Gafam – Irene Yuan Sun : « Le tout-numérique ne sauvera pas le continent »

Le passage d’une économie agricole à une économie numérique et de services, sans passer par l’étape de l’industrialisation, est impossible, selon Irene Yuan Sun, auteure de « The Next Factory of the World. How Chinese Investment is Reshaping Africa ». Interview.

Irene Yuan Sun. © DR.

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Publié le 16 août 2018 Lecture : 2 minutes.

 © Laurent Parienty pour JA
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Les pays africains peuvent-ils passer d’une économie agricole à une économie numérique et de services en sautant la case industrialisation ? Les spécialistes appellent ça le leapfrog. Les géants américains d’internet en sont largement à l’origine, mais l’idée est de plus en plus partagée sur le continent. Pourtant, la Chinoise Irene Sun, auteure de The Next Factory of the World. How Chinese Investment is Reshaping Africa (Harvard Business Review Press, 2017), n’y croit pas une seconde. Pour elle, aucun doute : si internet et les technologies peuvent contribuer au développement du continent, l’industrialisation reste une étape indispensable.

Jeune Afrique : Pourquoi ne croyez-vous pas au leapfrog ?

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Irene Yuan Sun : Parce que l’histoire économique montre qu’il ne marche pas. Et pour deux raisons essentielles. La première est qu’aucun pays développé n’est parvenu à sortir de la pauvreté en brûlant l’étape de l’industrialisation, sauf ceux qui, comme le Qatar, se sont brusquement découvert d’énormes réserves de matières premières de haute valeur. La seconde est que l’industrialisation est le seul moyen connu d’accroître rapidement la productivité.

C’est-à-dire ?

Prenons l’exemple de la Chine. Autrefois, dans les fermes, les gens travaillaient très dur, avec une rentabilité très faible. Puis, ils ont commencé à travailler en usine, et là, très vite, leur productivité s’est envolée. Il y a dans l’industrie une dimension magique : elle peut permettre de devenir très vite compétitif et de concurrencer les plus grands pays. Et ça change tout ! Les gens qui travaillent dans l’industrie peuvent envoyer leurs enfants à l’école et à l’université. Bien formés, ces derniers pourront ultérieurement travailler dans les services ou les technologies.

Pensez-vous que les pays qui investissent massivement dans les technologies, tel l’internet haut débit, se trompent de priorité et feraient mieux d’améliorer leurs infrastructures de base ? Non, il faut faire les deux, ce n’est pas contradictoire. Je ne dis pas que les technologies n’ont pas de rôle à jouer dans le développement de l’Afrique, au contraire. Il faut à la fois construire des réseaux internet haut débit et encourager l’industrialisation grâce à des investissements privés. Et aussi se garder du travers dans lequel sont tombées les autorités chinoises il y a quelques années. À savoir : surinvestir dans les infrastructures, construire des autoroutes qui ne mènent nulle part, ce genre de choses…

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Nombre de pays africains sont courtisés par des compagnies, souvent américaines ou chinoises, liées à internet et aux nouvelles technologies. Ont-ils des raisons objectives de choisir les unes plutôt que les autres ?

Difficile à dire. Ce que je constate, c’est que les sociétés technologiques chinoises réussissent souvent très bien en Afrique. J’ai rencontré le patron d’un opérateur de télécoms nigérian. Il y a dix ans, toutes ses infrastructures de réseau étaient fournies par Ericsson et Nokia. Aujourd’hui, son fournisseur exclusif est Huawei. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a expliqué que, s’il a un problème sur son réseau le vendredi soir, son fournisseur européen n’enverra un technicien que le lundi matin, au mieux. Alors que, chez Huawei, un technicien n’hésitera pas à affronter les embouteillages de Lagos pour être au travail le soir même. C’est surtout pour cette exceptionnelle qualité de service qu’il a changé de fournisseur.

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