Côte d’Ivoire : nouvelle donne électorale

La libération de Simone Gbagbo et le divorce entre le RDR et le PDCI ont rebattu les cartes. Revoici les grands partis et leurs leaders face à face, tous décidés à l’emporter mais incapables de le faire seuls… La présidentielle de 2020 en Côte d’Ivoire s’annonce plus incertaine que jamais.

Le 8 août, Henri Konan Bédié a rendu visite à Alassane Ouattara dans sa résidence du quartier de la Riviera. © Presidence CI

Le 8 août, Henri Konan Bédié a rendu visite à Alassane Ouattara dans sa résidence du quartier de la Riviera. © Presidence CI

SYLVESTRE-TREINER Anna DSC_9446 copie

Publié le 29 août 2018 Lecture : 8 minutes.

Guillaume Soro et Alassane Ouattara. © Patrick ROBERT/Corbis via Getty Images
Issu du dossier

Présidentielle en Côte d’Ivoire : faites vos jeux !

La libération de Simone Gbagbo et le divorce entre le RDR et le PDCI ont rebattu les cartes. Revoici les grands partis et leurs leaders face à face, tous décidés à l’emporter mais incapables de le faire seuls… La présidentielle de 2020 s’annonce plus incertaine que jamais.

Sommaire

Il a tenté le charme et la menace, essayé la flagornerie puis le mépris. Jusqu’au bout, Alassane Ouattara a tenté de retenir Henri Konan Bédié, mais la rupture était devenue inéluctable tant les ambitions étaient inconciliables. Ce 8 août, dans l’intimité de la résidence du président ivoirien, il ne leur a fallu que quinze petites minutes pour acter leur divorce, après treize années d’un mariage de raison – il n’y a jamais eu d’amour entre ces deux hommes.

La rencontre fut glaciale, mais on ne peut se quitter sans se dire au revoir, lorsque l’on se connaît si bien. Les deux hommes ont été alliés puis rivaux, puis alliés… Les revoilà donc adversaires.

la suite après cette publicité

Coup de maître ou coup de bluff ? Se sachant sur le point d’être quitté, le président ivoirien avait commencé à rebattre les cartes deux jours plus tôt. À la veille de la fête nationale, Alassane Ouattara a annoncé une amnistie de 800 prisonniers, dont celle de l’ancienne première dame, Simone Gbagbo.

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : et Simone Gbagbo ralluma la flamme

Une libération décidée dès le début de l’année, mais qui a alors trouvé son opportunité. En une signature, il a remis en selle le parti de son ennemi historique. Laurent Gbagbo reste incarcéré à la Cour pénale internationale (CPI), mais sa Dame de fer, qui a toujours conçu, porté et incarné à ses côtés leurs projets communs, est de taille pour poursuivre leur combat.

Ultime bataille ?

Ouattara–Bédié–Gbagbo : le vieux triptyque qui se dispute le pouvoir depuis près de trente ans est ressuscité, et avec lui le traditionnel tripartisme à l’ivoirienne. Le RDR (Rassemblement des républicains), le PDCI (Parti démocratique de Côte d’Ivoire) et le FPI (Front populaire ivoirien) vont à nouveau s’affronter dans un jeu politique aussi ouvert qu’incertain.

la suite après cette publicité

Alors que chacun de ces trois éléphants est tiraillé et divisé, personne ne se risque aujourd’hui à prédire qui pourrait l’emporter dans deux ans, lors de la prochaine présidentielle. L’année 2020 sera-t-elle l’ultime bataille des vétérans de la politique ivoirienne ?

Il n’y a qu’une chose sur laquelle tous s’accordent désormais : les dés ont été relancés. « Il y a un coup à jouer, estime un des vieux acteurs du jeu politique. Mais bien malin celui qui sait lequel permettra de l’emporter. » État des lieux des forces et faiblesses de ces mastodontes.

« Le RDR ne s’est unifié qu’avec lui-même ! » se moquent les ennemis du parti

la suite après cette publicité

Au sein du parti au pouvoir, on refuse de se dire affaibli. Isolé ? Encore moins. Tout juste reconnaît-on qu’un épais brouillard s’est abattu sur l’avenir du parti. On avance à tâtons. Désormais privé de l’alliance qui lui a assuré la victoire en 2010 et en 2015, le RDR resserre les rangs derrière son chef, Alassane Ouattara, et son projet : le parti unifié.

« Il y a près d’un an, j’avais compris que nous ne parviendrions pas à forcer Bédié à emprunter cette route-là. Mais le président était convaincu que le parti unifié était une bonne chose. Disciplinés, nous l’avons suivi », explique un de ses dirigeants.

Guillaume Soro, l'ancien président de l'Assemblée nationale ivoirienne, au palais présidentiel à Abidjan, en mars 2012. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

Guillaume Soro, l'ancien président de l'Assemblée nationale ivoirienne, au palais présidentiel à Abidjan, en mars 2012. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

Sans le PDCI, mais aussi sans Guillaume Soro, ce n’est entouré que de petits partis que le RDR s’est rendu à l’assemblée générale du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le 16 juillet. « Il ne s’est unifié qu’avec lui-même ! » se sont gaussés ses détracteurs. Les apports des autres formations alliées seront mineurs, d’autant que la plupart sont divisées.

Mais outre ses bastions du Nord, le nouveau parti d’Alassane Ouattara pourra tout de même espérer peser dans une partie de l’Ouest, fief de l’UDPCI (Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire) d’Albert Mabri Toikeusse.

Objectif Municipales et Régionales

Plus que jamais, les potentiels transfuges du PDCI font donc l’objet de convoitises. Daniel Kablan Duncan, le vice-président, Jeannot Ahoussou-Kouadio, le président du Sénat, ou encore le ministre Jean-Claude Kouassi…

Plusieurs cadres de l’ancien parti unique continuent à se dire partisans du parti unifié. Sans toutefois rompre avec le PDCI. Ainsi, Patrick Achi, secrétaire général de la présidence et censé être proche du RHDP, s’affichait à Gagnoa, le 18 août, aux côtés des virulents détracteurs de cette nouvelle formation.

« La situation s’est compliquée, mais Alassane Ouattara a encore des cartes dans son jeu », assure un de ses collaborateurs

Pour la direction du RDR, l’heure de la clarification sonnera lors des élections municipales et régionales, prévues le 13 octobre prochain. Les candidats RHDP et PDCI se feront face : les ex-alliés pourront enfin se jauger. Mais « les électeurs ne sont pas dupes : le serpent change de peau, mais il reste serpent. Ils sauront que derrière le RHDP se cache le RDR », estime un cadre du PDCI, se réjouissant d’une supposée désaffection des électeurs face à un parti « fébrile » et « déconnecté ».

Si, dans les rangs du RDR, on concède une certaine usure du pouvoir, ses dirigeants mettent en avant sa machine « bien huilée », ses moyens et son organisation : il a été le premier à choisir tous ses candidats. « La situation s’est compliquée, mais Alassane Ouattara a encore des cartes dans son jeu », assure un de ses collaborateurs.

L’appel de Daoukro

Un tiers des membres du Sénat doit notamment être nommé par le président. « Faire et défaire des carrières, ce n’est pas rien. C’est offrir de l’argent et des honneurs », poursuit-il. Le RDR espère même attirer quelques personnalités étiquetées FPI, telles qu’Alcide Djédjé, avec lequel des discussions sont en cours.

Au lendemain des élections locales et avant la fin de l’année, le RHDP organisera son congrès constitutif. « On saura qui est avec ou contre nous, et on pourra se concentrer sur la présidentielle de 2020 », assure ce même collaborateur. N’excluant pas formellement l’hypothèse d’un troisième mandat, Alassane Ouattara a déclaré qu’il souhaitait que « le pouvoir aille à une nouvelle génération ». Sans toutefois prononcer le nom de celui qui pourrait l’incarner.

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : Henri Konan Bédié, l’ambigu de Daoukro

Ils ne cachent pas leur plaisir, tous ces opposants à l’alliance avec le RDR. Combien sont-ils de cadres du PDCI à avoir serré les dents lors de l’appel de Daoukro, il y a quatre ans ? Henri Konan Bédié avait décidé de ne pas présenter de candidat à la présidentielle de 2015 pour laisser le champ libre à Alassane Ouattara.

Même Maurice Kakou Guikahué, le secrétaire exécutif du parti, avait alors eu du mal à cacher sa colère et quitté le fief de son chef sans assister au déjeuner. Ils viennent d’obtenir leur revanche. Bédié a tenu tête à Alassane Ouattara, leur assurant que leur parti se lancerait dans la course en 2020. « Le RDR ne voulait pas nous soutenir pour la prochaine présidentielle, il ne nous associait plus aux grandes décisions, limogeait nos cadres. Il fallait que les humiliations se terminent », assure un féroce détracteur de cette alliance.

Début de 2017, au séminaire de Bingerville, le PDCI avait fait une sévère autocritique, reconnaissant s’être endormi et coupé du terrain

Suivant une simple ritournelle mathématique, beaucoup estiment qu’après dix ans au pouvoir du FPI, puis dix autres pour le RDR, le tour du PDCI est venu. Ils soulignent la division du premier, l’essoufflement du second. À les entendre, le PDCI est le seul à pouvoir unir les Ivoiriens.

Reste que, à voix basse, beaucoup reconnaissent que le parti n’est pas encore en ordre de bataille. Au début de 2017, au séminaire de Bingerville, le PDCI avait fait une sévère autocritique, reconnaissant s’être endormi et coupé du terrain. Pour gagner une présidentielle, il lui faudra en effet l’emporter bien au-delà de son fief traditionnel du pays baoulé.

Certains ne verraient donc pas d’un mauvais œil un report des élections locales, et arguent qu’avant tout scrutin la réforme de la commission électorale – dirigée par Youssouf Bakayoko, issu de ses rangs – et un redécoupage électoral sont indispensables. Après sept années de cogestion du pouvoir, le parti a tôt fait de revêtir son costume d’opposant.

Mais, déjà privé de plusieurs de ses cadres plus proches du RHDP, le PDCI n’est pas à l’abri d’autres tensions. Assuré de pouvoir participer à la prochaine course à la présidence, il a vu s’affirmer de multiples ambitions. Vieux cadres du parti comme jeunes quinquas sont bien trop nombreux à rêver d’accéder au sommet de l’État. Tous sont désormais suspendus aux prochaines décisions d’Henri Konan Bédié.

Henri Konan Bédié, chez lui, à Daoukro, en 2015. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Henri Konan Bédié, chez lui, à Daoukro, en 2015. © Sylvain Cherkaoui pour JA

Secret, taiseux et joueur, le Sphinx, comme à son habitude, n’a rien laissé filtrer de ses intentions. Ne révélant pas qui pourrait être son dauphin, ni si lui-même pourrait s’imaginer, vingt ans après sa chute, retrouver la présidence.

FPI entre nouveau souffle et fractures 

Orphelin depuis l’arrestation, le 11 avril 2011, de Laurent Gbagbo, le FPI est en train de retrouver « un second souffle » avec la libération de l’épouse de l’ancien président, assure un de ses chefs. Si elle était apparue hagarde et apeurée lors de ses derniers instants de liberté il y a sept ans, c’est une Simone Gbagbo apprêtée et combattante que l’on a pu voir le 8 août dernier sur le pas de son domicile familial de la Riviera.

Simone, ce n’est pas Laurent – toujours incarcéré à la CPI –, mais c’est tout de même la moitié d’un couple qui, uni, a conquis le pouvoir. Si, aujourd’hui, la vice-présidente du parti assure avoir besoin de repos, chacun prédit en interne qu’elle reprendra une place prépondérante au sein du mouvement.

Désormais dotée d’un leader, la frange du FPI conduite par Aboudramane Sangaré retrouve des ambitions. Les élections locales pourraient se révéler trop proches pour lui laisser le temps de s’organiser, même si des candidats pro-Gbagbo indépendants devraient se lancer dans la course. En revanche, ces opposants, qui ont boycotté tous les scrutins depuis 2011, veulent désormais participer à la présidentielle de 2020.

De la mobilisation des militants à l’organisation du parti et à son financement – qui sera favorisé par le dégel des comptes de ses leaders –, il leur reste deux ans pour tout reconstruire. Tous savent qu’il faudra notamment faire avec les divisions internes.

>>> À LIRE – Pascal Affi N’Guessan : « L’alliance FPI-PDCI, c’est un vieux souhait qui va bientôt se réaliser »

Alors que la réconciliation avec la frange de l’ancien Premier ministre de Gbagbo, Pascal Affi N’Guessan, reste pour l’heure inenvisageable, l’amnistie de Simone Gbagbo pourrait créer de nouvelles tensions. « Il faut s’attendre à des frictions entre clans, et notamment entre ceux de Nady Bamba – la seconde épouse de Laurent – et de Simone », estime un observateur.

« Nous avons énormément de travail devant nous, reconnaît l’un des dirigeants du FPI de Sangaré. Mais, de bannis du jeu politique, nous sommes devenus du jour au lendemain des gens fréquentables, et même courtisés. C’est un sacré progrès », sourit-il.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image