Transport ferroviaire : comment Camrail veut reconquérir ses parts de marché

Deux ans après la catastrophe d’Eseka, la compagnie camerounaise n’a pas recouvré la confiance des passagers et reste pénalisée par la baisse de la demande de fret au Tchad. La direction mise sur des investissements massifs pour sortir de cette mauvaise passe.

Un train de la Camrail en gare de Ngaoundéré, au Cameroun © Bmnda/CC/Wikimedia Commons

Un train de la Camrail en gare de Ngaoundéré, au Cameroun © Bmnda/CC/Wikimedia Commons

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Publié le 14 septembre 2018 Lecture : 5 minutes.

Nommé en avril directeur général de la Cameroon Railway Company (Camrail), détenue principalement par Bolloré Railways (77,4 %) et par l’État (13,5 %), Pascal Miny a déjà dû passer au plan B. Pour profiter des possibilités commerciales qu’offre la prochaine Coupe d’Afrique des nations, organisée au Cameroun dans moins d’un an, le Français de 59 ans comptait sur une partie des vingt-cinq voitures voyageurs neuves en cours d’acquisition par l’État.

Camrail n’est pas en péril financier, mais en manque de trésorerie

Mais elles ne seront opérationnelles qu’après la compétition. Par conséquent, le nouveau patron en est réduit à donner une seconde vie à onze véhicules cinquantenaires, remisés depuis des lustres. Encore faut-il trouver 1,2 milliard de F CFA (plus de 1,8 million d’euros) pour cette réhabilitation. Car « Camrail n’est pas en péril financier, mais en manque de trésorerie », nuance-t-il, espérant que le gouvernement débloquera les fonds nécessaires à temps.

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Le spectre d’Eseka

Cette contrariété est l’une des conséquences de la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016, à Eseka, dans le centre du pays, qui avait causé la mort d’au moins 82 personnes et fait près de 600 blessés. Le déraillement du train rapide InterCity – son offre haut de gamme – a conduit à sa suspension, ainsi qu’à celle des wagons de fabrication chinoise mis en cause.

Le Premier ministre, Philémon Yang, a décidé la mise sous séquestre de dix-sept voitures pour les besoins de l’enquête. Une série de mesures qui, ajoutées à la perte de confiance d’une partie de la clientèle, ont porté un sérieux coup au trafic voyageurs : il a fondu de moitié, passant de 1,6 million de passagers en 2016 à 860 000 à la fin de 2017.

Selon le bilan officiel, 79 personnes ont péri dans l'accident de train survenu à Eseka, au Cameroun, le 21 octobre 2016 © AP/SIPA

Selon le bilan officiel, 79 personnes ont péri dans l'accident de train survenu à Eseka, au Cameroun, le 21 octobre 2016 © AP/SIPA

En l’absence de matériel neuf, le nombre de voyageurs devrait se maintenir cette année, avant le sursaut espéré dans le sillage de la CAN. Pascal Miny espère pouvoir rapidement dérouler son plan d’action.

Autre répercussion du douloureux épisode d’Eseka, l’augmentation de la compensation que l’État doit verser à Camrail lorsque le trafic voyageurs est déficitaire. Elle constitue l’essentiel de la somme de plus de 15 milliards de F CFA due par Yaoundé.

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Chute de 25 % du chiffre d’affaires en trois exercices

La situation n’est guère meilleure dans le transport des marchandises, où le chiffre d’affaires a baissé de 15 % sur les trois dernières années. Les volumes se sont certes stabilisés à 1,6 million de tonnes en 2016 et 2017, mais ils ont chuté de 35 % sur le trafic conteneurisé et de 20 % sur le conventionnel depuis 2014.

Camrail, dont le chiffres d’affaires global a chuté de 25 % sur les trois exercices pour se situer à 45 milliards de F CFA (dont environ les trois quarts proviennent du fret) en 2017, subit ainsi les effets de la crise économique consécutive à la chute des prix des matières premières qui frappe les pays de la région, notamment ceux de l’hinterland, à l’instar de la Centrafrique et du Tchad.

La vétusté des infrastructures ferroviaires et du matériel roulant ne plaide pas en leur faveur

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« Le Tchad représentait pratiquement 70 % du trafic en partance pour le nord du pays. De plus, Camrail a fait preuve d’une posture commerciale rigide en ne s’adaptant pas rapidement aux attentes des opérateurs économiques. Enfin, il faut admettre que la vétusté des infrastructures ferroviaires et du matériel roulant ne plaide pas en leur faveur », résume Joseph Jean Aouda, directeur général du bureau d’études Beacop.

Une guerre des prix déclenchée par les syndicats de transport routier

Cette situation se double d’une forte concurrence de la route sur les trafics intérieurs et de l’hinterland au-delà de la ville de Ngaoundéré, dans le nord du pays, où s’arrête le rail. Par ailleurs, l’entreprise doit depuis deux ans s’acquitter de la redevance d’usage route (RUR) adossée aux produits pétroliers, jusque-là réservée aux camionneurs.

« Ce n’est pas normal, dans la mesure où l’on nous oblige à favoriser nos concurrents qui dégradent une chaussée que nous n’utilisons pas », peste Pascal Miny, qui espère faire entendre raison aux autorités.

Camrail n’avait pas d’autre choix pour rester compétitive

Pour préserver ses parts de marché (35 % sur le conteneur et 65 % sur le conventionnel), la compagnie n’a pas eu d’autre choix que de subir la guerre des prix déclenchée par les syndicats de transport routier, en consentant une diminution de 20 % sur les tarifs. « Camrail n’avait pas d’autre choix pour rester compétitive », estime Joseph Jean Aouda.

Signes encourageants

Ce tableau peu reluisant n’est pas de nature à décourager le Français, qui semble plutôt entrevoir des signes de reprise. Le marché tchadien envoie des signaux positifs depuis bientôt un trimestre, et le secteur du bois semble de nouveau demandeur. « C’est plus qu’un frémissement », s’enthousiasme le patron.

Cependant, il faut investir pour se montrer à la hauteur d’une telle espérance. Sur ce point, Yaoundé semble mieux disposé. Pour booster le fret, le matériel de traction sera modernisé par l’acquisition dans les cinq prochaines années de neuf locomotives auprès de General Electric.

La reconquête de la clientèle passe aussi par la commande en cours de quatre locomotives voyageurs et des voitures, qui viendront s’ajouter aux quarante véhicules d’origine chinoise achetés ces dernières années. Afin de formuler une offre premium similaire à l’InterCity, cinq modules autorails ont également été commandés. Mais ces efforts resteront obérés par la vétusté des voies, qui oblige à des limitations de vitesse.

Modernisation de la ligne Douala-Ngaoundéré

Ainsi, la réhabilitation complète des 1 010 km de voies entre Douala et Ngaoundéré, auxquels s’ajoutera l’embranchement entre la ville de Kumba, près du lac Barombi, et Douala, constitue le principal défi de la compagnie. « Le chemin de fer entre Douala et Yaoundé et le tronçon Belabo-Ngaoundéré sont dans un état critique », juge Joseph Jean Aouda.

Une portion de 175 km est en voie d’achèvement dans le cadre du premier plan quinquennal, qui arrive à son terme cette année. Pascal Miny souhaite que ce projet gigantesque, qui nécessitera près de trois ans de travaux, démarre au début de 2020. La Banque mondiale, la BEI et l’AFD ont déjà manifesté leur intérêt pour certains segments. « Ce chantier nous ramènera à coup sûr vers un cercle vertueux », espère-t-il. En attendant la construction de la ligne Edéa-Kribi, qui connectera le port en eau profonde au réseau ferroviaire local.

Un savoir-faire menacé

En dehors de la modernisation du matériel roulant, l’accent doit également être mis sur le renouvellement de la ressource humaine, prévient Joseph Jean Aouda. « Dans trois à quatre ans, la plupart des techniciens partiront à la retraite. Cela dénote l’absence d’une politique de transfert de compétences ces dernières années. Certes, 150 jeunes ont été recrutés l’an passé. Mais il faut deux ans en moyenne pour les former. L’échéance est très juste pour un partage d’expérience avec les aînés », insiste-t-il.

Vers la création d’une société de patrimoine

La création d’une société de gestion du patrimoine est une nécessité. La recommandation, parmi huit autres, figure dans le rapport d’audit de la concession de Camrail remis en octobre 2017 par le consortium constitué de KPMG, du cabinet français DS Avocats et de la firme québécoise ConsultRail.

Déjà inscrite dans la convention de 1999, cette exigence n’a jamais été traduite dans les faits. L’État doit également retirer le statut de maître d’œuvre délégué à la compagnie, souvent juge et partie dans le contrôle des travaux.

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