme partout ailleurs, Google, Facebook et les autres veillent à la rentabilité de leurs activités. L’an dernier, Luke Mckend, le responsable de la filiale sud-africaine de Google, rappelait ainsi à Jeune Afrique, l’importance de la publicité dans la stratégie du groupe sur le continent. « C’est de loin notre principale source de revenus en Afrique du Sud », ajoutait-il.
Dans ce dernier pays, où l’on recense par ailleurs plus de 18,5 millions d’utilisateurs de Facebook, le chiffre d’affaires du numérique devrait, en 2021, avoisiner 77 milliards de rands (près de 5 milliards d’euros). Les autorités ont donc décidé de créer, dès le mois d’octobre prochain, une taxe sur les biens et services achetés en ligne, censée rapporter 4,4 milliards de rands par an. Une première étape avant l’élargissement du champ de l’impôt classique aux bénéfices des sociétés ?
Comme leurs consœurs européennes, les entreprises sud-africaines sont inquiètes : elles sont certes favorables à une plus grande justice fiscale, mais elles craignent aussi d’être doublement pénalisées, puisque, domiciliées en Afrique du Sud, elles paient déjà la TVA et un impôt sur leurs bénéfices.
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Ce pays reste une exception sur le continent. « Les plus avancés en ce domaine, hormis l’Afrique du Sud, sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Nigeria, le Ghana et le Maroc, explique Noël-Faustin Kouamé, du cabinet Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés, à Abidjan. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’État essaie de comprendre le business model des entreprises du numérique afin d’évaluer leurs revenus réels. »
Dans un rapport intérimaire rendu public en mai (« Les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie »), l’OCDE préconise déjà d’instaurer notamment une « taxe d’accise sur certaines ventes de services en ligne destinés au marché local ». Le montant en serait « indexé sur celui brut versé ». C’est peu ou prou la stratégie adoptée par l’Afrique du Sud.
« En Côte d’Ivoire aussi on discute du rapport de l’OCDE, révèle notre fiscaliste. Et nous sommes également très attentifs à ce qui se fait en Europe. » Au Maroc, « aucune action ne sera entreprise avant la décision finale de l’OCDE et de l’Union européenne », indique pour sa part Youssef Guerraoui Filali, président du Centre marocain pour la gouvernance et le management.
« Tax act », la solution sud-coréenne
Le problème est évidemment que « l’Afrique ne dispose pas de moyens comparables à ceux des pays de l’OCDE, poursuit Kouamé, notamment en matière de traçabilité. Nous avons déjà du mal à connaître le volume réel des échanges dans la téléphonie, alors pour internet »
La Corée du Sud pense avoir trouvé la solution pour « redomicilier » les revenus des géants du Net : l’instauration d’un tax act qui assimile la simple installation d’un serveur sur son territoire à un point d’entrée commercial. Les autorités pourraient ainsi s’octroyer un droit de regard sur toutes les données transitant par ce serveur. « Le concept de lieu d’affaires fixe doit être élargi pour permettre au gouvernement d’imposer ces entreprises », expliquait récemment Ahn Jeong-sang, le conseiller politique du Parti démocrate de Corée du Sud.
En Afrique, les quelques pays qui accueillent des serveurs pourraient s’inspirer de cette mesure, mais ils sont peu nombreux. « Quoi qu’il en soit, une solution sera trouvée, ce n’est qu’une question de temps », estime Kouamé.
Course contre la montre au Maroc
Guerraoui Filali confirme l’existence de cette course contre la montre au Maroc, où Google et Facebook capteraient 60 % des revenus publicitaires en ligne : « La mutation numérique de la société marocaine favorise le développement rapide des Gafam, explique-t-il. Le royaume compte plus de 10 millions d’abonnés au réseau bleu Facebook. Fin 2017, son marché publicitaire digital dépassait 550 millions de dirhams (50 millions d’euros). D’où la nécessité d’accélérer la taxation des entreprises concernées. Une commission a été conjointement créée en début d’année par l’Office des changes et la direction générale des impôts pour réfléchir au problème. »
Comme tout le monde en Afrique, les Marocains prennent néanmoins bien soin de ne pas faire fuir les géants du Net, moteurs de la transformation digitale et investisseurs de tout premier plan (laboratoires de recherche, infrastructures, etc.). En Ouganda, l’annonce de Musevini a immédiatement provoqué une virulente réaction de Facebook par la voix de Kojo Boakye, son responsable des affaires publiques en Afrique, qui a carrément menacé de mettre un terme à tous ses investissements en Ouganda, y compris à son projet d’extension de la fibre optique sur 770 km, dans l’hypothèse où cette taxe serait maintenue.
Pourquoi le Maroc veut taxer Airbnb
Il n’y a pas que les Gafam ! À partir de 2019, les autorités marocaines instaureront une taxe sur les sites de réservation de logements de vacances et de chambres d’hôtels. Dans leur viseur (notamment), Airbnb, bien sûr, mais aussi Booking.com. Aujourd’hui, un vide juridique interdit de prélever un impôt sur les activités de ces géants du numérique. Les autorités entendent donc explorer une nouvelle piste : taxer les locations de vacances proposées sur ces plateformes.
De quelle manière ? Rien n’est encore très précis. On sait néanmoins que les fonctionnaires de l’administration fiscale, les inspecteurs des hôtels et les informateurs du ministère de l’Intérieur devront travailler ensemble pour faire appliquer cette nouvelle mesure. C’est ce qu’a déclaré à Bloomberg, en avril, Mehdi Taleb, le directeur central chargé de la réglementation, de la qualité et du développement au ministère du Tourisme.
L’industrie touristique traditionnelle en danger
En forte progression au Maroc, les réservations de logements de vacances via le site Airbnb causent beaucoup de tort à l’industrie touristique traditionnelle (hôtellerie et agences de voyages, entre autres). Selon les chiffres officiels, 60 % des 10 millions de visiteurs que le pays accueille annuellement organisent leurs voyages par le biais des plateformes de réservation. Et quelque vingt mille foyers mettent leur(s) maison(s) en location sur le site américain. Pour l’État et les acteurs locaux, le manque à gagner est important. Il s’agit donc à présent de rééquilibrer la balance.
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