Au Maroc, les villes s’émancipent de l’administration

Casablanca a confié une partie de ses projets à sept sociétés de développement local. Un nouveau mode de gouvernance, également expérimenté à Rabat et à Tanger, qui a les avantages de la souplesse, mais pèche par manque de transparence.

Chantier – mené par Casa Transport – des nouvelles trémies de la route de Rabat, dans la capitale économique. © casa transports

Chantier – mené par Casa Transport – des nouvelles trémies de la route de Rabat, dans la capitale économique. © casa transports

Publié le 4 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Le 25 juillet, les 147 élus de la ville de Casablanca se sont réunis pour une session extraordinaire à laquelle le maire, Abdelaziz El Omari, du PJD, les avait conviés. Au menu du jour : la création de Casa Ressources, la nouvelle société de développement local (SDL). Ni les détails techniques concernant ce nouveau-né ni ses actionnaires ne sont pour le moment connus, mais l’on sait déjà que la municipalité va lui confier le recensement des biens et la gestion de ses ressources financières.

Une structure qui jouit certes de la souplesse du statut de société anonyme de droit privé, mais dont le capital doit être majoritairement détenu par des instances publiques, comme l’impose la loi. Six autres SDL sont actives dans la capitale économique, et une vingtaine à travers le pays, un modèle de gouvernance hybride – entre gestion directe et gestion déléguée – que tous les élus ne portent pas nécessairement dans leur cœur.

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Casa Ressources devra aider la ville à stimuler ses entrées d’argent en allant toquer à la porte des contribuables les moins pressés d’acquitter leur taxe locale. « Grâce à sa flexibilité, cette structure sera certainement d’une meilleure efficacité en matière de recouvrement des impôts, et même pour l’élargissement de l’assiette fiscale », promet Lakhdar Hamdani, élu PJD et président de la commission chargée du budget et des finances au conseil de la ville.

L’inefficacité de l’administration fiscale communale entraîne pour la métropole un déficit dans la collecte d’impôts de plus de 5 milliards de dirhams (environ 455 millions d’euros) par an. « Nous avons recensé des locataires qui n’ont pas payé leur loyer depuis plus de quinze ans. Avec Casa Ressources, ce problème ne se posera plus », ajoute notre interlocuteur. Malgré les arguments avancés par le maire et son équipe, les élus se sont montrés perplexes.

240 millions de dirhams accordés par le conseil de la ville en 2017

Ils estiment que ces entités empiètent sur leurs prérogatives. « Si nous sommes élus, c’est parce que des gens ont confiance dans notre programme. Sauf qu’avec leurs larges compétences les SDL viennent mordre sur notre champ d’action », regrette un conseiller du PJD, qui s’est livré sous le couvert de l’anonymat.

En plus de la dilution des responsabilités, le danger vient de l’absence de contrôle de la part des élus sur les décisions prises par les SDL

Le même débat s’invite à chaque session des conseils municipaux qui ont opté pour ce mode de gestion : Rabat, Marrakech, Tétouan ou encore Nador. « Les schémas de gouvernance adoptés par ces SDL marginalisent le rôle des élus dans la prise de décision. En plus de la dilution des responsabilités, le danger vient de l’absence de contrôle de la part des élus sur les décisions prises par les SDL », regrette Omar El Hayani, élu de la Fédération de gauche démocratique au conseil de la ville de Rabat. Ce qui irrite aussi les conseillers, c’est l’opacité dans laquelle opèrent les SDL. Un flou qui a interpellé la Cour des comptes, dont le rapport est attendu avec beaucoup d’impatience.

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Depuis leur apparition, certaines SDL cumulent quelques déceptions. « Malgré le budget qu’elles obtiennent du conseil de la ville (240 millions de dirhams en 2017 pour Casablanca), elles continuent de se servir dans ses caisses, les utilisant pour payer les cabinets d’études ou compétences externes », s’indigne notre source au sein du PJD.

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À Casablanca, Mohamed Jouahri et la SDL qu’il dirige, Casa Events, sont ceux qui essuient le plus de reproches. Après avoir relancé en 2017 le Festival de Casablanca, la structure a décidé de ne pas poursuivre cette année. Une suspension synonyme de grosses pertes d’argent. Interrogé, son patron a refusé de répondre à nos questions. Il s’est aussi illustré en 2016 en dévoilant le coût du logo de la ville, pour lequel la SDL avait déboursé 3,6 millions de dirhams. Un tollé s’est ensuivi, avant que la structure ne faille à sa tâche dans l’organisation des matchs de football des deux clubs, le Wydad et le Raja, dans la métropole.

De son côté, Casa Aménagement, gérée par Driss Moulay-Rachid, qui détient plus de dix-huit projets structurants, est blâmée depuis la fin des travaux du complexe sportif Mohammed-V. La SDL avait dépensé 220 millions de dirhams pour une opération de rénovation très peu convaincante. « Ce sera l’un des dossiers les plus fouillés par la Cour des comptes, nous n’avons jamais eu les informations attendues », ajoute notre source au sein du PJD. Dans les autres villes, les couacs se répètent et noircissent les pages des journaux locaux. De leur côté, les SDL ne communiquent que très peu à propos de leurs résultats opérationnels et économiques.

Plus de performances en matière de financement

L’existence de ces jeunes entités peut être justifiée par la difficulté des administrations à fournir des prestations et des services de grande qualité. « La création des SDL peut avoir du sens quand il s’agit d’un périmètre bien précis où la commune a besoin de s’allier à un partenaire qui possède une expertise technique ou des moyens financiers dont elle ne dispose pas, dans la gestion d’un service public en particulier », explique Omar El Hayani. Les SDL peuvent revendiquer un certain nombre de succès comme la construction du parc de jeux Sindibad, des trémies (voies de contournement souterraines) à Casablanca ou la gestion de nombreux parkings à Tanger et à Rabat.

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Leur capacité à lever des fonds, à alléger la pression sur le budget des communes et, en cas de besoin, à s’endetter constitue l’un de leurs principaux atouts. Elles sont plus performantes en matière de financement car dans leur tour de table on trouve toujours, au moins, un groupe bancaire. Une prise de participation qui pour les banques n’a certes pas une vocation économique, mais qui leur permet de revendiquer une contribution à des projets d’intérêt général. Autre intérêt majeur : auparavant, certains projets étaient bloqués pendant des mois parce que les conseils des villes n’arrivaient pas à s’entendre pour désigner un prestataire. Avec les SDL, ce temps-là est révolu.

Des retards sanctionnés

À Casablanca, les retards d’exécution de chantiers comme la réhabilitation de l’église Sacré-Cœur et la rénovation de la coupole Zevaco ont irrité le Conseil de la ville et le maire, Abdelaziz El Omari. Il s’agit principalement de ceux qui ont été confiés à Casa Patrimoine et Casa Prestations. Le second a déjà été transféré à Casa Aménagement, jugée plus apte à livrer dans les temps, et d’autres pourraient suivre le même chemin. L’existence de ces deux sociétés de développement local n’est toutefois pas remise en cause d’après nos informations.

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