Le match de la semaine : Cyril Ramaphosa face à Julius Malema en Afrique du Sud

En remettant sur les rails la réforme agraire et en se faisant le chantre d’un rééquilibrage des inégalités héritées de l’apartheid, Cyril Ramaphosa a coupé l’herbe sous le pied du très remuant Julius Malema.

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Publié le 28 août 2018 Lecture : 3 minutes.

Il aura suffi d’une allocution télévisée à Cyril Ramaphosa pour rappeler à ses adversaires que Nelson Mandela voyait en lui « l’un des hommes politiques les plus doués de sa génération ». De manière inattendue, le président a pris la parole, le soir du 31 juillet, pour annoncer qu’à l’issue de son comité l’ANC, son parti, avait décidé de déposer un amendement en vue d’inscrire dans la Constitution le principe d’une expropriation des terres sans compensation.

Ce faisant, Ramaphosa est passé à l’offensive sur un terrain où personne ne l’attendait. Et certainement pas Julius Malema. Le très remuant leader des Economic Freedom Fighters (EFF, gauche radicale), qui fut l’un des dirigeants de l’ANC jusqu’en 2012, décoche uppercut sur uppercut à Ramaphosa depuis que ce dernier a accédé à la présidence du pays, mi-février. Jusqu’à présent, il s’était posé en héraut d’une réforme agraire visant à corriger les inégalités héritées de l’apartheid.

Le temps de la réconciliation est révolu. L’heure de la justice a sonné

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Sachant combien ce sujet est délicat, le parti au pouvoir s’est empressé de faire adopter au Parlement, le 27 février, une motion des EFF censée ouvrir la voie à des expropriations sans compensation. Si certains y ont vu un appel du pied de Ramaphosa à Malema, le leader des Bérets rouges – symbole des EFF – a rapidement clarifié ses intentions. Cinq jours après l’adoption de la motion, il a annoncé qu’il entrait en lice pour la présidentielle de 2019. « Le temps de la réconciliation est révolu. L’heure de la justice a sonné », a-t-il scandé devant ses militants, fustigeant l’attentisme de l’ANC sur la question agraire.

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Dans une tribune publiée sur le site sud-africain Times le 22 juillet – soit une semaine avant la réunion du comité de l’ANC –, Julius Malema estimait qu’il n’était « pas possible que le Parlement temporise plus longtemps ». « Après toutes ces consultations une chose est claire, a-t-il ajouté. Faire marche arrière et trahir notre peuple sur [ce dossier de] l’expropriation serait risquer [de provoquer] une révolution immédiate. Le jour où notre peuple s’emparera des terres par la force, les EFF se joindront à lui, parce que le pouvoir aura refusé d’accompagner un processus démocratique, pacifique et inclusif. »

Message et court-circuitage

Malema s’est montré d’autant plus agressif que Ramaphosa maniait jusque-là ce sujet avec précaution. Vingt-quatre ans après l’élection de Mandela, le bilan de l’ANC en la matière est pour le moins mitigé : seuls 10 % des terres ont été redistribués (contre les 30 % promis) et 72 % d’entre elles restent aux mains des Blancs, qui ne représentent que 8 % de la population. Élu de justesse (51 %) à la tête de l’ANC en décembre dernier, le président marche sur des œufs au sein de son propre parti, où les partisans de Zuma ne lui facilitent pas la tâche.

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À quelques mois des élections, il a donc estimé qu’il devait taper du poing sur la table. En faisant de l’expropriation sans compensation, au-delà d’une question de justice, un enjeu « pour encourager le redressement économique, favoriser la production agricole et lutter contre l’insécurité alimentaire », l’ancien businessman a posé les jalons de sa future campagne. En plus d’envoyer un message à Julius Malema, Ramaphosa a court-circuité la traditionnelle conférence de presse d’Ace Magashule, le secrétaire général de l’ANC et son adversaire au sein du parti. Un moyen de remettre de l’ordre dans ses troupes et de donner le coup d’envoi de la course à la présidentielle.

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