Tendance : le succès de l’épicerie fine africaine
De nouvelles marques africaines gourmandes font irruption sur le marché français. La recette ? De bons produits, un packaging soigné et la volonté de s’éloigner des clichés exotiques.
C’est un petit sticker très discret. Apposé sur un pot au packaging soigné qui ne dépareillerait pas sur les étals des épiceries orientales ou italiennes, il est le seul élément qui vient trahir l’origine du produit : « Apéro Afro ». Ce pot de crème safou représente une tendance en plein développement : l’épicerie fine africaine.
Derrière cette conserve haut de gamme (près de 10 eur5os les 110 g), il y a Joe & Avrels. Lancée il y a deux ans, cette toute jeune entreprise francilienne dirigée par trois femmes a connu un succès fulgurant en réinventant le safou – une prune violette qui pousse en Afrique centrale, traditionnellement consommée bouillie ou grillée.
« Je voulais travailler les produits africains de manière raffinée. Mon objectif était de montrer qu’on peut manger africain sans que ce soit ni trop lourd, ni trop gras, ni trop fort. Faire une cuisine subtile sans en perdre l’identité », explique Nathalie Schermann, cofondatrice de la marque et qui élabore les recettes.
Un produit qui plaît « aux bobos parisiens et aux gens aisés de la diaspora »
Résultat : un produit surprenant – une sorte de tapenade verte un peu sucrée – médaillé d’or au concours des Épicures de l’épicerie fine en 2016 et qui plaît « essentiellement aux bobos parisiens et aux gens aisés de la diaspora », selon l’ancienne candidate, originaire du Congo, de l’émission Masterchef.
Haut de gamme
En 2017, première année complète d’exploitation de la marque, le chiffre d’affaires a atteint environ 100 000 euros, correspondant à la vente de 20 000 à 25 000 pots, toujours préparés artisanalement. Beau parcours pour ces accompagnements qu’elle servait à l’origine dans son restaurant. Crème de safou donc, mais aussi de saka-saka (un plat typique congolais) ou de niébé (un haricot sec).
Que des produits inconnus en Europe… et que les clients s’arrachaient. Devant le succès de ces sauces, sa fille l’a convaincue de fermer le restaurant pour se lancer dans la grande aventure de l’entrepreneuriat : Stéphanie Schermann avait fait le constat que « les produits des épiceries exotiques sont trop “cliché”, ils ne sont pas forcément de la meilleure des qualités et, en tout cas, pas adaptés à une clientèle métissée et moderne.
On a pensé qu’il y avait de la place pour quelque chose de plus haut de gamme », explique la jeune femme de 23 ans, qui dirige l’entreprise.
À Château-Rouge, le quartier de la diaspora africaine à Paris, les épiceries exotiques dont parle Stéphanie Schermann sont à chaque coin de rue. On vient y acheter de la farine de foufou, des bouillons en cube Jumbo, des pots de lait en poudre Nido de 2,5 kg. Les produits sont bon marché, disposés sans recherche.
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Dans ces échoppes où l’on trouve de tout, aucune trace de la Crème safou. Même les vendeuses à la sauvette qui proposent des safous entiers n’ont aucune idée de ce que pourrait bien être cette crème. « Une crème pour la peau ? » s’aventure l’une d’elles. Si personne ne la connaît à Château-Rouge, la marque a été tôt repérée par HEC, qui l’a accueillie au sein de son incubateur en 2016, puis par la Station F, de Xavier Niel. Depuis, Joe & Avrels est distribuée dans une quinzaine de boutiques à Paris et aura bientôt son corner store aux Galeries Lafayette.
Le continent a le vent en poupe
Joe & Avrels n’est pas la seule société à s’être lancée dans l’épicerie fine. Elle est la locomotive d’une tendance en pleine expansion. « La moitié des marques que l’on trouve dans notre épicerie n’existaient pas il y a deux ou trois ans », confirme Fousseyni Djikine, un ancien consultant qui a fondé avec son frère le restaurant-épicerie fine BMK – pour Bamako – dans le Xe arrondissement de Paris.
Le lieu voisine avec les salons de coiffure afro et de vieux hôtels fraîchement restaurés. Fousseyni Djikine y met en avant les produits haut de gamme lancés par des jeunes issus de la diaspora. Sur les étagères de son établissement, on trouve la fameuse Crème safou et la plupart des références Joe & Avrels, des jus d’hibiscus bio de la marque Panamako, mais aussi du poivre de Penja et du miel d’Oku, deux des très rares produits africains bénéficiant de l’indication géographique protégée (IGP), mise en place par la réglementation européenne.
Pour Fousseyni, le continent a le vent en poupe, et la montée en puissance des nouvelles marques dépasse le cadre de la gastronomie : « Que ce soit les produits bruts, les tissus, la mode, je vois éclore plein de jeunes entreprises qui veulent montrer une bonne image de l’Afrique. » Ces noms qui montent, Sandrine Kissima les connaît tous.
L’expansion du secteur ne fait probablement que commencer
Elle les met à l’honneur depuis plusieurs mois dans ses « Voyages culinaires », des rendez-vous gastronomiques qui mêlent dégustations, conférences et concerts. Si elle s’enthousiasme pour ces créateurs, la spécialiste regrette néanmoins qu’ils « se focalisent surtout sur les boissons, parce que c’est plus simple. C’est peut-être pour ça que Joe & Avrels tire son épingle du jeu, pour l’instant ».
La preuve : sur les sites d’épicerie fine, les autres marques africaines se font encore rares. L’expansion du secteur ne fait probablement que commencer.
Moriba, le précurseur
Avant Joe & Avrels, Panamako ou Les Secrets de Yori, les nouvelles marques de l’épicerie fine de la diaspora, il y avait Moriba. Cette entreprise lancée en Alsace en 1996 a été la première en France à se lancer dans l’aventure des produits haut de gamme. D’abord avec les jus : bissap, gingembre, tamarin, dont le succès initial permet à l’entreprise de se développer, jusqu’à proposer aujourd’hui plus de 50 références, des confitures aux plats cuisinés.
C’est le moment de l’Afrique ! J’encourage cette nouvelle génération de la diaspora à s’approprier les bons produits africains », indique Moriba Ouendeno
« En France, les Africains avaient peu de choix s’ils voulaient cuisiner les recettes du pays, ils devaient aller se fournir dans les magasins chinois. La création de Moriba est venue combler ce manque. Et puis je voyais bien que les Européens étaient attirés par la nourriture exotique quand elle était de bonne qualité », témoigne Moriba Ouendeno, fondateur de la marque il y a vingt-deux ans, laquelle est aujourd’hui vendue en France dans des grandes enseignes, comme le Bon Marché, Monoprix, Biocoop ou Intermarché, et à l’étranger en Angleterre, en Allemagne, en Belgique et dans cinq pays africains (Sénégal, Mali, Côte d’Ivoire, Bénin et depuis peu Nigeria).
Avec 5 salariés, et près de 1 million d’euros de chiffre d’affaires, Moriba Ouendeno exhorte aujourd’hui les jeunes à se lancer à leur tour : « C’est le moment de l’Afrique ! J’encourage cette nouvelle génération de la diaspora à s’approprier les bons produits africains. L’important est surtout de travailler la qualité, la quantité viendra après. »
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