Liberia : vers la renaissance de l’hôtel Ducor

Il fut le plus beau palace de Monrovia, l’un des derniers bastions des soldats de Samuel Doe, puis un abri pour des dizaines de familles. Aujourd’hui, plusieurs groupes lorgnent le joyau en ruines.

Plusieurs groupes hôteliers souhaitent reprendre l’hôtel Ducor, au Liberia. Ici, la salle à manger en ruines. © Betty Press/PANOS-REA

Plusieurs groupes hôteliers souhaitent reprendre l’hôtel Ducor, au Liberia. Ici, la salle à manger en ruines. © Betty Press/PANOS-REA

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Publié le 7 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.

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Lorsqu’elle pénètre dans l’hôtel Ducor, Victoria Tolbert entend encore l’argenterie qui tinte, le ronronnement des climatiseurs… Même le brouhaha des clients dans le vaste hall semble lui parvenir. Elle qui a passé une enfance dorée à Monrovia n’a rien oublié des cris des bambins avec lesquels elle aimait jouer dans la grande piscine surplombant l’océan.

Les souvenirs sont intacts, mais il ne reste qu’eux à l’hôtel Ducor. Voilà trente ans que la fierté de Monrovia n’accueille plus aucun client. Il ne subsiste qu’un gardien, qui, moyennant un dollar glissé dans le creux de la main, laisse entrer le visiteur sans trop se faire prier. Pour visiter l’hôtel, il n’y a plus de porte à pousser. À l’intérieur, pas une seule fenêtre à ouvrir, pas un lit, pas une table, pas une chaise. La moisissure s’est emparée de la piscine, et la végétation a conquis le béton. Seuls ses huit étages continuent de surplomber la capitale libérienne. Vestiges d’un ancien monde, dignes d’un décor de cinéma.

Le Ducor était l’un des plus beaux hôtels du continent, sans doute le plus grandiose d’Afrique de l’Ouest

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Il faut emprunter le grand escalier en colimaçon, éviter les trous béants dans les marches et gravir un à un les étages. Explorer là ce qui était la cage d’ascenseur dorée, glisser ici un œil dans ce qui était autrefois une chambre, remarquer les restes d’une luxueuse céramique, traquer les vestiges de la splendeur passée. Il faut monter jusqu’à la terrasse dont le garde-corps s’est depuis longtemps effondré, lutter contre le vertige et, depuis le plus haut point de la ville, admirer Monrovia. De là-haut, on peut voir Mansion House, qui abrite la présidence, le Sénat, l’ambassade américaine et le grand temple maçonnique. Ça ne trompe pas : les lieux de pouvoir sont à deux pas.

Des enfants jouant dans le couloir de l’hôtel abandonné Ducor, où ils s’abritaient en 2007. © GEORGE OSODI/AP/SIPA

Des enfants jouant dans le couloir de l’hôtel abandonné Ducor, où ils s’abritaient en 2007. © GEORGE OSODI/AP/SIPA

Cinq étoiles

Construit en 1959 sous la présidence de William Tubman, le Ducor était l’un des plus beaux hôtels du continent, sans doute le plus grandiose d’Afrique de l’Ouest. Mélange de luxe et de raffinement, il accueillait à l’époque de puissants personnages. La légende raconte que l’Ougandais Idi Amin Dada a nagé armé dans la piscine. Félix Houphouët-Boigny, le président ivoirien, y a passé une nuit en 1960 et en est ressorti tellement émerveillé qu’il voulut le même hôtel – en mieux – pour Abidjan. Dès l’année suivante, Moshe Mayer, l’architecte du Ducor d’origine israélienne et proche de Tubman, commença les travaux de l’hôtel Ivoire sur les bords de la lagune Ébrié. Y trône désormais une grande tour géométrique, semblable à celle de l’hôtel libérien.

La piscine de l'hôtel Ducor au Liberia. © Wikimedia Commons/Mark Fischer

La piscine de l'hôtel Ducor au Liberia. © Wikimedia Commons/Mark Fischer

C’est un miroir du Liberia. La bâtisse est si solide que même le temps n’est pas parvenu à la détruire

Palace administré par le groupe InterContinental, l’un des rares à avoir décroché à l’époque une cinquième étoile, le Ducor était aussi le lieu de rendez-vous des expatriés et de la haute société libérienne. On y venait le samedi et le dimanche midi pour bruncher. Reflet de la ségrégation qui prévalait dans le pays, les clients étaient alors presque tous des Congos, ces Libériens d’origine africaine-américaine qui détenaient tous les leviers du pouvoir, tandis que les employés étaient, eux, des natives.

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« Chaque fois que je reviens à Monrovia, je vais voir le Ducor et prendre quelques photos », raconte Victoria Tolbert. La jeune femme est la petite-fille de l’ancien président William Richard Tolbert. « C’est un miroir du Liberia. La bâtisse est si solide que même le temps n’est pas parvenu à la détruire. Les hommes, en revanche, lui ont enlevé sa splendeur. C’est un lieu au goût doux-amer pour moi. »

La chute du Ducor a débuté avec celle de son grand-père, en 1980. Arrivé au pouvoir neuf ans plus tôt, le président Tolbert est assassiné cette année-là dans Mansion House par un groupe de soldats. Leur chef, le sergent Samuel Doe, prend la tête du pays. C’est la première fois qu’un native dirige le Liberia, mais le coup d’État inaugure aussi plus de deux décennies d’instabilité et de violences.

L'hôtel Ducor, à Monrovia au Liberia. © Flickr/CC/Mark Fischer

L'hôtel Ducor, à Monrovia au Liberia. © Flickr/CC/Mark Fischer

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Point culminant

Les investisseurs et les touristes fuient, les Congos s’exilent, le Ducor se vide peu à peu, l’entretien laisse à désirer, mais c’est seulement neuf ans plus tard que le palace ferme définitivement ses portes. Les rebelles conduits par Charles Taylor lancent l’offensive pour déloger Doe, la guerre civile commence.

En 1990, il est l’un des derniers bastions des soldats de Doe

Le Ducor, lui, est abandonné et pillé. Les Monroviens s’emparent alors de ce lieu jusque-là réservé à l’élite. Petits commerçants, travailleurs, des familles entières s’installent dans ce qu’il reste du grand hôtel. Ils sont ensuite remplacés par des hommes armés : le Ducor, point culminant de la ville, est stratégique. Depuis sa tour, on voit l’Atlantique et la ville à plusieurs kilomètres à la ronde.

En 1990, alors que les forces gouvernementales sont cernées dans la capitale, il est l’un des derniers bastions des soldats de Doe. De là, ils voient parfaitement leurs ennemis, situés à leurs pieds, juste de l’autre côté du pont. Des impacts de balles sur les murs, et un surnom, Bloody Hill, « la colline sanglante », donné un temps au quartier sur lequel est érigé le Ducor, témoignent de la violence des combats de l’époque.

La renaissance du Ducor deviendrait à coup sûr un symbole de renouveau pour le pays

Ce n’est qu’avec la paix que le Ducor sera évacué. Deux ans après son accession au pouvoir, Ellen Johnson Sirleaf en fait expulser les squatteurs. La nouvelle présidente libérienne convainc Mouammar Kadhafi du potentiel de ce lieu et signe un accord avec le gouvernement libyen : plusieurs dizaines de millions de dollars sont prévues pour redonner vie au grand hôtel libérien. Le projet, sans cesse repoussé, est oublié avec la mort du Guide, en 2011, mais pas les difficultés. Selon plusieurs sources, le terrain et le bâtiment appartiennent aujourd’hui au groupe libyo-tunisien Laico, ce qui complique leur cession à de potentiels investisseurs.

Car l’arrivée au pouvoir de George Weah, en janvier dernier, a relancé tant les appétits que l’envie du gouvernement libérien de voir le Ducor rouvrir. Trois groupes hôteliers, dont deux africains, ont déjà fait savoir qu’ils étaient intéressés. L’un de ces projets arrivera-t-il à son terme ? Après les espoirs suscités par l’élection de l’ancien footballeur, la renaissance du Ducor deviendrait à coup sûr un symbole de renouveau pour le pays.

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