Mali : jusqu’où ira Soumaïla Cissé ?

Le chef de file de l’opposition refuse de reconnaître la victoire d’IBK à la présidentielle. Pas sûr pourtant qu’il soit en mesure d’inverser le rapport de force.

Le leader de l’URD,
à Bamako, le 18 août. © REUTERS/Luc Gnago

Le leader de l’URD, à Bamako, le 18 août. © REUTERS/Luc Gnago

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 2 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Poing serré, écharpe d’élu vert, jaune et rouge sur le torse, il a encouragé ses partisans à ne pas baisser les bras. « Nous ne voulons pas un pays où le président est élu par la fraude, le bourrage des urnes et la falsification des résultats ! » a tonné Soumaïla Cissé, le 25 août, devant plusieurs milliers de manifestants. Dix jours après l’annonce de l’élection d’Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) pour un second mandat, le leader de l’Union pour la République et la démocratie (URD) continue à rejeter les résultats officiels qui ont donné la victoire au président sortant, avec 67,2 % des voix au deuxième tour.

Je suis déterminé à faire reconnaître ma victoire. Je ne vais pas rester là à m’apitoyer sur mon sort

Pour l’ancien ministre des Finances, l’annonce d’une défaite qu’il se refusait à envisager a été dure à encaisser. D’abord parce qu’il est convaincu que la victoire lui a été volée : il a dénoncé de nombreux cas de fraude après le second tour, comme il l’avait fait après le premier. « Je ne me bats pas pour moi mais pour le Mali, insiste-t-il. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Soit nous instaurons une démocratie saine et vertueuse, soit nous nous enfonçons dans un système fondé sur la fraude et les mensonges. »

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Surtout, à 68 ans, et après trois candidatures infructueuses à la magistrature suprême, il sait qu’il a probablement laissé passer sa dernière chance d’entrer au palais de Koulouba. D’où sa volonté, aussi, de ne pas lâcher prise : « Je suis déterminé à faire reconnaître ma victoire. Je ne vais pas rester là à m’apitoyer sur mon sort. »

Nombreux sont pourtant ceux qui voient déjà en lui un Jean Ping malien. La Cour constitutionnelle a rejeté tous ses recours, et il n’a plus aucun moyen légal pour contester les résultats de la présidentielle. Reste, comme il dit, la « pression populaire, mais toujours dans une logique pacifique et non violente ».

Que peut-il espérer ? Certes, il bénéficie du soutien du chérif de Nioro, chef religieux influent et respecté au Mali. Le 25 août, il est aussi parvenu à rassembler davantage qu’une semaine plus tôt (seul un millier de ses partisans s’étaient alors réunis à Bamako). Pour autant, des doutes persistent quant à sa capacité de mobilisation. Les manifestations de ces derniers jours ont été bien moins denses que celles organisées avant le scrutin – mi-2017, plusieurs dizaines de milliers de personnes avaient envahi les rues de la capitale pour contraindre IBK à enterrer son projet de révision constitutionnelle.

Sens des responsabilités

Le taux de participation historiquement bas du second tour a également montré que les Maliens s’étaient désintéressés de cette élection. « Ils savent très bien qu’IBK a fraudé. Mais beaucoup préfèrent ça à une crise postélectorale qui enfoncerait encore un peu plus le Mali », croit savoir un diplomate étranger basé à Bamako.

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Dans ce combat qu’il entend mener, Cissé ne bénéficie pour l’instant pas de l’appui franc des autres opposants. Ni Aliou Boubacar Diallo ni Cheick Modibo Diarra, arrivés respectivement en troisième et quatrième position du premier tour, n’ont appelé à voter pour lui. Aucun des deux ne le soutient dans sa contestation. « Il y a eu des fraudes massives à nos dépens au premier tour. Tout ce qui s’est passé après, sur la base de résultats que nous ne reconnaissons pas, ne nous concerne pas », tranche Aliou Boubacar Diallo.

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« Oui, il y a eu des fraudes et des irrégularités. Mais cela a-t-il pour autant inversé le sens du vote ? s’interroge Moussa Mara, ex-Premier ministre et allié de Cheick Modibo Diarra. L’attitude de Soumaïla Cissé n’est pas constructive. Elle est même de nature à créer des troubles dont nous n’avons pas besoin. »

Nous comprenons votre amertume, mais vu la situation nous en appelons à votre sens des responsabilités

Autre paramètre important, voire décisif pour Cissé : le positionnement des voisins et des Occidentaux. Et, là encore, la situation ne paraît pas tourner à l’avantage du chef de file de l’opposition malienne. Plusieurs dirigeants occidentaux et africains de premier plan – Emmanuel Macron, Macky Sall, Mohamed Ould Abdelaziz – ont reconnu la victoire d’IBK avant même la proclamation des résultats définitifs. La plupart se font peu d’illusions sur la régularité du scrutin, mais préfèrent privilégier la stabilité du Mali.

Ces derniers jours, Soumaïla Cissé a reçu plusieurs coups de fil de responsables étrangers, comme António Guterres, Idriss Déby Itno ou encore Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères. Tous lui ont délivré en substance le même message : « Nous comprenons votre amertume, mais vu la situation nous en appelons à votre sens des responsabilités. »

Dans l’entourage d’IBK, on considère que le match est plié. « Il est seul mais il s’entête. Nous déplorons cette attitude. Qu’il accepte sa défaite pour qu’on puisse avancer », glisse un proche du président. Face à Cissé, qui promet de poursuivre sa mobilisation dans la rue, le pouvoir veut faire preuve de fermeté. « Le gouvernement fera respecter la loi et œuvrera à préserver l’ordre public. Nous considérons que les manifestations liées au processus électoral, qui est définitivement clos, n’auront bientôt plus de raison d’être », prévient le Premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga.

Ce climat tendu peut-il menacer la tenue des législatives, dont le premier tour est prévu le 28 octobre ? Il n’en est pour le moment pas question. Quant au parti de Cissé, l’URD, il n’a pas encore décidé s’il prendrait part à ces élections. « Mais il faudra que les conditions minimales de transparence soient remplies pour que nous participions », prévient Cissé.

Au-delà des postures politiques, il devra surtout composer avec les désirs des barons de l’URD, qui n’ont aucune envie de céder leurs sièges de députés – et les privilèges qui vont avec. En attendant, lui se dit prêt à faire une croix sur son statut de chef de file de l’opposition. « Je n’ai pas besoin de ça pour exister ! »

Défaite prometteuse

Arrivés troisième et quatrième au premier tour, Aliou Boubacar Diallo (8 % des voix) et Cheick Modibo Diarra (7,4 %) entendent profiter de leur bon score à leur première élection présidentielle pour s’installer durablement dans le paysage politique malien.

Le patron de la société minière Wassoul’Or, qui est l’un des hommes les plus prospères du Mali, va organiser un congrès de son parti, l’Alliance démocratique pour la paix- Maliba (ADP-Maliba), avant les législatives. « Nous avons pour objectif de renforcer notre groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Nous voulons nous imposer comme la locomotive du vrai changement au Mali », explique cet homme à la double casquette.

De son côté, Cheick Modibo Diarra, l’ex-Premier ministre de la transition, devrait formaliser l’alliance électorale qu’il a formée avec Moussa Mara, ancien chef du gouvernement également. Les deux hommes, populaires à Bamako, souhaitent constituer une coalition commune pour les législatives afin d’avoir leur propre groupe parlementaire.

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