Cameroun : Maurice Kamto peut-il battre Paul Biya ?

Le candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun s’est imposé comme le plus sérieux adversaire du président sortant. Pas sûr, pourtant, qu’il ait vraiment les moyens de l’emporter le 7 octobre.

Maurice Kamto, en mai 2018 à Paris. © Jacques Torregano pour JA

Maurice Kamto, en mai 2018 à Paris. © Jacques Torregano pour JA

Clarisse

Publié le 14 septembre 2018 Lecture : 9 minutes.

Au Cameroun, les indépendantistes font peser une menace sur la présidentielle du 7 octobre 2018. © Akintunde Akinleye/REUTERS
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Présidentielle au Cameroun : huit candidats dans la course

Huit candidats, dont le président sortant Paul Biya, s’opposent lors de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Un scrutin qui se déroule dans un contexte sécuritaire tendu, en particulier dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, secouées par un conflit opposant le gouvernement à des séparatistes.

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Il est entré dans la région de l’Adamaoua par Bankim et Banyo, dans l’Ouest. En est ressorti par Meidougou, dans l’Est. Une semaine plus tard, on le retrouve dans la Sanaga-Maritime, puis le voici qui se dirige vers le Sud… S’il est une chose que même ses détracteurs reconnaissent, c’est que Maurice Kamto, 64 ans, ne ménage pas sa peine à l’approche de l’élection présidentielle.

On ne peut pas prétendre apporter un mieux-être à des personnes que l’on ne connaît pas ou que l’on n’a jamais vu vivre au quotidien

Au 7 octobre, jour du scrutin, le candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) aura traversé les 58 départements que compte le pays et tenu meeting dans une centaine d’arrondissements. Lui dit vouloir « faire de la politique autrement, parce qu’on ne peut pas prétendre apporter un mieux-être à des personnes que l’on ne connaît pas ou que l’on n’a jamais vu vivre au quotidien ».

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Hyperactivité

Officiellement, Maurice Kamto n’est pas encore en campagne. Mais à Yaoundé, on s’inquiète presque de l’hyperactivité de cet ancien ministre délégué à la Justice qui a réussi la prouesse de faire oublier à ses partisans qu’il avait servi le président Paul Biya de 2004 à 2011. On se rassure en rappelant que son parti est jeune (il a été créé en 2012) et qu’il ne dispose que d’un seul siège à l’Assemblée nationale.

On répète qu’aucune campagne de terrain, aussi efficace soit-elle, ne peut véritablement concurrencer l’implantation locale du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le parti dont Paul Biya est une nouvelle fois le candidat. On en veut pour preuve le fait que personne ne se risque à pronostiquer la défaite d’un président dont l’administration contrôle aussi étroitement ­– et depuis aussi longtemps – l’organisation des élections.

Mais tout de même… On se souvient que la « caravane de la renaissance », dont Kamto a pris la tête, s’est élancée sur les routes du pays il y a presque trois ans et l’on sait que, dans un Cameroun traversé par des vents contraires et menacé jusque dans son unité, rares sont les adversaires politiques que l’on peut se permettre de négliger.

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Maurice Kamto a compris depuis longtemps que la bataille s’annonçait inégale. Par endroits, lors des élections législatives et municipales de 2013, le RDPC a raflé la totalité des sièges, faute d’adversaires. Lorsqu’il décide de commencer à arpenter le pays, en novembre 2015, il n’a donc qu’une idée en tête : implanter le MRC sur l’ensemble du territoire pour être en mesure de peser le moment venu.

Sa caravane aurait dû achever son périple il y a quelques mois, mais elle a été ralentie par les problèmes d’insécurité dans l’Extrême-Nord puis dans les zones anglophones du Sud-Ouest et du Nord-Ouest. Les manœuvres des autorités pour empêcher la tenue des réunions n’ont pas aidé non plus, même si elles ont involontairement donné une visibilité nouvelle à Maurice Kamto, qui était jusque-là surtout connu pour avoir supervisé le règlement du différend avec le Nigeria à propos de la presqu’île de Bakassi.

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Gros bras encagoulés

À l’en croire, rien ne leur a été épargné, à lui et à ses partisans. « Bastonnades, jets d’eau et de bombes lacrymogènes sont notre lot quotidien », détaille le professeur Alain Fogué, l’un des membres fondateurs du MRC. Le 18 août, à Bangangté, Kamto a dû tenir réunion dans un champ à 4 km de la ville, la maire ­– RDPC – de la commune, Célestine Ketcha Courtès, ayant fait valoir qu’un trop grand nombre d’inaugurations diverses et variées étaient déjà prévues le même jour.

À Bertoua, en avril 2016, les multiples barrages routiers tenus par de gros bras encagoulés avaient contraint Kamto à parcourir 10 km à pied pour rejoindre son meeting. « Pour beaucoup de responsables locaux, autoriser la tenue de rassemblements politiques chez eux, c’est manquer de loyauté envers le président de la République. C’est absurde, mais on est habitué et on fait avec », affirme Kamto.

En juillet, Cavayé Yeguié Djibril, président de l’Assemblée nationale et troisième personnalité du pays, avait pris la plume pour dissuader les habitants de Tokombéré « d’accueillir un Bamiléké chez eux ». Mais plusieurs centaines de personnes avaient malgré tout assisté au rassemblement organisé par Kamto.

>>> À LIRE – Dossier – Cameroun : que veulent (vraiment) les Bamilékés ?

Aujourd’hui, l’ancien professeur de droit formé sur les bancs des universités de Yaoundé puis de Nice, en France, est l’un des adversaires les plus sérieux de Paul Biya. « Sa crédibilité s’est affirmée lors de la deuxième convention du MRC, à la mi-avril, au Palais des congrès de Yaoundé, analyse Christian Penda Ekoka, un conseiller technique du chef de l’État qui a pris ses distances avec le RDPC. Le MRC avait fait salle comble, et les diplomates invités se sont dits impressionnés. C’est ce qui a réellement mis la puce à l’oreille des autorités et les a rendues fébriles. »

À trop vouloir s’adresser au peuple, il en a peut-être négligé les élites, puissantes et rancunières, qui voient en lui un agaçant « Monsieur je-sais-tout »

Mais l’intéressé a du mal à se défaire d’une image d’universitaire qui lui colle à la peau. Les observateurs de la vie politique camerounaise lui reconnaissent compétence, intelligence et probité, mais notent aussi un manque d’audace et, parfois, une assurance qui frise l’arrogance. Les mêmes ajoutent que, à trop vouloir s’adresser au peuple, il en a peut-être négligé les élites, puissantes et rancunières, qui voient en lui un agaçant « Monsieur je-sais-tout ». En somme, résume l’un d’eux : « Il fait de la politique, mais cela ne fait pas forcément de lui un homme politique. »

Prouesse politique

Sa principale force est toutefois d’être parvenu à débarrasser le MRC de l’étiquette de parti régionaliste que l’on a tenté de lui accoler. Une prouesse dans un pays où les leaders politiques ont toujours eu du mal à recruter au-delà des frontières de leur région. Lui-même est originaire de la petite ville de Baham, dans l’Ouest, mais les cinq vice-présidents du parti sont issus de l’Extrême-Nord, du Centre, du Littoral, du Sud-Ouest et du Nord-Ouest.

« Le MRC a innové en osant envoyer des délégués de l’Extrême-Nord exposer leur pensée dans le Centre, ceux de l’Est dans le Sud, etc., constate Albert Dzongang, un ancien député RDPC, deux fois candidat malheureux à la présidentielle. Et les violences qui, pendant plusieurs mois, ont visé son président en raison de son appartenance ethnique ont fini par fédérer une grande partie des Bamilékés autour de lui. »

Kamto a pu paraître en retrait, mais il est parvenu à construire son appareil politique

« En 2011, rappelle Haman Mana, directeur de la publication du quotidien Le Jour, il n’y avait pas de véritable challenger en face de Biya. Cette fois-ci, il trouvera sur son chemin l’un de ses anciens ministres délégués. Dans un premier temps, Kamto a pu paraître en retrait. Mais il est parvenu à construire son appareil politique. Finalement, c’est le seul à être sorti du lot et à avoir acquis une stature de chef d’État. »

Si nombre de Camerounais reconnaissent qu’il est parvenu à insuffler un nouveau dynamisme à l’opposition, d’autres rappellent qu’il a été ministre pendant sept ans et qu’à ce titre il lui est aussi difficile d’incarner le changement que de ne pas être comptable du bilan de Paul Biya.

Autre difficulté en perspective : le candidat du MRC et ses équipes ont surtout « ratissé » les trois régions du Nord (l’Adamaoua, le Nord et l’Extrême-Nord), persuadés que la majorité y est affaiblie. Mais ils ne sont pas les seuls à lorgner l’immense réservoir de voix que représente le septentrion camerounais : Akere Muna, lui aussi candidat à la magistrature suprême, espère bien y marquer des points.

Le nerf de la guerre

Se posera enfin la question de l’argent. Mener campagne coûte cher et, dans l’entourage du président sortant, on se plaît à rappeler que les moyens de Maurice Kamto ne sont pas infinis. Ce n’est pas un hasard si la télévision nationale annonce chaque jour le montant des sommes collectées dans telle ou telle région pour le RDPC. Le parti présidentiel se serait fixé pour objectif de réunir un minimum de 50 millions de F CFA (plus de 76 000 euros) dans chacun des 58 départements.

Nous avons bâti un parti de militants engagés, et beaucoup d’entre eux se mettent au service du parti sans exiger le moindre centime

« Aucune autre formation politique ne réunira autant d’argent que le RDPC, qui dispose par ailleurs des fonds et des moyens de l’État. Mais cela servira davantage à acheter les consciences qu’à faire campagne, estime Kamto. Depuis les élections de 2013, nous recevons annuellement de l’État la modique somme de 15,2 millions de F CFA. C’est insignifiant. Mais nous avons bâti un parti de militants engagés, et beaucoup d’entre eux se mettent au service du parti sans exiger le moindre centime. Nous avons considérablement augmenté le nombre de nos adhérents en cinq ans sur l’ensemble du pays. »

>>> À LIRE – Cameroun : pourquoi Christian Penda Ekoka tourne le dos à Paul Biya

Christian Penda Ekoka ajoute : « Ceux qui ont de l’argent le font savoir, en particulier quand ils donnent au RDPC. Mais je ne suis pas sûr qu’ils n’en donnent pas pour autant au MRC. Aucun homme d’affaires ne prendrait le risque de claironner qu’il le finance. »

Peu de visibilité à l’international ?

Les détracteurs de Maurice Kamto raillent aussi son peu de visibilité à l’international, soulignant a contrario la densité du réseau sur lequel pourrait s’appuyer l’ancien bâtonnier Akere Muna. « Le Cameroun ne se conquiert ni de l’étranger ni sur les réseaux sociaux, rétorque Kamto. Mettre sur Facebook mes selfies avec les grands de ce monde, quel intérêt ? »

Pourtant, les clichés ne manqueraient pas : sa décoration par l’ex-chef de l’État nigérien Mamadou Tandja, ses rencontres avec les présidents nigérians de ces trois dernières décennies, sa collaboration avec Kofi Annan et Ban Ki-moon lorsqu’ils étaient secrétaires généraux des Nations unies.

Il a aussi présidé la Commission du droit international de l’institution, un organe subsidiaire de son Assemblée générale, et participé à la rédaction des statuts de la Cour pénale internationale. « Avec ça, conclut l’un de ses proches, s’il ne dispose pas d’un solide carnet d’adresses… »

Promotion empoisonnée…

Le 14 avril, à Yaoundé, Suzanne Julie Kamto a fait sa première apparition au côté de son époux dans un rassemblement du MRC. Le jour même, cette quinqua discrète, mère de cinq enfants, venait de prendre ses fonctions d’inspecteur général des services au ministère des Relations extérieures. La nomination de cette diplomate formée à l’Institut des relations internationales du Cameroun avait été considérée comme une tentative de Paul Biya d’écorner l‘image de son opposant de mari.

Une opposition divisée

Un leurre parfait : c’est l’idée que se fait finalement Maurice Kamto d’une candidature unique de l’opposition. S’il a un temps consenti à en débattre, il n’y croit plus. D’abord parce que l’opposition se révèle très hétéroclite (et des ralliements au président sortant ne sont pas à exclure). Ensuite parce que chacun des leaders se considère plus légitime que les autres.

Kamto assure qu’il n’aurait pas été contre la tenue de primaires. À condition que l’on précise d’emblée comment elles seraient financées, qui seraient les électeurs, où seraient situés les bureaux de vote et qui proclamerait les résultats. Pour le candidat du MRC, il faut en finir avec l’équation suivant laquelle le succès de l’opposition passe nécessairement par une candidature unique.

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